Anonyme – Un merveilleux automate (1907)

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« Un merveilleux automate » est paru dans Mon Journal n° 8 du 23 novembre 1907. Cet article n’est pas signé,

Un merveilleux automate

Les habitants de la petite ville de Tonawanda, en Amérique, ne furent pas peu surpris, lorsqu’ils virent, un beau matin, un équipage extraordinaire circuler dans leurs paisibles rues. De porte en porte ce furent des exclamations variées d’étonnement et de stupeur, et à coup sûr les Lilliputiens ne s’agitèrent pas autrement lorsque Gulliver, sans crier gare, débarqua chez eux.

C’est que cet équipage avait de quoi soulever l’émotion populaire. Imaginez un omnibus à quatre roues, avec deux personnes à l’intérieur, traîné par un homme de 2 m. 50 de haut, qui tirait le tout avec autant de facilité qu’eut pu le faire une solide paire de chevaux.

Ce géant était-il vivant ? C’est ce qu’on ne put savoir tout d’abord. Il avançait en cadence une jambe, puis l’autre, se pliait un peu à chaque pas, jetait les yeux autour de lui comme pour inspecter son chemin. Devant un ruisseau, il hésita une seconde et fît un pas plus grand pour ne pas se mouiller les pieds. A un autre endroit, une poutrelle de bois barrait la route. Il la regarda, mit un pieds dessus, et franchit l’obstacle avec sa voiture. Plus loin encore, comme la foule autour de lui devenait compacte, on l’entendit prononcer clairement ces mots : « J’irais bien ainsi de New-York à San-Francisco. »

Tout habillé de blanc, une casquette blanche sur ses cheveux noirs, un œillet à la boutonnière, un mouchoir de soie dépassant de sa poche, il ne semblait pas du tout fatigué par ce dur exercice. Pas une goutte de sueur sur son front poli, pas un geste de lassitude dans sa démarche. Lorsqu’il rentra dans la cour de M. Louis Philip Perew, d’où il était parti, il paraissait au regret de cesser là sa promenade.

M. Louis Philip Perew, qui se trouvait avec un de ses amis dans la voiture, est un homme de taille au-dessous de la moyenne. Ainsi, même avec son chapeau haut de forme, il n’atteint pas la poitrine du géant vêtu de blanc. Et pourtant, ceci va bien vous surprendre, M. Perew est son père. Et ceci va vous surprendre encore bien davantage, M. Perew est son père parce qu’il l’a fabriqué de toutes pièces avec de l’acier, de l’aluminium, des ressorts et des fils électriques.

Si l’inventeur américain a mis du temps à construire ce magnifique automate, vous l’imaginez sans peine.

En 1891, après des années de patientes recherches, il avait établi un modèle réduit de son homme-traîne-voiture. Haut de 0 m. 70 environ, le pantin mécanique tirait un petit wagon de façon si naturelle que tous les amis de l’inventeur en furent émerveillés. L’un d’eux, M. Charles-A. Thomas, de Cleveland (Ohio), mit à sa disposition les capitaux nécessaires pour poursuivre ses travaux et réaliser des automates de dimensions plus grandes. Et une société fut constituée, l’United States Automaton Company, dont le siège fut fixé à Buffalo.

Naturellement, personne que M. Perew ne connaît le secret qui fait marcher, rouler les yeux, parler l’homme vêtu de blanc ; et pas un visiteur ne fut admis dans ses ateliers aussi longtemps que l’automate ne fut pas absolument parfait. Ceux qui, depuis lors, ont pu le voir, s’accordent à reconnaître que c’est une merveille. Peut-être son visage a-t-il quelque chose d’un peu « en bois » ; mais, dit M. Perew, il ne manque pas d’hommes « humains » dont les traits se figent, lorsqu’ils ont à accomplir un effort musculaire comme celui de traîner une voiture à quatre roues.

Les chaussures entourent un pied qui paraît bien vivant. Mais le chef-d’œuvre, ce sont les mains : un peu bronzées comme celles d’un homme qui vit au grand air, il n’y manque aucun détail anatomique : nerfs, veines, etc. D’ordinaire elles tiennent une poignée nickelée qui tire les chaînes auxquelles est attelée la voiture.

L’inventeur prétend que son automate pourrait faire facilement vingt milles à l’heure (plus de trente-deux kilomètres), soit plus de 750 kilomètres en vingt-quatre heures. Il ne serait besoin que de trois arrêts par jour, d’une heure chacun. Les trains rapides entre New-York et San-Francisco mettent 124 heures ; l’automate ferait le même trajet en 162 heures, c’est-à-dire en 38 heures de plus seulement. Allez donc trouver un autre piéton qui en fasse autant !

Lorsque l’homme-vêtu-de-blanc est en marche, ceux qui l’approchent entendent comme un tic tac de pendule. On en a conclu qu’il contient, entre autres appareils, un mouvement d’horlogerie. On sait aussi que sa peau est en aluminium et que ses os sont en acier ; à n’en pas douter, sa poitrine contient un phonographe et des batteries électriques. Aucun fil, toutefois, ne le relie à la personne qui se trouve dans la voiture, et c’est par l’intermédiaire des chaînes de l’attelage que le courant qui guide ses mouvements est transmis par le conducteur à l’automate.

A quoi peut servir, me direz-vous, ce gigantesque joujou ? M. Perew prétend qu’il est appelé à rendre de grands services. Il pourra transporter des fardeaux à des endroits inaccessibles pour tous les autres véhicules ; il pourra parcourir des distances qu’aucun être vivant ne saurait franchir ; en un mot, il fera tout ce que ne peut faire l’être fragile que nous sommes.

Et si l’inventeur américain ne va pas jusqu’à prédire qu’un jour les rues des capitales seront sillonnées par des automates qui traîneront derrière eux les omnibus, du moins affirme-t-il qu’à la guerre, ses fils vêtus-de-blanc pourraient faire des artilleurs courageux et solides, indifférents aux balles, insensibles à l’émoi d’une première bataille, et particulièrement terribles pour l’ennemi.

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