La collection « Sérendipité » des éditions Bibliogs propose plusieurs anthologies de textes découverts au hasard du dépouillement de la presse du début du XXe siècle. Parmi ses dernières parutions, En quête… d’enquêtes ! regroupe dix-huit textes publiés entre 1907 et 1945.
La préface à quatre mains de Christine Luce et Fabrice Debaque analyse la manière dont certains textes reprennent des figures célèbres du genre. Les auteurs français obéissent docilement à un certain chauvinisme : à Sherlock Holmes les parodies le tournant en ridicule, à Arsène Lupin le culte émerveillé !
Les préfaciers notent aussi que le recueil reprend trois nouvelles qui ont pour particularité d’appartenir à la fois au genre policier et à l’anticipation. Les deux se mêlaient déjà naturellement, bien avant Asimov ou Bester.
Le premier texte du journaliste Pierre Mille évoque avec humour les techniques narratives du roman policier : ce serait uniquement l’art des auteurs qui parviendrait à mettre en valeur des histoires insignifiantes. Exemples à l’appui, son personnage conseille alors aux historiens de reprendre ces procédés afin de rendre plus palpitants leurs ouvrages !
Robert Schlesinger présente de son côté un « détective insupportable » par son infaillibilité, confronté pour une fois à une énigme qui le dépasse… André Langie montre le même désir d’humilier un enquêteur trop parfait en opposant le modeste Français Denis Rascal au grand Sherlock Holmes, autour de la disparition d’une tête couronnée sur l’île de Madère. L’auteur décadent Frédéric Boutet invente Scherlock Carter, mixte des deux vedettes britannique et américaine, toujours pour soumettre à la sagacité du détective une énigme tirée par les cheveux, ici plus facile que vraiment drôle.
C’est également avec un humour facétieux que Raoul Privat évoque cette fois Arsène Lupin, dans un conte loufoque qui raille la technicité des déductions policières. Pour le texte suivant, de 1911, le père du gentleman-cambrioleur, Maurice Leblanc, profite d’une interview pour mystifier ses lecteurs à propos du vol de la Joconde. Dans une seconde interview donnée la même année, l’auteur s’attarde sur le fossé qui sépare la littérature du réel. En écho à cette réflexion, c’est sur le ton de la confession que Lucienne Mornay évoque l’envers du décor dépeint autour des grands héros, à l’occasion d’une expérience personnelle. Dans le réel, le travail de détective privé est ingrat et sordide, contrairement à ce que laissent croire les romans à succès. Le constat désillusionné de 1935 doit toujours s’appliquer de nos jours…
J. H. Rosny aîné joue lui aussi à détourner les codes de la littérature policière à sa façon, en mettant en avant le rôle déterminant du hasard. Pareillement, Georges Le Mardeley s’empare de la contingence des faits pour son historiette sur fond de roman de mœurs. C’est un concours de circonstances imprévu qui fera tomber l’inflexible courtisane Liliette de Floralys dans les bras de son voisin, un beau militaire.
C’est avec Léon Groc que le recueil offre, après quelques courtes pochades, une nouvelle policière aboutie, avec un mystère recherché et un message crypté qui n’est pas là que pour moquer les ficelles du genre. Pour résoudre « le Mystère de la loge 17 », le romancier Couvrigny fera appel à un auteur de mots croisés qui n’est autre qu’une jeune fille pleine de jugeotte. Vivant et bien mené, ce récit est l’une des plus belles découvertes du recueil.
Le filon des trouvailles au ressort aussi comique que policier reprend avec une histoire de double escroquerie habilement troussée par Michel Drouot sur le pont d’un bateau. Henri Rochon s’amuse à résumer un Maigret en quelques paragraphes de dialogue, et en recourant à une métalepse humoristique presque attendue. C’est sur le ton de la blague que Faublas invoque l’esprit de Sherlock Holmes dans ses légers propos parisiens.
Avec « Présence », Maurice Renard se saisit de la séparation entre le réel et l’illusion déjà mentionnée, mais à sa façon, entre fantastique et rationnel. Le possesseur d’un portrait de jeune homme croit voir en lui la représentation d’un personnage de fiction, Dick Lubin. Lorsque la toile disparaît, l’explication donnée privilégiera les séductions de l’imagination à la morne trivialité du réel.
Le recueil se clôt sur les trois nouvelles de science-fiction promises. Deux d’entre elles datent de 1907 et comptent parmi les plus anciennes du recueil. Jacques Bellême profite de la disparition d’un savant fou, le professeur Kowalski, pour ajouter du mystère et de l’inexplicable à l’enquête. Georges Rouvray transpose dans l’avenir une histoire d’enlèvement, qui se fait en aérocar plutôt qu’en voiture, dans un pur récit d’aventures. L’anticipation sert ici plus de décor superficiel que de moteur profond et original.
Dans une nouvelle dont la traduction n’a jamais été rééditée depuis 1934, Herbert George Wells met en scène un singulier voyage dans le temps : celui d’un journal de 1973, livré à un brave bourgeois de 1933. Devenu classique, ayant donné par exemple matière à de belles nouvelles de Jack Finney, ce motif trouve ici l’une de ses premières illustrations. C’est une autre des précieuses trouvailles de ce recueil rare.
Si la grande majorité de ces textes relève de l’humour léger, quelques nouvelles sortent du lot par leur recherche en termes d’énigme ou de narration. Toutes donnent une idée des préoccupations de leur époque, et parfois des réflexions littéraires de leur auteur. À ce titre, En quête… d’enquêtes s’avère un moyen indispensable de découvrir la littérature policière d’époque par le petit bout de la lorgnette.