André Massepain, L’Île aux fossiles vivants – Robert Laffont, coll. « Plein vent » (1967)

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Deux frères de dix-huit et seize ans, Jérôme et Gilles Notton, tentent désespérément de s’extraire du courant du large pour regagner la terre ferme. Leur avion pour la Nouvelle-Calédonie s’est écrasé en plein océan. Ils n’ont pas pu prendre place dans les canots de sauvetage, et même ceux qui l’ont pu avaient peu de chances de survivre.

Échoués sur une île, les deux garçons découvrent des chars abandonnés, restes de la Deuxième Guerre mondiale, avant d’être accueillis par un homme qui les emmène, pistolet au poing, dans un campement militaire. Interrogés par le commandant Jenkins, Jérôme et Gilles ne tardent pas à comprendre que ces soldats néo-zélandais se croient toujours en guerre, plus de vingt ans après sa fin. Débarqués sur cette île écartée pour empêcher qu’elle tombe entre les mains des Japonais, leurs radios détruites, ils ont perdu tout contact avec l’extérieur et ignorent jusqu’à la date précise. Autant dire que les chances pour que les deux frères retrouvent leur père et leur vie d’avant sont réduites à néant…

Comment quitter l’île où ils sont retenus prisonniers ? Et quelles sont les découvertes que le naturaliste Frankie dit avoir faites dans une grotte ?

André Massepain, de son vrai nom Virgile Solomonidis, a aussi publié sous le pseudonyme d’André Kédros des romans comme Le Lit de Procuste (1957) ou Le Dernier Voyage du Port-Polis (1959, prix du roman populiste) ainsi que des mémoires, L’Homme à l’œillet (1990). André Massepain est son nom de plume pour les romans destinés à la jeunesse. Après en avoir écrit cinq pour les éditions G.P., il dirige sous ce nom la collection « Plein vent » chez Robert Laffont, de 1966 à 1982. Tenue pour « la meilleure collection pour adolescents de la décennie » par Raymond Perrin, elle est à sa création l’une des rares collections pour ce lectorat. L’illustrateur de L’Île aux fossiles vivants, Jean-Olivier Héron, codirigera lui aussi une collection prestigieuse avec Pierre Marchand, « 1000 soleils » chez Gallimard. Le roman d’André Massepain fait partie des succès de « Plein vent » qui seront repris en poche chez ce dernier éditeur, dans la collection « folio junior », avec entre autres Le Prince d’Omeyya d’Anthony Fon Eisen, Six Colonnes à la une de Pierre Gamarra, La Vallée des mammouths de Michel Peyramaure, Pièges sous le Pacifique de Williard Price, Sierra brûlante de Pierre Pelot ou Kopoli le renne guide de Jean Coué.

Par son titre, L’Île aux fossiles vivants est un récit de monde perdu, dans la lignée du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne et du Monde perdu d’Arthur Conan Doyle. L’expression « fossile vivant », reprise à Darwin, est de nos jours remplacée par celle d’espèce panchronique. Mais elle garde dans la fiction son pouvoir d’évocation, qui renvoie par exemple à la cryptozoologie de Bernard Heuvelmans. Cependant, si les sauriens jouent un rôle déterminant dans l’histoire, ils n’apparaissent que dans quelques pages. Le roman s’attarde surtout sur les soldats perdus et sur les obscures motivations de leur commandant. Il y a presque du Kurtz en Jenkins, ajoutant Heart of Darkness de Robert Conrad aux influences possibles du roman.

Pour ses vétérans de la bataille de Guadalcanal, l’auteur cite en note finale deux ouvrages qui l’ont inspiré. Les Marines dans la guerre du Pacifique est le témoignage d’un soldat devenu écrivain, Robert Leckie, qui apparaît d’ailleurs comme personnage dans la série The Pacific. Les Soldats oubliés de Mindanao de John Keats narre la création par le colonel Fertig du « gouvernement des Philippines libres ». On pense aussi au classique de James Jones, The Thin Red Line, adapté à deux reprises au cinéma, dont dernièrement par Terrence Malick en 1998. André Massepain n’oublie pas non plus l’histoire du pays cher à son cœur : il fait de ses soldats oubliés d’anciens alliés de la résistance grecque, dont il a d’ailleurs publié une Histoire un an plus tôt, sous le nom d’André Kédros (le titre de son ouvrage est même cité en manière de clin d’œil par un de ses jeunes héros). Son premier roman, Le Navire en pleine ville (1948), ne raconte-t-il pas la fabrication d’un bateau en plein cœur d’Athènes, comme acte de résistance contre le blocus nazi ? Et il a très certainement choisi la nationalité de ces militaires parce que c’est un bateau néo-zélandais, le Mataroa, qui l’a amené en France avec d’autres résistants grecs.

André Massepain en profite aussi pour faire passer un discours antiraciste, à travers le personnage d’Oncle Toon, certes secondaire mais jamais infériorisé ni traité avec paternalisme. Il est un des Djin-Djin, indigènes de grande taille inventé dans le roman que le naturaliste Frankie rapproche du gigantopithèque chinois. Mais les fossiles vivants dont parle le roman sont en vérité les soldats à la mentalité obtuse, comme Jenkins, prêts à tout pour que leur volonté seule prévaille, personnages anachroniques dans un monde qui évolue vers le progressisme.

Écrit par un auteur qui connaît bien le domaine, L’Île aux fossiles vivants a sans doute initié des générations de jeunes lecteurs aux mondes perdus et aux récits militaires. Roman d’évasion dans les deux sens du terme, il possède des qualités toujours valables, les mêmes qui assurent la réussite des romans contemporains : une ouverture in medias res, une écriture sobre et efficace, des personnages bien dessinés, une intrigue cohérente, l’équilibre entre action et dialogue. Ce roman pour adolescents traverse ainsi les décennies sans prendre une ride. Il en est de même des derniers mots de la postface de l’auteur :

pour un écrivain, la culture scientifique, comme la culture tout court, ne constitue qu’un terroir sur lequel s’épanouit la liberté de l’invention.

 

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