Charles Reber – L’Appartement de l’avenir… ou à l’époque du “jour éternel” (1935)

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Suite de « Que nous réserve pour 1960 l’électricité reine de l’énergie ? »

« L’appartement de l’avenir… ou à l’époque du “jour éternel” », de Charles Reber, est paru dans Paris-Soir du 1er mai 1935.

Que nous réserve pour 1960 l’électricité reine de l’énergie ?

L’Appartement de l’avenir… ou à l’époque du « jour éternel »

C‘est ainsi, qu’un soir, nous sommes partis pour 1960 !

— Installez-vous confortablement dans ce fauteuil en tube, m’a dit mon ami Pierre, c’est le seul meuble de l’a, venir qui figure dans cette maison. Permettez-moi d’éteindre ce lustre stupide qui éclaire la pièce en dépit du bon sens et dont la lumière blesse les yeux. Nous serons plus à l’aise. J’allumerai, si vous le voulez bien, cette petite lampe de table, dont la lumière n’est moins énervante que parce qu’elle est plus faible.

— J’ai cru, répliquai-je interloqué, que c’était au royaume de l’électricité que vous vouliez m’emmener. Or, vous commencez par dénigrer systématiquement la force qui inspire vos prophéties scientifiques et que vous appeliez tout à l’heure la « Reine de l’énergie » ?

Un abîme

Mon ami prit place en face de moi, m’offrit une cigarette, en mit une à ses lèvres et gratta une allumette :

— Je voudrais répondre à votre remarque en vous montrant de façon tangible l’abîme qui séparera aujourd’hui de demain, dit-il. Nous avons justement sous la main des objets de comparaison. Regardez cette allumette ! Voilà où nous en sommes encore, en plein XXe siècle. La dernière invention, qui n’a pas réussi à supplanter l’allumette, c’est le briquet qui ne fonctionne jamais quand on en a besoin. Tant que nous en serons à l’allumette et au briquet, nous resterons prisonniers, par toutes nos fibres, de l’homme des cavernes. Le lustre que j’ai éteint, la petite lampe que je viens d’allumer, ne sont encore que des objets de transition. Quand nous aurons l’allumeur électrique, un petit objet plat et léger que les femmes porteront dans leur sac et les hommes dans leur gousset, nous ne tarderons plus à arriver à l’appartement de l’avenir.

— Votre démonstration est aussi brillante que captivante, dis-je. Avec votre vision si claire des choses, décrivez-moi donc cet appartement de l’avenir !

— Mon Dieu ! dit Pierre, je ne suis pas un voyant ; je suis plus simplement un « prophète scientifique », comme vous le disiez vous-même, il y a quelques instants. Ce que seront les murs. les tentures, les meubles de l’avenir, je l’ignore autant que vous. Tout cela dépend de tant de modes et de hasards ! Mais ce que je peux vous dire, à coup sûr, scientifiquement parlant, c’est ce que seront dans l’appartement de nos enfants l’éclairage et le chauffage.

— Ce n’est déjà pas si mal ! Je vous écoute !

La nuit abolie par le « jour éternel »

— Permettez que, pour plus de clarté, je continue à procéder par comparaisons. Je me souviens, qu’avant la guerre, quand j’étais un petit garçon, on s’éclairait avec des lampes à filament de charbon qui ne chauffaient qu’à 700 ou 800 degrés. Vous souvenez-vous comme on voyait rougir le fil, quand on allumait ou éteignait l’électricité ? Cette lampe était alors une invention prodigieuse ! Aujourd’hui, elle nous paraît grotesque. Nous avons inventé l’ampoule à filament métallique, dont la température atteint 2.000 degrés. L’idéal, qu’il faut atteindre, c’est la température du soleil, c’est-à-dire 6.000 degrés. L’habitation entière de l’homme en sera transformée. La voilà, la grande révolution qui nous attend !

— Vous imaginez… pardon ! vous croyez que cette seule invention peut bouleverser la vie de l’homme ? Ne comprenez-vous pas que la lampe de l’avenir — et non celle qui brûle là, sous vos yeux — qui éclairera l’habitation à la température du soleil, donnera ni plus ni moins la lumière du jour ? Avez-vous une idée de ce que cela signifie ? Vous faites-vous une image des conséquences sociales de cette invention ? Le spectre de cette lumière sera identique au spectre solaire. Nous aurons des « lampes à lumière intégrale ». Même dans la région invisible du spectre, du côté de l’ultra-violet, elles auront exactement les mêmes radiations que la lumière du jour…

Mon ami continuait à discourir, mais je ne l’écoutais déjà plus, charmé que j’étais par cette promesse. Ainsi, en 1960, l’homme aura aboli la nuit. Nous vivrons à l’époque du « jour éternel ». Le mot si doux du crépuscule sera banni du vocabulaire ! Je ne sais pourquoi une phrase de Pelletan me revint à la mémoire : « La nuit appartient à la pensée, le jour à l’action ». L’homme de 1960 aurait-il encore le temps de penser ? Sa vie entière appartenant au jour éternel ne sera-t-elle pas plus trépidante que jamais ?

Prolonger la vie humaine et retarder la vieillesse !

— Et vous croyez, dis-je timidement, tremblant d’articuler une stupidité, que ce jour éternel ne sera pas néfaste pour l’homme ? La moyenne de la vie humaine ne va-t-elle pas s’abaisser sensiblement ?

— C’est bien le contraire qui se produira, dit Pierre d’un air convaincu. Le défaut de radiations joue un très grand rôle dans le vieillissement de l’homme. Les lampes qui distribueront généreusement la lumière solaire dans les rues et dans les habitations ne pourront avoir qu’un effet salutaire sur la vie des hommes. Nous apprendrons à nous servir des radiations. Déjà, nous avons le radium, l’infra-rouge et l’ultra-violet. Ce ne sont que des balbutiements ! La greffe électrique n’en est aussi qu’à ses débuts. Un jour viendra où nous aurons décelé toute la gamme des radiations ; alors, il sera aisé de prolonger la vie humaine et de retarder la vieillesse. Chacun aura à domicile les radiations dont la médecine commence seulement à se servir. Je vais plus loin encore : nous pourrons avoir, chez nous, des radiations qu’on ne trouve qu’à une certaine altitude. Qui dit qu’en « climatisant » un appartement par des appareils que nous possédons déjà, il ne sera pas possible de faire à domicile des cures d’altitude ?

» J’ajoute, reprit Pierre, que ces lampes ne seront pas moins favorables à la vie des plantes et des poissons en appartement. J’imagine aisément qu’il régnera dans les habitations de 1960 un éternel printemps. L’air sera sans cesse parfait de température et de pureté, et les fleurs pousseront sans difficultés sous la lumière artificielle. La vie nocturne, si déprimante aujourd’hui, en raison même du manque de lumière solaire, retrouvera sans doute la même valeur physiologique que la vie diurne.

— Mais cette vie nouvelle que vous peignez de façon si captivante, vous oubliez qu’elle dépend aussi du chauffage…

— Mon cher ami, tout cela se confondra. Nous n’aurons plus un éclairage, un chauffage, une aération ; nous aurons un « climat ».

A l’heure actuelle nous chauffons la Seine…

» Voyez-vous, — et c’est une des choses qui m’irritent le plus — nous méconnaissons complètement la valeur de l’électricité : c’est du diamant ! Et nous nous en servons comme du charbon ! Nous sommes d’affreux gaspilleurs !

» Avez-vous entendu parler du principe de Carnot qui a été énoncé vers le milieu du dernier siècle par le fils de l’organisateur de la victoire ? Ce principe de Carnot, un des plus importants de la physique moderne, est en réalité une dure loi « vieille comme le monde et la fatalité ». une inéluctable loi d’airain. On l’énonce ainsi :

« Celui qui veut, à partir du charbon, créer de l’énergie motrice, ou de l’électricité, doit se résigner à faire abandon des neuf dixièmes de l’énergie calorique du charbon. »

» Comprenez-vous qu’on ne puisse pas se permettre de gaspiller une énergie si ruineuse à produire. Mais que deviennent alors les neuf autres dixièmes, ceux que vous gaspillez ?

— Mon cher, prenez un thermomètre ; allez mesurer la température de l’eau de la Seine en amont et en aval d’une des grandes usines qui produisent l’électricité sur ses bords. Vous trouverez quatre à cinq degrés de différence.

» Le plus clair du charbon consommé, si étrange que cela paraisse, est employé à chauffer la Seine ; et tant que la Science ne nous aura pas donné d’autres moyens, la Technique ne pourra rien à cela. Mais ce que nous pouvons, c’est éviter de gaspiller l’électricité produite au prix de tels sacrifices. C’est de la considérer comme une denrée précieuse dont il faut utiliser jusqu’à la dernière miette. C’est de lui faire rendre tout ce qu’elle peut donner ; ne pas lui faire produire sottement de la chaleur

comme aurait aussi bien fait le charbon dont elle est issue, mais l’utiliser pour obtenir un « climat », c’est-à dire sélectionner les radiations utiles à notre santé ou à notre confort, et produire celles-là seulement.

— Et comment opérer cette sélection ?

Nous aurions chaud dans un bloc de glace

— Ce n’est plus désormais qu’une question technique. Il s’agit pour nous d’apprendre à diriger les radiations, exactement comme nos pères ont dû apprendre à diriger la vapeur. Le problème n’est pas plus compliqué à résoudre. Pourquoi n’aurions-nous pas, dans nos appartements, d’ici quelques années, des sortes de corniches de chauffage rayonnant, analogues à nos corniches de lumière indirecte ? Ayant appris à diriger les radiations, il nous sera possible d’envoyer celles-ci sur les personnes, les plantes ou les animaux, sans modifier en rien la composition de l’air. Nous aurons chaud dans un air froid. Nous aurions chaud à l’intérieur d’un bloc de glace à condition que cette glace fût bien transparente. Le chauffage électrique aura toutes les vertus de celui que procure le soleil. Le skieur en maillot de bain, par plusieurs degrés au-dessous de zéro, a-t-il froid quand il est soumis à l’activisme solaire ?

— Et j’imagine que, l’été, la fraîcheur régnera dans cet appartement ?

— C’est là le problème de la pompe à chaleur qui existe déjà, cher ami. C’est la glacière à l’envers et rien de plus. Cet appareil qu’on construit aujourd’hui est susceptible de procurer le chaud ou le froid à volonté. Croyez-moi, nous ne sommes pas très loin du but à atteindre !

L’image de l’habitation de l’avenir se précisait devant mes yeux éblouis ! Déjà, le confort tant vanté et si cher des grands appartements de luxe me faisait sourire. J’imaginais de grandes pièces, bien aérées et bien éclairées, garnies de plantes et aux murs sobres. Dès l’instant où la plante pourra aussi

bien vivre à l’intérieur qu’à l’extérieur, les hommes éprouveront-ils encore le besoin de se la représenter sur des papiers peints multicolores pour orner leur demeure ? Leur œil, émerveillé par la télévision à la portée de tous, ne demandera-t-il pas des surfaces unies pour se reposer ? Tout se tient, tout s’enchaîne ? La technique commande…

— Et nous ne voudrons même plus ouvrir une porte ou une fenêtre ? dis-je, comme en matière de conclusion.

— Ce temps n’est certainement pas très loin. Déjà pour les voitures, il existe des garages équipés de cellules photo-électriques qui ouvrent la porte devant laquelle on se présente. Peut-être voudrons-nous aussi que les lampes s’allument automatiquement quand le jour descend ? C’est déjà du domaine du possible ! L’électricité est en train de reculer à l’infini les bornes du progrès.

…à suivre dans : « La ménagère “fin du vingtième siècle” ».

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