Copi, Virginia Woolf a encore frappé – Persona (1983)

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Dessinateur, écrivain, dramaturge, comédien, Copi était un artiste à l’œuvre protéiforme. Il a publié plusieurs romans, comme Le Bal des folles (1977), La Cité des rats ou La vie est un tango (1979), avant de mourir des suites du sida en 1987. Depuis, c’est d’abord son œuvre théâtrale qui a survécu à sa disparition : Eva PerónUne visite inopportuneLa Tour de la défenseL’Uruguayen… ont été montées par diverses troupes en France, en Argentine ou au Chili. Plus récemment, son ambitieux et inclassable Un livre blanc a été publié dans la collection des Cahiers dessinés, coutumière des défis éditoriaux, et Olivius (coédition entre Cornélius et L’Olivier) a rassemblé en deux tomes épais une grande partie de ses récits dessinés pour la presse (de 1965 à 1984), ressuscitant tout un pan de la bande dessinée satirique et nonsensique des années soixante-dix.

Il a aussi publié deux recueils de nouvelles : Une langouste pour deux (1978), chez Christian Bourgois, le principal éditeur de ses pièces, et Virginia Woolf a encore frappé.

Ce recueil de sept nouvelles paraît aux éditions Persona en 1983. Liées à Masques, revue des homosexualités, ces éditions sont l’une des premières maisons d’édition militantes, avant celles qui allaient fleurir à partir de la fin des années 1990. Désireuses de rendre visibles les homosexualités, elles rééditent Escal-Vigor de George Eekhoud, des opuscules de Natalie C. Barney, Le Livre blanc de Cocteau et Un garçon près de la rivière de Gore Vidal. Elles font paraître l’un des premiers témoignages d’homosexuel déporté en camp par les nazis, Les Hommes au triangle rose de Heinz Heger, et Mort de Pasolini de Dario Belleza. Les éditions Persona publient aussi des poèmes de Conrad Detrez, et en théâtre, Le Frigo de Copi et Bent de Martin Sherman (dont Sean Mathias a fait un beau film en 1997).

Copi fait d’ailleurs de son éditeur, Jean-Pierre Joecker, l’un des personnages de la dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil. C’est une autofiction qui met en abyme la conception du recueil, le narrateur rencontrant son éditeur dans une boîte gay. Le narrateur avoue que les nouvelles qu’il lui a envoyées étaient « de ces choses qu’on écrit à la hâte pour boucler une fin de mois en manque de marijuana ». L’éditeur lui réclame une septième nouvelle, qui peut faute d’inspiration se contenter de raconter la discussion dont elle est l’objet. La nouvelle bascule ensuite dans le policier grand-guignolesque : Jean-Pierre retrouve le barman égorgé dans les toilettes, et le bar est mitraillé par un (faux) gang de lesbiennes cubaines…

La première nouvelle, sobrement intitulée « Quoi ? Zob ! Zut ! Love ! », plonge dans un autre milieu que Copi connaît bien, non plus le milieu gay mais celui du magazine satirique Hara-Kiri. Dessinateur pour Le Nouvel ObservateurHara Kiri puis Charlie HebdoGai Pied et Libération, Copi a publié de son vivant une dizaine d’albums, dont les plus connus sont sans doute La Femme assise et Kang. C’est dans la collection bête et méchante de Hara Kiri que paraissent Le Dernier Salon où l’on causeDu côté des violésLes Vieilles Putes : la collection qui a diffusé de nombreux titres de Cabu, Gébé, Reiser, Willem ou Wolinski.

Dans cette nouvelle, un lettriste japonais qui travaille pour Hara-Kiri apprend par la femme de Choron qu’il vient de recevoir le prix des lettristes en bande dessinée du musée d’Art moderne de New York. Opposant la timidité et la discrétion de l’artiste nippon à l’exubérance et à l’humour grivois de l’équipe du magazine, le récit ajoute à la confusion de Ninu-Nip en le faisant sacrer par Hiro-Hito Prince Universel de la Poésie nippone, alors que son travail consiste principalement à calligraphier des interjections aussi triviales que « Quoi ? Zob ! Zut ! Love ! ».

C’est son Argentine natale qui sert d’inspiration à deux autres nouvelles. « La Déification de Jean-Rémy de la Salle » se présente comme un texte documentaire sur une tribu argentine, les Boludos (les porteurs de boules). La nouvelle décrit avec une minutie d’ethnographe les us et coutumes étranges de cette tribu véritablement extraterrestre. « On a beaucoup écrit sur eux, mais toutes les versions sont fantaisistes. » Le narrateur finit par se dévoiler au moment de parler du personnage du titre : journaliste pour Actuel, il devait accompagner Jean-Rémy de la Salle dans son reportage sur les Boludos. Il révèle le contenu du journal du jeune homme, retrouvé après sa disparition. Parodie de texte savant, la nouvelle rappelle aussi dans sa chute la nouvelle d’un autre auteur argentin : « L’Évangile selon Marc » de Jorge Luis Borges.

C’est en Argentine aussi que commencent les tribulations de Maria-José dans « Le Travesti et le Corbeau ». Née José-Maria dans un bidonville, prostituée dès l’enfance par son grand frère, elle est vendue par celui-ci à un collectionneur d’art français qui lui fait changer de sexe et de vie. Entre le sordide et le luxe, le récit relève aussi bien du roman picaresque que du réalisme magique.

Les trois nouvelles restantes du recueil s’inspirent surtout de l’actualité et du quotidien de la France du début des années 1980. « La Mort d’un phoque » est bien sûr un clin d’œil à la campagne de Brigitte Bardot à l’époque, et porte sur le triste sort d’un militant envoyé au Groënland sauver les phoques en pulvérisant de la peinture sur leur fourrure, ce qui les rend inexploitables mais les intoxique. L’absurde et la cruauté règnent également dans « La Césarienne », sur la séparation entre deux époux, une naine et un avocat socialiste. Jacqueline tombe amoureuse d’une célèbre activiste naine noire américaine, Linda Davis, dont le nom reprend celui de la féministe antiraciste Angela Davis. Enfin « La Baraka » met en scène un narrateur maghrébin qui retrouve dans une prostituée ivre-morte sur le trottoir la femme riche et distinguée qui l’avait engagé comme jardinier dans leur propriété marocaine.

Dans plusieurs de ces nouvelles, le cynisme le dispute au sordide. Des personnages subissent plutôt qu’ils vivent des destins désespérés qui leur échappent totalement, entre prostitution, drogue et meurtres. Militant homosexuel et transgenre, Copi s’appesantit à dessein sur les détails choquants et laisse partir ses récits dans le délire pur. Issu du bouillonnement créatif et militant des années 1970 et 1980, insolent et excessif, jamais réédité, Virginia Woolf a encore frappé est un précipité d’humour noir, un chaînon manquant entre le Topor de Café panique et l’Almodóvar de Patty Diphusa.

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