Copino, Les aventures d’un petit gars, Jean Le Bon
Une suite d’historiettes quotidiennes retraçant la vie d’un enfant de chœur, dans le milieu petit-bourgeois des années 1930.
Éditions Office Général Des Œuvres – Librairie L’École, Collection Cœurs Vaillants, 1934, cartonné illustré en couleurs par Raymond de La Nézière, 186 pages, illustrations au noir d’Étienne Le Rallic.
De Jean Le Bon, aucune information, est-ce un pseudonyme ou un écrivain éphémère ? Le premier de ses romans eut du succès puisqu’il écrivit un second tome des aventures de Copino, un bon petit gars respectueux de l’église catholique, mais pas exempt de légers défauts. Puis l’écrivain s’évanouit.
Raymond de la Nézière est demeuré beaucoup plus vivace dans les mémoires et sur les étagères des collectionneurs (voir le site familial). Ses illustrations sont animées, vives, le dessin rond est expressif, elles n’engendrent pas la morosité.
Étienne Le Rallic est également un dessinateur toujours apprécié. Son style s’apparente à celui du précédent, sans signature, il n’aurait pas été facile de les différencier. Le Rallic était connu pour son adresse à dessiner les chevaux dans toutes les positions. L’âne ne lui est pas inconnu non plus. Pour mieux connaître cet artiste breton prolifique, ce site fournit de nombreuses indications.
Le texte, ma foi, malgré une écriture primesautière, vaut surtout pour le témoignage archétypal de le vie quotidienne d’un enfant catholique de la petite bourgeoisie. Le lecteur sera peut-être surpris de voir des fautes aisément pardonnées, la morale estimant que les conséquences de l’acte sont suffisantes pour punir le galopin. À moins que les parents ne soient déjà gagné par un certain laxisme. On verra dans l’extrait que le ménage n’est pas très soigné ni les voisins bien distingués, avec force points d’exclamation. Mais l’abbé Bethléem, fervent défenseur des vertus catéchétiques, ne réprouva pas le laissez-aller de cette collection estampillée « bonne presse enfantine ». Peut-être parce que le véritable vaurien se reconnaît immédiatement à sa mauvaise mine et son ascendance douteuse, la démonstration du second extrait est édifiante.
Extrait : Copino fume
Copino, au contraire… Permettez-moi une révélation. Copino a, un beau jour, essayé de fumer.
Posée respectueusement sur le buffet, trône dans un écrin qui ressemble à un revolver, une pipe énorme on écume que papa tient de son père et pour laquelle il nourrit presque de la vénération. Avec quel soin ne la prend-il pas à l’heure où la digestion commence, quand le café fume sur la table !
D’un geste mesuré, il la récure avec un petit instrument spécial, la bourre lentement, savamment.
Vous avez déjà vu, bien sûr, une pipe « culottée » ; mais savez-vous ce qu’est une pipe bien « culottée » ?
Celle-ci correspond parfaitement, paraît-il, à l’idéal : à peine teintée à son bord, sa couleur va « crescendo » jusqu’au coudé délicat où les pipes ordinaires se brûlent et s’encrassent.
Là, elle devient foncée, presque noire, mais pas noire, certes, ce qui serait lamentable, brune seulement, puis la couleur va s’éclaircissant, s’éclaircissant,, jusqu’au bout d’ambre jaune et cylindrique traversé, en son centre, d’une petite ligne marron.
Mais ce n’est pas tout : une bonne pipe a son odeur, non pas ce goût âcre de bûche enflammée, mais ce parfum un peu sucré, presque oriental, et qui sent la résine de choix.
Papa, avant de s’en servir, promène toujours un peu ses narines au-dessus de cette pipe précieuse et, quelquefois, à Copino il la présente en lui disant : « Sens-moi ça : on dirait du miel I »
On dirait du miel !… On dirait du miel ! Copino trouve la chose drôle. A voir l’air heureux de son père pendant qu’en longues aspirations il déguste la fumée du tabac : « Ça doit être joliment bon », se dit-il. Les idées sont des forces, a-t-on affirmé, et poussent à l’action. « Si j’y goûtais, se dit un jour Copino, après tout, je m’arrêterais quand cela me fera mal. »
Hélas ! il y a des effets que personne ne peut arrêter malgré la meilleure volonté du monde !
Ce soir-là, maman était partie à l’école chercher la petite Marguerite, et papa ne devait rentrer que dans une demi-heure.
Respectueusement, avec le même geste si souvent admiré, la pipe fut soulevée, flairée, bourrée.
De ses lèvres allongées, notre homme saisit le tuyau fatal. Brrr ! ça pique déjà la langue.
En un tour de main, l’allumette prend feu, la flamme jaillit, puis la fumée : Bravo, Copino, tu es un homme : tu sais fumer !… Comme c’est bon ! Ce beau nuage bleu !… Ce petit gargouillis dans la gorge !…
Et Copino se promène, pipe au bec, et se redresse, et crache comme un homme… Que n’a-t-il devant lui Gadu et Grouillourot et Rondiballe pour les éblouir de ses prouesses !
… Quand papa et maman rentrèrent, rien n’y paraissait plus ; la fenêtre avait été ouverte pour chasser la fumée ; la pipe était dans son écrin ; et Copino avait le nez plongé clans son catéchisme. Au dîner seulement la chose tourna au tragique. Ce coquin de potage s’en fut réveiller au fond de l’estomac je ne sais quel soubresaut de mauvaise allure.
Copino était bien un peu pâle, mais, sous rabat-jour d’une lampe à pétrole, vous le savez comme moi, les visages sont toujours un tantinet blafards.
Et puis papa et maman avaient faim ; chacun songeait à manger, et l’on ne peut pas penser à deux choses à la fois, surtout si l’une des deux est complètement imprévue. Le macaroni survint, qui se fit complice du potage. « Diable ! Diable ! pensait Copino, il y a une bataille dans mon tempérament. »
Eh bien ! avec le dessert, la crise se serait peut-être calmée, et Copino se sentait plus à l’aise. Il parlait, parlait pour donner un peu le change à papa et à maman, et tout ce verbiage qui montait à ses lèvres semblait lui faire mieux descendre son repas.
Fatalité : un petit incident précipita l’issue de cette sinistre soirée :
« Pour un point, dit le proverbe, Martin perdit son âne ! »
Pour un petit sou, ce soir-là, Copino perdit toute contenance et de quelle tragique façon !
En voulant regarder l’heure, papa tira sa montre et fit tomber de sa poche une pièce de cinq centimes, qui dégringola sur son pied, et prenant l’élan sur la pente de son soulier s’en alla se promener presque sous le buffet, où elle se posa d’un air narquois après un bruit de petite et courte cascade.
Gopino — c’est un garçon complaisant — se précipita et allongea son bras sous le meuble : il en retira quantité de poussière et de « moutons • » agglomérés et collés à sa manche.
De sou, aucun.
« Prends la lampe ! » dit papa.
Et respectueusement Gopino, à deux mains, saisit le lumignon à pétrole qui trônait au milieu de la table.
Que se passa-t-il alors dans l’estomac de Copino ?
Sa première précipitation à se jeter par terre avait-elle, de manière inconsidérée, secoué tout son organisme ?
L’effort pour soulever la lourde lampe contracta peut-être trop fortement l’estomac de notre bonhomme.
Ô pipe sournoise et malfaisante, paresseusement posée sur le velours cramoisi de ton écrin, assiste au cataclysme provoqué par ta fumée !
Écoute ce hoquet désespéré et entends ce bruit de cascade…
Brusquement secoué d’un spasme vomitif, Copino lâche la lampe qui s’en vint répandre son pétrole et les débris de son ventre en porcelaine en plein milieu de la salle à manger.
Obscurité… odeur nauséabonde de pétrole, de macaroni, de fumée de pipe…
Ami lecteur, à l’imagination fraîche, je te laisse à soupeser le désarroi de la maison Copino à cette heure tragique…
Ajoute à cela que la petite Marguerite, laquelle s’absorbait à avaler des confitures, soudainement effarée, se mit à pousser des cris de paon comme si une poigne d’acier l’étranglait.
Les locataires d’à côté tapaient à la muraille et augmentaient le vacarme en voulant le faire cesser.
On entendit, sur le palier, un voisin grogner : « Moi, au moins, quand je bats mes gosses, je ne leur casse pas de la vaisselle sur la tête, ça revient trop cher ! »
Une demi-heure après, l’incident était clos ; les dégâts se totalisaient par une tache sur le parquet et une lampe de moins dans la maison Copino…
C’était le moment où notre petit homme, les mains jointes sur la couverture de son lit, murmurait sa prière du soir.
… Remercions Dieu des grâces qu’il nous a faites… Demandons à Dieu de connaître nos péchés… Examinons — nous sur les péchés commis…
A ces mots si graves, où notre héros chaque soir réfléchissait à toutes les bévues de sa journée, sous le regard du Dieu de justice et de bonté, il sentit, dans sa mémoire, une pipe énorme, à la fumée envahissante, s’emparer de son souvenir et ne laisser place pour rien autre chose.
Une crise bien salutaire de franchise le saisit.
Il se leva et s’en fut raconter tout à papa.
Mais papa commençait à dormir : « On verra tout cela demain », répondit-il entre deux bâillements.
Copino s’en fut se coucher, soulagé et de corps et d’esprit.
Il rêva qu’une grosse lampe luttait avec une petite pipe, et la petite pipe, sans effort —, tout en fumant de façon railleuse, mettait la grosse lampe en mille miettes.
Extrait : Le vaurien corse
Pour se rendre en classe, chaque matin, Copino faisait route avec quelques camarades, toujours les mêmes : Gadu, Pitot, Grouillourot et Rossibaladanqui.
Ce Rossibaladanqui, qu’on appelait « Danqui », par abréviation, était un personnage étrange, d’origine corse. Son père n’avait guère de métier fixe ; il se procurait — Dieu sait comment — pendant les six premiers jours de la semaine, des objets de toute sorte, vieux vêtements, vieux outils, vieilles croûtes, qu’il revendait, le dimanche, avenue Michelet, à Saint-Ouen, au « marché aux puces ». Son garnement de fils, haut sur jambes et rouge de teint, l’aidait dans ses besognes obscures.
Danqui, devant une page de grammaire et d’arithmétique, gardait une attitude faite d’effarement et d’invincible paresse, mais si la main paternelle l’invitait d’un signe à soulever un buffet ou à tirer une voiture à bras, ses épaules déjà carrées devenaient rudes à la besogne et quasi infatigables.
« Santa Croce ! — disait le père Danqui, avec son accent italien, — il me rappelle les chevaux de mon pays. »
Il aurait pu aussi, hélas ! son cheval de fils, lui rappeler les brigands du makis, dont, sans nul doute, il était le digne descendant.
À force d’entendre et de regarder son père, ce mauvais écolier était devenu le plus adroit des malandrins et le plus subtil des voleurs : il chassait de race.
Que de plumes, que de crayons s’étaient trouvés subtilisés par sa main malfaisante ! Pris en flagrant délit, il niait obstinément ou opposait à la colère du professeur un visage abruti aussi « impénétrable qu’une borne kilométrique. Parfois, le directeur de l’école faisait venir le père pour lui signifier l’indigne conduite de son héritier. Le bonhomme entrait alors dans une impressionnante fureur, jurait, mêlait l’italien au français : “Corpo di Bacco ! qu’on cherche dans la famille des Rossibaladanqui et toute la Corse se lèverait pour protester de la pure honnêteté de cette insoupçonnable famille !”
Après deux de ces tonitruantes séances, on s’était lassé des interventions paternelles ; le fils Danqui restait abandonné au fond de la classe, toujours bon dernier pour toutes les compositions, et toujours gardé à vue par les écoliers soigneux de leurs affaires.
Copino, presque seul, essayait d’entretenir avec ce Corse insociable des rapports d’amitié, non par goût certes, mais pour des raisons d’apostolat : de ce traîne-la-rue sans foi ni loi, et qui lançait aux quatre coins de l’horizon, pour la moindre raison, une grêle de “gros mots”, il s’était promis de faire un chrétien et de l’amener au “Bon Accueil”.
Tâche difficile, sans doute, mais n’avait-on pas souvent, au catéchisme, raconté la conversion des Barbares […]
L’une des nombreuses aventures domestiques de Copino l’amène à confectionner le repas du soir pour faire une « bonne surprise ». L’occasion inattendue pour nous, lecteurs du XXIe siècle, de goûter des yeux à la Soupe flamande aux haricots. Bon appétit !