Perno Gomez – L’Homme Chauve-Souris (1909)

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« L’Homme Chauve-Souris », de Perno Gomez, fut publié dans l’Almanach Vermot de 1909. Le texte est accompagné de 3 illustrations signées D. Desroches (???).

L’Homme Chauve-Souris

A la porte d’une baraque foraine qui s’intitule pompeusement : LA LOGE MYSTÉRIEUSE DES ANTILLES. Un quinquet solitaire qui fume comme un Suisse, éclaire (?) une vague peinture représentant l’homme Chauve-Souris. Un croquant, juché sur une échelle double, pérore avec une emphase qui répand sur la foule béate une pluie de postillons et de barbarismes.

LE BARNUM. — C’est ici ! C’est ici ! Inutile d’aller plus loin !… Vous ne verrez rien de comparable à l’Homme Chauve-Souris, que je ramène des Indes à l’instant même ! Mesdames et Messieurs, approchez-vous, ne craignez rien, c’est un spectacle moral et hygiénique, garanti par l’Académie de Médecine, un curieux phénomène dont j’ai l’honneur et l’avantage de présenter la première primeur sur la place de Paris… (Roulement de tambour.) Cet horrible mélange d’un homme et d’un animal, que le tableau ci-joint peut vous donner une faible idée d’après nature, ce phénomène, dis-je, a été capturé par votre serviteur, au fond de l’Asie, dans les steppes de la Guyane ! Après avoir fait longtemps l’admiration des cours européennes, il vient-z-ici recueillir les suffrages de votre capital qui ne manqueront point de ratifier les superbes recettes qui nous ont toujours favorisés de leur succès… Roulez ! (Roulement de tambour.) C’est pourquoi, désireux de mettre tout le monde en mesure de s’instruire, en s’amusant tout à la fois, je fixe exceptionnellement, pour aujourd’hui, jour de clôture, le prix des places, même les plus confortables, à la somme dérisoire de… dix centimes, deux sous… (Aboyant à pleine gueule, tandis que le tambour fait rage.) Ouah ! Ah !… Ahou !… Ouah !… Entrez !… Deux sous !…

La foule, influencée par ces rugissements puissants, se précipite dans la baraque. Elle se remplit en cinq minutes. Le Barnum rentre à son tour, salue et tire un rideau rouge : on aperçoit sur une estrade un individu, sans aucun signe particulier, qui fixe le public d’un œil abruti.

LE BARNUM. — Attention, Messieurs et Dames, ça commence ! Ne vous approchez pas : il y a du danger… (D’un coup de baguette, il fait tomber le couvre-chef de l’individu, dont le crâne apparaît, dénudé du cresson le plus rudimentaire.) Voici l’Homme Chauve annoncé à l’extérieur. Il mesure 1m78 de la tête aux pieds, contrairement aux serpents boas qu’on mesure en général des pieds à la tête. Il est âgé de 37 ans et neuf jours environ, et pèse 68 kilogrammes. Il se nourrit exclusivement de viande et de légumes. Pour les personnes qui désireraient toucher le phénomène, il va faire le tour de la société. Ne l’oubliez pas, ce sont ses seuls bénéfices.

Quatre sous plus ou moins italiens sont le résultat de cette quête. Si c’est avec ça que l’Homme Chauve-Souris se nourrit de viande et de légumes, il ne doit pas être gros mangeur. Il regagne son poste et la séance continue.

LE BARNUM. — Et maintenant, Mesdames et Messieurs, je vais vous faire assister, sans augmentation de prix, à la deuxième partie du spectacle. Je vous demande la plus grande attention et le plus grand silence. (S’adressant à son compère.) Souriez, Monsieur Gustave !… Allons, souriez tout de suite à l’honorable société !

Un large sourire s’épanouit sur la face abrutie de M. Gustave.

LE BARNUM, simplement, avec un geste de triomphe. — Voilà !… L’HOMME CHAUVE SOURIT. (Il referme le rideau rouge, au milieu, d’un morne silence, salue avec désinvolture et ajoute) : Mesdames et messieurs, c’est pour avoir l’honneur de vous remercier !…

Murmures mécontents. Les mots de voleur et de fripouille voltigent sur toutes les lèvres.

LA VOIX D’UN CLIENT LETTRÉ QUI REGRETTE SES DEUX SOUS. — J’ai payé pour voir l’Homme Chauve-Souris avec un s à la fin et un trait d’union au milieu. Avec un t et sans trait d’union, c’est une filouterie !… Je vais porter plainte !…

LE BARNUM, froidement. — De quoi ?… Je ne suis pas forcé de savoir l’orthographe après tout !… (Il lève les épaules avec dégoût, remonte sur son échelle double et se remet à hurler à la foule qui passe) : C’est ici ! C’est ici ! Inutile d’aller plus loin… Vous ne verrez rien de comparable…, etc.

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