Je dois bien l’avouer, je ne possède aucune information sur l’énigmatique « COSMO »…
Ce pseudonyme est absent de L’Encyclopédie de l’Utopie des Voyages extraordinaires et de la Science Fiction, de Pierre Versins, ainsi que de Rétrofictions : Encyclopédie de la conjecture romanesque rationnelle francophone, de Rabelais à Barjavel, 1532-1951, de Guy Costes & Joseph Altairac.
Était-ce un homme, une femme, un nom de plume collectif ? Seule certitude, COSMO a publié (au moins) 3 textes, présentés comme inédits, dans les pages du journal Le Peuple.
- « La Vérité sur l’Affaire Lucrèce », en deux parties, les 17 et 18 juillet 1922 : « De récentes fouilles opérées dans la Ville Éternelle, sous la direction du commandeur Tartarini della Bluffarda, ont amené la découverte — combien inattendue ! — d’une collection du journal « Vox Romœ » (La Voix de Rome), datée : « An cinq cent neuf avant Jésus-Christ », soit de dix-neuf siècles et demi antérieure à la découverte de l’imprimerie. »
- « Anticipation… Exhumatoire », le 24 juillet 1922 : « Par une matinée de Vendémiaire 3158, le professeur chinois Ki-Tong-Fou-Tu se promenait au milieu des ruines de Paris, perdu en méditations philosophiques. Il évoquait les faits gigantesques qui avaient empli le dernier millénaire et marqué l’évolution des humains vers un nouvel état social et moral. »
- « La Damnation de Job », le 7 août 1922 : « Assis confortablement dans sa rocking chair, Job, jubilant, regardait le cocktail glacé placé sur un guéridon, à côté de lui, se grattant, en même temps, le nez de la main droite, tout en lisant de l’autre, comme eût dit Ponson du Terrail, le Moniteur du Paradis (ce qui le montre bien un homme aux activités multiples), lorsqu’il reçut une visite inattendue. La visite du diable, autorisé par le Très-Haut à éprouver la constance du pieux descendant des patriarches. »
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Anticipation… Exhumatoire
Par une matinée de Vendémiaire 3158, le professeur chinois Ki-Tong-Fou-Tu se promenait au milieu des ruines de Paris, perdu en méditations philosophiques. Il évoquait les faits gigantesques qui avaient empli le dernier millénaire et marqué l’évolution des humains vers un nouvel état social et moral ; la terrible guerre de 1914-1918, la réaction, puis la révolution qui, inévitablement, l’avaient suivie tandis que, au milieu des âpres luttes de personnes et de partis, continuait de se désagréger l’ancien régime gouvernemental et capitaliste.
Il allait, solitaire et songeur, pendant que, au-dessus de lui, le ciel clair était traversé d’aéronefs effectuant le trajet Irkoutsk-Concarneau. Car ces deux localités, jadis peu importantes, surtout la dernière, étaient devenues avec le temps de grands centres de l’activité humaine.
— Comme tout change ! murmura le digne professeur.
Et, sa rêverie suivant son cours, il évoqua le triomphe, puis l’effondrement du bolchevisme, la grande insurrection pan-islamique dans le continent noir, son écrasement et la constitution des États-Unis d’Afrique, la guerre, économique d’abord, militaire ensuite, entre les multitudes asiatiques et les peuples européens, lutte d’un siècle, qui devait finir par l’écrasement de ces derniers.
— Et au bout de tous ces massacres, pensait Ki-Tong-Fou-Tu, ç’a été le mélange de deux civilisations différentes, l’apaisement, et la reprise de l’éternelle évolution sur un plan différent. Les vaincus eux-mêmes ont pénétré les vainqueurs de leur idées et de leurs arts !
Peut-être eût-il pu dire cela en latin : Græcia capta cepit ferum victorem… Mais, en l’an 3158, le nom et les œuvres du vieil Horace étaient oubliés, comme bien d’autres choses !
Ki-Tong-Fou-Tu arpentait la route, bordée de chênes, qui, dans les temps anciens, avait été le boulevard Montmartre.
Des pierres, noircies par le temps, indiquaient de vieux emplacements. Le promeneur, archéologue éminent, put ainsi reconstituer l’emplacement du passage des Panoramas et du théâtre des Variétés. Sous un bloc, un lézard vert, très impudique, contait fleurette à une lézarde.
— Dire qu’il y a eu ici des foules actives, affairées ou joyeuses ! soupira-t-il. Ah ! fourmis que nous sommes ! notre vie est bien peu de chose !
Et il se dirigea vers l’ancien Palais du Vol, appelé au vingtième siècle La Bourse, curieux de voir ce qu’il en restait.
Soudain, il s’arrêta court : sous un amoncellement de blocs effrités, auxquels nulle main n’avait touché, que nul pied peut-être n’avait heurté depuis d’innombrables générations, béait quelque chose comme un couloir. Couloir étroit, à peine pour le passage d’un homme ! Mais Ki-Tong-Fou-Tu, nourri exclusivement de philosophie panthéistico-moniste et de pastilles de houille comestible, n’était pas gros. Avec la sveltesse d’un chat, il se glissa dans l’ouverture et sentit bientôt le sol descendre sous ses pieds en pente très raide. Il roula, plutôt qu’il ne descendit, dans une espèce de caveau assez spacieux, faiblement éclairé par la lumière qui filtrait d’en haut.
Ki-Tong-Fou-Tu, heureusement, était nyctalope. Cette faculté de voir dans les ténèbres lui fit découvrir, à deux pas devant lui, quelque chose comme un sarcophage en bois métallisé.
— Par l’éternelle Force-Matière ! s’écria-t-il, je devine une découverte qui ne sera pas piquée des vers.
Il se pencha sur le coffre funèbre et y déchiffra sans trop de peine, car il était versé dans la connaissance des langues anciennes, cette inscription non effacée, écrite en français du vingtième siècle : « Ci-gît, épargné, et même mis en conserve, le nommé Honoré Cudois, directeur du journal Le Libre Bluff, réservé intact à, l’admiration de nos descendants. A ouvrir (le coffre et non l’individu) dans quelques centaines d’années. »
— Honoré Cudois ! fit Ki-Tong-Fou-Tu. Connais-pas.
Et mentalement il ajouta :
— Il est vrai qu’en 1925 !… A cette époque lointaine, les Européens n’étaient encore que des barbares. Ils sortaient d’une extermination de quatre ans, avaient des esclaves salariés dans les usines, croyaient à un sorcier nommé pape et rétribuaient l’amour.
Il cracha de dégoût en songeant à l’ignominie d’un pareil temps.
Cependant, armé de patience et d’une de ces clefs panurgiques d’un usage si répandu au trente-deuxième siècle, clefs en même temps couteau, marteau, tenaille, électro-moteur et projecto-réflecteur, le professeur s’était baissé sur le cercueil. En quelques minutes le couvercle était soulevé.
Il s’échappa du réceptacle ouvert une odeur que, d’abord, Ki-Tong-Fou-Tu ne put définir : c’était comme un courant glacial portant une senteur de menthe et de camphre. Le professeur se rappela ensuite que l’historien japonais La-Itou-Lalla, dans son Europe barbare, fait allusion à un procédé employé par quelques chimistes du vingtième siècle pour la conservation indéfinie, sinon éternelle, des corps vivants.
Cependant, sous l’influence d’une température plus douce, Honoré Cudois s’était réveillé.
Avec la gaucherie d’un simili-cadavre qui revient à la vie, il se dressa sur son séant, se frotta les yeux, éternua dans la bouche de Ki-Tong-Fou-Tu, lequel recula à demi-asphyxié. Puis il éructa énergiquement :
— Mort aux Juifs !
— Les Juifs ! s’esclaffa le professeur. Ah ! mon bonhomme, tu retardes de pas mal de siècles. Il y a longtemps qu’il n’en reste pas plus que de Chrétiens !
Cudois n’avait point compris ces paroles jaillies en pur chinois du gosier du professeur. Il continua, avec la volubilité d’un homme resté muet pendant douze cent trente-trois ans et qui désire se rattraper.
— Où suis-je ? Les mécréants ont dû me transporter dans les sous-sols du Libre Bluff. Oh ! mais je les repigerai : les prisons ne sont pas faites pour les chiens !… En attendant le bagne ou la guillotine !… Dieu merci ! Nous avons encore en France une police, des gendarmes, d’honnêtes gardes-chiourmes et de braves bourreaux ! Dieu merci ! Nous avons des juges… des juges militaires et des juges civils !… Car j’espère bien, monsieur, que, pendant mon sommeil… j’ignore s’il a duré deux heures ou deux jours… la révolution… l’infâme révolution n’a pas triomphé. Grâce au ciel et à sainte Jeanne d’Arc nous avons une armée et j’espère bien qu’on n’hésiterait pas à employer les grands moyens. Tran ! boum ! pif ! paf ! De temps à autre une bonne saignée est nécessaire… Monsieur Millerand est-il toujours président de la République ?…
Honoré Cudois ne semblait pas devoir s’arrêter mais la patience du professeur chinois était à bout.
— Des prisons ! le bagne ! des bourreaux ! des soldats ! songea-t-il. Décidément cet être est trop loin de notre temps ; il ne saurait y vivre !
Et, replongeant Honoré Cudois dans son sarcophage, il en laissa retomber sur lui le couvercle.