Belen (Nelly Kaplan), La Reine des Sabbats, illustrations de Maréchal – Éric Losfeld (1960)

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Nul n’ignore plus depuis longtemps l’identité réelle de l’auteur des recueils La Géométrie dans les spasmes, La Reine des Sabbats, …et délivrez-nous du Mâle, réunis avec des dessins d’André Masson dans Le Réservoir des sens en 1966, sous le nom de Belen. Depuis, la réalisatrice Nelly Kaplan a publié d’autres fictions : chez Jean-Jacques Pauvert Le Collier de Ptyx et Mémoires d’une liseuse de draps (réédité sous le titre Un manteau de fou rire), à La Différence Aux orchidées sauvages, au Castor astral Ils furent une étrange comète, et Cuisses de grenouille chez Maren Sell. Enfin, le roman Et Pandore en avait deux ! aux éditions du Rocher est complété par sa correspondance avec Abel Gance. Ce dernier livre comporte un cahier de photographies qui permet de voir Nelly Kaplan en 1957, jeune Argentine au beau profil de femme fatale, ou souriante, lèvres gourmandes et regard insolent.

La Reine des Sabbats ne comprend que cinq nouvelles : « La reine des Sabbats », « Aimez-vous les uns sur les autres », « Le retour de l’enfant prodige », « Un fait d’hiver » et « De Vampyris illustribus urbis Beleni ». Si Le Réservoir des sens rassemble vingt-six nouvelles (sans compter « La Gardienne du Temps »), il ne reprend pas « Le retour de l’enfant prodige », peut-être trop court et elliptique, de même qu’il oublie les pourtant plus longs « Caïn et la belle » et « L’extrême ponction », uniquement présents dans …et délivrez-nous du Mâle.

La Reine des Sabbats s’orne en couverture et en illustrations intérieures de six dessins, semblables à des gravures, signés « Maréchal ».  Le site bibliographique NooSFere l’identifie à Christian Maréchal, mais grâce à Henry Clemens, nous savons désormais qu’il s’agit en fait du graveur Jacques Le Maréchal, proche des Surréalistes.

Les contes du Réservoir des sens se caractérisent par leur humour. Les titres reposent souvent sur le jeu de mots, de même que les idées à l’origine des récits. Qu’ils relèvent du fantastique ou qu’ils jouent avec les thèmes de la science-fiction, tous sont des hymnes à la gloire d’Eros. Conjuguant l’irrévérence avec l’érotisme, l’imagination avec l’humour, ces pages regorgent de phrases savoureuses. « Que celui qui n’a jamais aimé un vampire me jette la première gousse ! » « Puis le combat s’arrête, faute de cons battants. »

Le fantastique a la part belle, surtout avec le thème du mort désirable, décliné sous la figure du vampire (« Le jour du saigneur », « Lorsque la femme parée », « De Vampyris illustribus urbis Beleni », « La circonstance exténuante », « Veillons au salut du vampire »), du nécrophile (« L’enterrement du comte d’Orgasme », « Le plaisir solidaire ») mais aussi du fantôme (« L’impôt sur le revenant »). Les formes d’amour déviantes comprennent aussi la zoophilie (« Prenez garde à la panthère », sans doute inspiré de La Féline) et la passion pour une statue égyptienne (« Quarante siècles nous contemplent »). Enfin, la sorcière, magicienne qui exauce les vœux (« L’adaptation au milieu » et son élixir de long v.) ou maîtresse d’un érotisme animal (« La reine des Sabbats ») reste un personnage privilégié de cette inspiration fantastique, comme en témoigne aussi « La gardienne du temps ».

La science-fiction n’est pas en reste, avec le danger nucléaire (« On s’aime à tout vent »). Une société matriarcale future peut s’élaborer, montrée aussi bien du point de vue d’un homme (« Je vous salue, maris ») que d’une femme (« L’élection de M. Univerge ») ou d’une immortelle (« L’éternel détour »). Les divagations spatiales se succèdent, des chanteuses martiennes (« Qui m’aime, m’essuie ») à l’extraterrestre fascinant (« La fonction crée l’orgasme »). « Le réservoir des sens » revisite de son côté le thème des amours robotiques, d’une manière qui n’a rien à envier à Robert Sheckley (« Et quand je vous fait ça, vous sentez quelque chose ? »), le robot érotique se révélant bien peu docile…

Restent quelques contes isolés, nostalgie de certaine pratique érotique (« La glotte de Circé »), tragique accident (« Le miroir des amants »), relation destructrice (« La géométrie dans les spasmes »), crime motivé par une répulsion absolue (« Un fait d’hiver »), ou réécritures de l’histoire (« La découverte de l’amer hic », « L’Amante religieuse »), y compris sacrée (« Aimez-vous les uns sur les autres »).

Certaines de ces joyeuses rêveries et fables amorales ont d’abord été publiées en 1959 et 1960, dans la revue Fiction : « Je vous salue, maris… », « Le jour du saigneur », « Lorsque la femme parée », « Quarante siècles nous contemplent », « Veillons au salut du vampire ».

Deux contes de 1959 sont assez vite réédités : « Prenez garde à la panthère » dès 1963 dans l’anthologie Histoires étranges chez Casterman, et « Le Réservoir des sens » dans Les Chefs-d’œuvre du crime chez Planète en 1965. On notera la présence dans ce dernier volume d’une nouvelle de Jacques Sternberg, qui est aussi le premier publié dans la collection qui accueille La Reine des Sabbats chez Losfeld. Le titre du premier recueil de Belen, La Géométrie dans les spasmes, de 1959, fait écho à La Géométrie dans la terreur du même Sternberg, paru en 1955. Enfin, dans sa préface à l’ultime édition du Réservoir des sens en 1995, Nelly Kaplan conclut par un dernier clin d’œil possible au maître belge de l’humour noir : « Par Isis la sortie, au fond du spasme… », qu’il est difficile de ne pas rapprocher de La Sortie est au fond de l’espace. Cette proximité entre les deux auteurs ne semble jamais avoir été relevée, alors que Sternberg bénéficiait déjà d’une certaine influence, qui a pu stimuler la plume de la novice en littérature. Ils ont en tout cas entretenu une correspondance, puisque la revue Histoires littéraires a publié en septembre 2011 des lettres de Jacques Sternberg à Nelly Kaplan.

Cet ensemble enchanteur de contes licencieux montre une hardiesse et une liberté réjouissantes. Si elle s’inscrit parfaitement dans la lignée surréaliste, Nelly Kaplan sait aussi jongler avec la science-fiction et le fantastique sans honte ni pudeur, mais avec une belle aisance.

Nelly Kaplan, Le Réservoir des sens, Le Castor astral, 1995. Couverture : Foujita, La Dompteuse et le Lion, 1930. Illustrations intérieures d’André Masson.

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