Dominique Douay : L’Impasse-temps, chronique du temps qui presse et broie

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L'Impasse-Temps, par Dominique Douay - Couverture de Sylvie Chêne.

Dominique Douay : L’Impasse-temps, chronique du temps qui presse et broie

 

C’est toujours plaisant de découvrir des talents qu’on a négligés, un peu comme en musique, la bibliographie est charnue, prête à être dégustée. Sans devoir attendre d’être ou non déçue par les manqués en cours de route, il suffit de se renseigner auprès des éclaireurs rompus à l’exploration du territoire littéraire et s’installer paisiblement dans son fauteuil avec les bons bouquins. L’Impasse-temps fait partie de ces romans que je n’ai pas lus à leur parution, pour des raisons qui m’échappent, et qui n’ont de toute façon que peu d’intérêt. Le lire à présent me procure autant de surprise que si je l’avais ouvert en 1980 : le récit neuf, sans une seule ride aujourd’hui, peut prétendre à une longévité juvénile que le héros ne possède pas. Une ironie supplémentaire que la lectrice, avertie désormais, apprécie sournoisement aux dépens de ceux qui ne savent pas encore.

Pourquoi supplémentaire ? Mais parce que ce roman est l’un des récits de science-fiction les plus ironiques que j’ai pu lire, de tous les instants. Une ironie qui se joue du lecteur, du héros et du temps, sans sarcasme inutile et pourtant, qui n’omet pas les plaintes de la condition humaine, ou plus exactement masculine. Des gémissements jubilatoires, sinon, ils ne m’auraient pas intéressée, évidemment : je ne suis pas du bon genre. Le personnage principal est un dessinateur, Serge Grivat, dont le talent n’a pas été reconnu, qu’il ait été réel ou médiocre demeure sans importance, il lui attribue l’œil et la sensibilité de l’artiste. Une personnalité sans relief particulièrement héroïque, son caractère essentiel consiste en sa propension à s’interroger sur ses motivations et leur interprétation par lui-même et les autres. Un brave type au demeurant, attachant, qui dans le fond préférerait être meilleur et s’efforce d’y parvenir entre deux petites vilenies ordinaires. Être infidèle à la femme de sa vie, par exemple, sans plus d’envie que de se sentir désiré. Et cette tranche de quotidien, délicieusement bavarde, démarre le roman et réussit le pari d’identifier le lecteur aux petits soucis existentiels du dessinateur. Pour un peu on l’inviterait à boire un verre au comptoir en murmurant « on est bien peu de choses… » dans un grand élan de fraternité humaine.

Jusqu’au dérapage.

Incongru, un gadget apparaît, qui ne se fatigue pas à se trouver une explication scientifique pour contenter la bonne marche de l’univers. Cet absurde et jouissif déphasage hors des sentiers balisés de l’héroïsme passera à la moulinette, pour en faire un joyeux hachis, toutes les petites misères, toutes les petites envies, tous les principes et, tant qu’à faire, l’auteur les curera jusqu’à la moelle. Dominique Douay, aussi frais qu’un gardon frétillant et amoral, nous mène à un final à la mesure de l’ascension grandiose de son homo sapiens dans l’évolution. À la dernière page, avec un soupir d’aise, j’ai fermé le livre avec le sourire, il fait bon lire un roman, aussi résolument provocateur et décomplexé, à une époque étriquée et puritaine qui désire absolument enfouir sous les placards ce qu’elle ne veut pas voir.

Dominique Douay : L’Impasse-temps, Hélios n° 3, Les Moutons électriques, 2014

 

Voir les chroniques suivantes :  Car les temps changent, La vie comme une course de chars à voile, La fenêtre de Diane et Brume de cendres.

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