Charles Richebourg crée le sergent-détective Littlejohn dans Le chemin de la fortune
Éditions Ferenczi, collection Mon Roman d’Aventures n° 438, 1957
Le cas Charles Richebourg relève de l’affaire mystérieuse. L’auteur apparaît dans les publications Ferenczi, au cours du premier trimestre 1955, et s’évanouit trois ans plus tard exactement, sans laisser aucune trace. Entre temps, il aura écrit soixante-deux récits pour trois collections, Mon Roman d’Aventures, Mon Roman Policier, et les derniers pour la nouvelle série Police et Mystère. Au rythme régulier, près de deux textes bimensuels, s’ajoute une véritable aisance de l’écriture, mieux, un style reconnaissable. S’agit-il d’un amateur particulièrement doué ou d’un auteur plus connu arrondissant discrètement ses fins de mois ? Les paris sont toujours ouverts, il n’existe sur aucun registre officiel et les archives des éditions Ferenczi ont disparu.
Les deux collections policières accueillent uniquement un héros récurrent, le commissaire Odilon Quentin, pour des enquêtes classiques et efficaces. Dans Mon Roman d’Aventures, Charles Richebourg diversifie ses talents, il écrit quelques histoires bien troussées pour les genres fantastique ou d’aventures. Il affectionne cependant les intrigues mettant à jour les manigances d’escrocs truculents. D’un genre ou d’un autre, on retrouve la même désinvolture souriante quand elle n’est pas mâtinée d’insolence. Cette insouciance est tempérée par un réel attachement aux personnages, issus souvent du milieu populaire, traités avec un humanisme sympathique qu’ils soient des antipodes ou d’Europe.
Parmi ces textes, quatre se distinguent, d’un genre plus particulier. Une trilogie d’abord, parue en 1955, qui s’avère en fin de compte être un roman dissimulé en trois segments, et une dernière histoire courte, plus tardive, que nous avons publiée. Le héros de ces quatre fascicules interprète un personnage très britannique, le sergent-détective Littlejohn. Il se trouve mêlé d’abord à une conjuration criminelle d’envergure internationale, menée par des Chinois. La localisation demeure toutefois londonienne, le récit emprunte à la tradition des romans du début du siècle et de ses grands méchants, Fu-Manchu en tête. Le ton résolument humoristique et le scénario adroit sont les deux atouts que Charles Richebourg emploie encore dans la nouvelle Le chemin de la fortune écrite deux ans plus tard. Cette fois, le respectable officier de police se trouve en butte à la jovialité malicieuse d’une association inattendue. Deux hommes, l’un falsificateur de génie et l’autre son complice naïf mais consentant, montent une escroquerie énorme. L’auteur s’amuse tant à animer ce duo que le rôle principal du brave sergent pâlit de leur proximité, pour le plus grand plaisir du lecteur. Extrait :
Chapitre Premier
Billy Hopkins s’arrêta pile devant l’éventaire de Paméla Church, sur le Common de Tavistock, au coin de Butterwalk. Ce grand garçon de vingt-six ans possédait à son actif douze années de navigation ininterrompue ; il avait doublé quatre fois le Cap Horn, fait naufrage au large de l’archipel des Salomons, et encaissé de sacrés coups de tabac un peu partout, sur les océans du vaste monde ; mais en dépit de ces fortunes de mer qui lui avaient cuirassé l’âme en lui bronzant l’épiderme, il souffrait d’une incurable timidité dès qu’il se trouvait en présence d’une femme.
C’est ainsi qu’il resta planté sur le trottoir, la bouche large ouverte, aussi expressif qu’un poisson rouge dans son bocal. L’admiration le médusait, et son regard émerveillé caressait avec attendrissement la gracieuse silhouette de Paméla qui trônait entre deux mottes de beurre, devant un régiment de fromages à la crème, une roue de Chester et une manne d’osier remplie d’œufs.
La jeune marchande méritait l’hommage silencieux dont elle était l’objet ; jolie comme peuvent l’être les Anglaises lorsqu’elles ont vingt ans, son visage souriant de carte-postale faisait oublier la rusticité campagnarde de ses grosses mains rouges, aux doigts boudinés.
Rassemblant les bribes éparses de son courage en déroute, le marin s’approcha gauchement, bien décidé à traduire ses pensées intimes par des paroles appropriées. D’un geste machinal il rejeta en arrière une mèche folle de ses cheveux blonds, puis, tandis que son regard bleu trahissait clairement la profondeur de ses sentiments, il bégaya d’une voix plaintive :
« Ils sont frais, vos œufs ? »
Comme entrée en matière à une déclaration d’amour, c’était évidemment désastreux.
[…]
Reprise légèrement revue de la préface précédant Le chemin de la fortune, texte en numérique, epub disponible en téléchargement gratuit sur le site des Moutons électriques, écrit en 2014 pour Détectives Rétro, une anthologie d’enquêtes excentriques dont on peut lire une chronique critique ici : par Samuel Minne.