Au pays du mystère, Pierre Maël & 16 gravures d’Alfred Paris – Hachette 1934

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Au pays du mystère, Sonia et Michel face aux flammes dévastatrices.

Au pays du mystère, Pierre Maël

Des européens en pays tibétain, des sectes religieuses dévouées à Bouddha et deux enfants, un grand roman d’aventures colonialistes pour la jeunesse de la fin du XIXe.

Éditions Hachette, Collection Bibliothèque des Écoles et des Familles, 310 pages, janvier 1934, cartonnage toilé et décoré grand format, Illustrations d’Alfred Paris.

Les amateurs de littérature pour la jeunesse de fin 19e et début 20e siècle connaissent bien Pierre Maël, fleuron bien pensant des auteurs de romans d’aventures qui plaisait tant à la bonne presse catholique. Sous ce nom se dissimulent deux écrivains : Charles Vincent (1851-1920) et Charles Causse (1862-1904), ce dernier est aussi le père d’un troisième romancier populaire, Jean d’Agraives, connu pour ses quelques romans d’anticipation. Une biographie et bibliographie déjà conséquente est disponible sur le site (en jachère, hélas) de M. Letourneux : Le Roman d’Aventure.

Cartonnage décoré, le Livre de Prix classique (en état médiocre ici).

Ce cartonnage est une réédition tardive d’un récit paru initialement en 1897, c’est un livre de Prix, comme la plupart des titres écrits par Pierre Maël, distribué dans toutes les écoles publiques ou privées. Quoiqu’il en soit, avec « Au pays du mystère », le duo s’efforce, comme à leur habitude, de ne choquer personne, ni les parents, ni les autorités laïques ou religieuses, il n’y aucune crainte à offrir, encore en 1934, cet ouvrage soigneusement étudié pour les garçons… Sauf que celui-ci a été offert à une jeune et studieuse Corinne ! Les temps ont un peu changé, et si ce roman d’aventures exalte encore l’âme franche et juste de Michel, jeune français colonialiste, le héros est accompagné d’une comparse d’origine russe, Sonia. Elle conserve un rôle subalterne dans la distribution des tâches et des idées, mais elle participe à l’essentiel des péripéties. Sans oublier le chien (!), Duc, un gros et courageux animal qui veillera sur les deux enfants, et le singe, exotique et malicieux. Des prémices qui ne pouvaient qu’attirer l’attention des jeunes filles un peu plus dégourdies de 1934, même si elles suivent encore les leçons de maintien et les cours ménagers.

 Au pays du mystère, c’est l’endroit où une mission commerciale et humanitaire, et très cosmopolite, s’est installée près du Tibet, au cœur des contrées mystérieuses dans la jungle des plateaux de Darjeeling. Les parents adoptifs de Michel, son oncle et son épouse américaine, sont d’anciens explorateurs, des alpinistes chevronnés qui rêvent secrètement de gravir les hauts sommets environnants. Hélas, les sectes bouddhiques, fanatiques et violentes, les ont dissuadés de dévoiler leur projet. Leur objectif est cependant découvert. Michel et Sonia sont enlevés en représailles, pour ces raisons et celle, encore plus époustouflante, que voici : les deux enfants seraient des incarnations divines que les sectateurs se doivent de prendre et garder au plus secret de leurs temples.
Les deux enfants kidnappés vont vivre une grande expédition, malmenés mais aussi protégés par leur ravisseur Tibboo, un indien fanatique, certes, toutefois doté d’une grandeur d’âme dont on aura la preuve en fin de volume. Le jeune Michel, sensible à la culture exotique, tentera d’intercéder entre l’homme fidèle à sa culture et les occupants occidentaux, une nuance assez rare dans ce genre de roman, même si son idéalisme est balayé rapidement au profit des contingences de la « réalité » adulte.

Le roman frôle la conjecture sans jamais la croiser. Si l’on avait pu espérer quelques tours fantastiques des adorateurs de Bouddha, l’amateur en est pour ses frais. Le fanatique utilise ses connaissances pour impressionner ses hommes de main malais plus incultes, comme tout homme intelligent et pragmatique. Ici, un feu dévorant est soi-disant arrêté par l’intervention sacrée de Bouddha. Pierre Maël explique, immédiatement, que le païen n’a fait que profiter des conditions météorologiques pour mener son groupe à l’abri du brasier. Une pirouette habile qui, sans qu’il soit possible de l’éviter, donne à l’astucieux idolâtre une dimension culturelle plus moderne, bien qu’elle soit utilisée pour berner ses coreligionnaires. Pierre Maël rassure son lectorat, les miracles n’ont pas lieu hors de la religion catholique, mais certains ont-ils senti près de quel précipice titubait la foi en général ? Les auteurs permettent cependant une fin sublimée à celui qui causa tant de dangers et de chagrin, tandis que les secours occidentaux rejoignent enfin les deux enfants, à la trois-centième page.

Extrait : pages 272 & 273, un fanatique astucieux dompte l’incendie infernal

Il allait venir, dévorant tout ce qui vivait, jusqu’à la bouche rocheuse du gouffre.
Et voici que tout d’un coup, par un véritable prodige, la marche du fléau était suspendue. La muraille de flamme se dressait à moins de cinq cents mètres des fuyards, mais les lèches aiguës se renversaient en arrière comme repoussées par une invisible main. En même temps un vent violent, soufflant du nord-est, refoulait au loin la fumée sur les terres incandescentes, étouffant ainsi le foyer de combustion.
Le miracle était accompli. Bouddha venait de se révéler tout-puissant sous la figure de l’enfant blanc.
Une longue rumeur d’admiration stupide avait couru dans les rangs des fanatiques.
Et soudain, dominés par une même pensée, pleins de la terreur superstitieuse du prodige, ils tombèrent agenouillés, le front dans la poussière torride, au pied de Michel et de Sonia émerveillés, adorant la divinité dans l’éclat de sa force.
Pourtant il avait une explication naturelle, ce prodige, et la seule perspicacité de Tibboo l’avait justifié.
C’était en quelque sorte pour en préparer l’accomplissement que le fanatique avait, à de si fréquentes reprises, interrogé le ciel.
Habitué à suivre dans les phénomènes célestes les soudaines variations qui s’y produisent, l’Hindou s’était attaché à fuir toute catastrophe prévue jusqu’à l’heure où, par suite d’une modification météorologique, le vent, soumis à des lois presque mathématiques, aurait une de ces sautes brusques qui, dans l’océan Indien, donnent naissance aux cyclones.
Et c’était pour ce motif qu’en présence de l’incendie menaçant et des colères grondantes de la foule, Tibboo avait pressé sa marche vers l’est, sachant bien que le souffle du nord ne pouvait venir par la trouée des montagnes et, l’ayant, en quelque sorte, vu venir, avait voulu lui donner le temps d’arriver.
Le calcul était d’une habile logique. En hâtant la marche de la caravane, on augmentait aussi ses fatigues, mais, par là même, on rendait le prodige plus éclatant en le rendant plus indispensable.

Extrait : pages 306 & 307, une fin spectaculaire et sublimée

« Ne leur faites pas de mal, ne leur faites pas de mal ! gémit-il. J’ai juré qu’on ne leur ferait pas de mal. »
Les quatre assaillants s’arrêtèrent, impressionnés par l’étrangeté autant que par la grandeur du tableau.
Ils avaient sous les yeux tout le panorama féerique et sublime, la vaste plaine et les sommets successifs du mont, la nappe étincelante du Tsang-Bo, ensevelie dans les cluses étroites ou bue par d’invisibles bouches. Et sur leur droite, aux pieds de Tibboo immobile, s’ouvrait l’effrayant précipice, la crevasse à pic.
Le fanatique était debout, les bras étendus, l’œil au ciel, comme en extase, suspendu sur la lèvre du gouffre.
Il priait, et l’on voyait sa bouche remuer des oraisons. Son œil, plein de visions de l’au-delà, perdait son regard dans la voûte bleue.
Cet homme était déjà en dehors de l’humanité.
Tout à coup, les paupières de l’Hindou s’abaissèrent.
Un regard d’indicible tendresse s’en épancha, enveloppant Michel comme d’une caresse ;
« Adieu, petit Michel, murmura-t-il. Je t’aimais bien ! Souviens-toi de moi, mon fils, mon dieu ! »
L’enfant se retourna et vit sur les traits de l’extatique l’irrévocable résolution.
« Ne mourez pas, Tibboo, cria-t-il. Bouddha le défend.
– Le Bouddha le veut, enfant, répondit l’Hindou. Il s’est retiré de toi. Adieu ! je t’aime. »
Et, doucement, le sourire aux lèvres, à reculons, comme s’il eût glissé sur l’herbe, il atteignit l’arête extrême de l’infernale margelle. Ses pieds quittèrent le bord, il s’abîma.
Pas un cri, pas un son ne vint révéler aux spectateurs à quelle profondeur s’était arrêtée la mortelle chute.
C’était un effacement dans l’espace, une véritable disparition.

La réédition est largement illustrée, seize superbes gravures en pleine page et de nombreuses illustrations dans le texte, d’une finesse remarquable. C’est Alfred Paris (1846-1908) qui met son talent au service des décors montagneux et des situations scabreuses. Alfred Paris fut l’illustrateur de nombreuses œuvres de Pierre Maël, Un mousse de Surcouf , Petit Ange, Une Française au Pôle Nord, Terre de fauves, etc.
Le cartonnage de 1934 présente un petit mystère non résolu : toutes les éditions du début du siècle annoncent huit gravures pleine page et celle-ci en affiche seize. S’agit-il alors d’une publication à l’identique de l’édition originale dont je n’ai pas le détail ?

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