Alverne – En l’an 2033 de la Rédemption (1933)

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« En l’an 2033 de la Rédemption », signé Alverne, est paru dans La Croix du 7 février 1933.

En l’an 2033 de la Rédemption

Pour le XIe anniversaire du pontificat de Pie XI

Qu’on veuille bien excuser cette anticipation séculaire : c’est pour les lecteurs de la Croix de l’an 2033 — notre journal n’aura jamais que cent cinquante ans ! — que nous écrivons. Pie XI nous y a d’ailleurs presque invités. Ne disait-il pas, dans son allocution de Noël, en commentant la chronologie de la Rédemption : « A cet égard, les hommes de 2033 sauront faire leur devoir… »

Les hommes de 2033 ! Le temps n’a guère d’importance pour l’Église, qui a reçu d’infaillibles promesses de pérennité. Ne vit-elle pas de la vie même du Christ, dont le Psalmiste a prophétisé : Tu autem idem ipse est, et anni tui non deficient

Avec le Pape, évadons-nous un instant de la prison du temps, où nous sommes, pour nous établir par avance dans la chrétienté de l’an 2033. Par là, nous n’en apprécierons que mieux notre époque. Quel sera le successeur de Pierre en ce temps-là ? Peu importe son nom : Pie XIII, Léon XV ou Benoît XVIII. Nous imaginons facilement son discours de Noël au Sacré-Collège, en ce 24 décembre 2032 : « Il y a cent ans, à pareil jour, Notre prédécesseur d’heureuse et sainte mémoire eut l’inspiration céleste — il l’a affirmé lui-même — d’indicter un jubilé extraordinaire, pour le XIXe centenaire de la Rédemption, que couronne la mort et la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec ce merveilleux ensemble de « gestes » divins dont parlait la Bulle Quod nuper. Le XXe siècle en est aujourd’hui accompli… »

Et le Pape de l’an de grâce 2033 ne manquera pas d’évoquer les fastes de l’an de grâce 1933 et le Pape Pie XI, qui préludait ainsi à la grande commémoration du bimillénaire chrétien.

En somme, il ne paraîtrait pas excessif de consacrer un siècle entier à la célébration d’un tel jubilé. Les Hébreux, en souvenir de la Genèse réservaient déjà un jour par semaine, le septième, au culte de Jéhovah : c’était le sabbat. Tous les sept ans aussi, le Lévitique prescrivait une année sabbatique, un solennel repos, pour la terre, en l’honneur de Yahweh. Sept sabbats d’années, sept fois sept ans, faisaient une période de quarante-neuf ans, et la cinquantième année était un grand jubilé, année sainte, année de prière, année de rémission, année de paix. Voilà pour l’Ancien Testament.

Le cardinal Lépicier, dans son livre classique sur les Indulgences, a dit l’origine du jubilé chrétien, son caractère institutionnel sous Boniface VIII, qui lui conféra un rythme centenaire. Clément VI. « étant donnée la brièveté de la vie humaine », fixa le retour de l’année jubilaire tous les cinquante ans. puis Paul II tous les vingt-cinq ans.

On pourrait concevoir aussi que la durée d’un jubilé fût en proportion, de l’ancienneté et de l’importance de l’événement commémoré. Or, quand cet événement remplit le temps et l’espace, comme la Rédemption, pivot de l’histoire universelle, ce ne serait pas exagéré, semble-t-il, d’y consacrer, tous les deux mille ans, non seulement une année ou même un lustre, mais tout un siècle de grâce et de célébration. Peut-être Pie XI inaugure-t-il ce siècle jubilaire de la Rédemption : 1922-2033, comme si la Porte Sainte, que son marteau d’or abattra le 2 avril prochain dût rester ouverte pendant cent ans ?…

Ce siècle, on l’a déjà surnommé le siècle de Pie XI. Et non pas seulement parce que Pie XI serait l’initiateur de ce grand jubilé à répercussion séculaire, de ce jubilé unique et, comme il l’a dit lui-même, straordinarissimo ; mais aussi tellement son pontificat comporte de réalisations décisives. Les historiens de l’an 2033, avec le recul nécessaire, l’apprécieront sans doute encore mieux que nous. Les conclusions auront mûri alors de ces divins syllogismes, dont Pie XI a posé les prémisses. De même que le blason de l’aigle noir aux trois boules rouges recouvre déjà tant d’édifices de la Cité du Vatican et de la Ville Éternelle, de même l’impulsion donnée aux affaires de l’Église gardera durant de longues décades la marque originelle du génie et de la foi intrépide d’Achille Ratti.

La main de Pie XI aura pesé si fortement sur les événements de son époque, elle aura laissé une telle trace en tous domaines, elle aura imprimé une direction si accentuée à la grande politique chrétienne que plusieurs pontificats successifs en resteront, d’une certaine manière, conditionnés. Certes, ils auront leur caractère propre : celui-ci tout de douceur angélique (Pastor angelicus), celui-là d’une ubiquité transocéanique, peut-être (Pastor et Nauta). Mais, quels qu’ils soient, ils tireront nécessairement les déductions du grand pontificat qui aura présidé aux origines de ce siècle d’après-guerre, du XXe siècle de la Rédemption. On vit bien encore, dans l’ordre civil, du Code Napoléon, des institutions napoléoniennes, qui signalent, en effet, un long et nouveau stade d’histoire. Est-il hors de propos de penser que l’Église doive vivre longtemps d’un règne comme celui-ci, où s’élabora, dans quelles douleurs, Dieu le sait, l’enfantement d’un monde nouveau ? C’est dans ce sens-là qu’on peut parler du siècle de Pie XI.

En veut-on glaner quelques témoignages, quelques arguments épars ? Ce XIe anniversaire du pontificat fournit une ample et opportune moisson. Quelle fécondité dans tous les ordres ! Par exemple, en dix années, Pie XI a procédé à autant de canonisations (douze) que Léon XIII en vingt-cinq ans de règne. Les deux pontificats de Pie X et de Benoît XV ne totalisent qu’un peu plus de la moitié des causes de saints et de bienheureux que Pie XI seul a déjà élevés aux honneurs des autels. Sans compter que, parmi ces constellations, brille comme en une nuit d’Épiphanie une étoile d’exceptionnelle grandeur, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Il n’est pas indifférent au renom d’un pontificat d’être placé sous un tel signe. Tout cela est bien significatif du degré d’intensité de la vie de l’Église aujourd’hui : la Congrégation des Rites — ce baromètre du surnaturel — ne chôme pas ! « Et voici, disait Pie XI dans son homélie sur le décret de tuto d’Hubert Fournet, voici que se profile à l’horizon de l’année jubilaire une pléiade de nouveaux saints, qu’il aime saluer de loin, comme faisant cortège au Roi de gloire. »

Comment ne pas signaler en passant le grand événement politique et religieux que fut la question romaine — formidable comme une montagne, a dit Pie XI, — et dont la Providence réservait la solution à la force d’âme d’un Pape alpiniste ? Et quel monument concordataire n’a-t-il pas élevé ! Et ses immortelles Encycliques Casti connubii et Quadragesimo anno ! Et n’est-ce pas lui aussi qui a lancé en pleine mer, voiles déployées, le vaisseau de l’Action catholique ? Nous ne croyons pas qu’il revienne au port de si tôt. Or, ce vaisseau, qui est, au fond, celui de l’Église, aura eu en Pie XI un armateur bien digne de lui laisser son nom.

Parlerons-nous enfin des Missions ? Le R. P. Considine, directeur de l’Agence Fides, revenant, hier, de son voyage autour du monde missionnaire, nous déclarait qu’en ces seules dix dernières années, le catholicisme a fait plus de progrès parmi les infidèles qu’en aucune des tranches séculaires précédentes. A ce propos, un savant protestant a dressé la statistique de l’Église au cours des temps : un siècle après la Rédemption, en 133, un demi-million de catholiques ; en 233, 2 millions ; en 333, 5 millions ; en 433, 10 millions ; en 1433, 100 millions ; en 1933, 350 millions… Continuez cette courbe, et vous contemplerez l’Église aux prochains paliers millénaires de la Rédemption. Et l’allure va s’accélérant sans cesse avec les Missions, auxquelles on peut prédire un avenir immense, dominé par la figure apostolique de Pie XI.

Tel est à peu près le tableau qu’auront sous leurs yeux ravis les chrétiens de l’an 2033. Ils mesureront mieux encore le chemin accompli par la grâce divine. Ils béniront le Pape Pie XI, qui lui aura frayé cette voie triomphale. Ils nous envieront d’avoir vécu sous un tel Pontife. Leur temps sera sans doute meilleur que le nôtre, mais le nôtre, au total, n’est-il pas meilleur que celui qui l’a précédé ? Car nous croyons l’humanité perfectible sous la poussée lente et continué de l’Évangile et des bienfaits multipliés de la Rédemption. Car nous croyons, en définitive, à la charité, et nous adorons, le Christ, qui par sa croix, a sauvé le monde. O crux, ave !

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