Publicités trouvées dans un classeur de lainages (1)
Ce classeur fut probablement luxueux, titre sculpté en relief et doré, motifs dorés aussi, un beau rouge sombre, pour une collection de lainages en 1927, à Lille bien sûr, grande cité consacrée au tissage. Un enfant, à qui l’on aura donné la reliure abîmée pour conserver ses trésors de papier — à moins que ce soit un collectionneur de l’époque — a soigneusement rangé des publicités imagées offertes. Difficile de dater précisément ces imprimés de diverses tailles, souvent non signés, d’après le style, les marques commerciales, ils ont été distribués entre 1930 et 1940.
Les quatre publicités présentées ici ont été commandées par la société Delespaul-Havez, une maison créée par Henri Delespaul et son épouse Amélie Havez en 1848. Le ménage fabriquait des dragées et des bonbons en chocolat qu’il vendait avec succès à l’enseigne « Au Parrain Généreux » dans une confiserie artisanale au centre de Lille, près du Passage parisien. Fort de la réussite de leurs douceurs, le couple crée la tablette de chocolat, s’agrandit en ateliers à proximité, puis déménage rue Nationale et construit une usine de bonbons… Oompas-Loompas, cela devait sentir bon !
Mais ce n’est pas ce couple fortuné qui fera la célébrité des établissements Delespaul-Havez : en 1893, sans héritier, ils revendent leur affaire à Messieurs Franchomme et Fauchille. Ces derniers s’installent cette fois à Marcq-en-Barœul et c’est dans cette ville que la manufacture emploiera la population durant le XXe siècle. Monsieur Franchomme, plus connu que son associé, devient une personnalité du who’s who nordiste, amateur de courses automobiles, maître hippique, il est aussi ingénieur et stratège commercial. C’est sous sa direction que sont parues les publicités suivantes. Les enfants des deux copropriétaires de la Chocolaterie Delespaul-Havez profiteront de l’expérience paternelle, et c’est l’un d’entre eux qui créera le fameux bonbec désormais célèbre dans le monde entier : « le Carambar » ! (Caram’bar jusqu’en 1977)
La légende dit qu’une erreur de fabrication donna naissance à la petite barre de caramel mou (qui n’était pas si mou d’après mes souvenirs) en 1954. En 1969, un descendant avisé se rappela peut-être les textes sous images que l’on distribuait aux enfants dans les années 1930. Quoi qu’il en soit, lui ou un employé créatif invente la blague Carambar, une astuce qui fait encore aujourd’hui la célébrité du bonbon, souvent utilisé pour qualifier une histoire drôle un peu médiocre. Depuis longtemps, le nom de la société s’est effacé devant son produit, et n’appartient d’ailleurs plus ni aux Delespaul-Havez, ni aux familles Franchomme-Fauchille.
Ainsi que le faisaient la plupart des industriels et commerçants de l’époque, les publicités furent commandées aux éditeurs-imprimeurs d’imageries installés entre Épinal et Nancy depuis le XIXe siècle. Celles-ci proviennent des Imageries Réunies Jarville-Nancy, elles sont signées, ce qui n’est pas toujours le cas, par Alban Gaillard. Un illustrateur maison qui travailla dans la première moitié du XXe siècle, c’est tout ce que l’on pourra en dire.
Chaque planche est une histoire complète dont la trame est adaptée pour permettre l’évocation des fameuses tablettes de chocolat, la fierté des confiseurs lillois. Les récits sont d’inspiration morale, à l’instar de la vénérable tradition d’Épinal, d’autres sont issues des contes classiques pour les enfants.
La dernière histoire est plus intéressante et particulière : il s’agit d’un texte original, écrit sans aucun doute spécialement pour la région du Nord. Le héros en est Le P’tit Quinquin, le gamin qu’amiclotait sa maman dans la célèbre berceuse ch’ti. Le père a un nom typique de la région, Martial, et travaille comme ouvrier à l’usine, la mère est bonne ménagère. La vie est précaire et tous deux s’inquiètent pour la santé de leurs enfants. Sans vergogne, le publicitaire affirme qu’une délicieuse tablette de chocolat vaut bien un repas, et que l’argent rare sera mieux utilisé pour le bonheur et la santé de la famille…
Le dessinateur s’est empêtré dans le déroulement de son histoire : case 8, le garçonnet est de nouveau en pyjama après s’être habillé la case précédente.
Un conte classique détourné, le chocolat sauve les dames malheureuses en amour, on le sait bien.
Violette ou la boulimie de lecture : une leçon sévère ou une farce instructive, allez savoir…
Un récit localisé mais aussi plus réaliste du quotidien des acheteurs. À noter que notre P’tit Quinquin joue au Docteur Mystère, Paul d’Ivoi plane sur les esprits.
Par un donateur bienveillant, quoiqu’un peu effrayant, deux photographies d’objets Delespaul-Havez, prises dans l’ancienne maison… Delespaul. (et cela nous fait rire !)