Une Expérience manquée
Un jeune docteur, d’esprit très curieux et très chercheur, associa à sa vie et à ses études une charmante doctoresse, d’intelligence également très vive. Tous deux eurent alors l’idée de modifier les lois physiologiques auxquelles la femme est soumise d’une façon un peu brutale. Ne pourrait-on pas, se dirent-ils, raccourcir cette longue période imposée par la maternité et remplie des misères les plus variées ? Serait-il possible, après avoir séparé le contenu du contenant, d’imiter les phénomènes physiques et chimiques qu’on observe pendant la grossesse, c’est-à-dire d’élever artificiellement le fœtus en le mettant dans des conditions analogues à celles que la nature a établies ?
Dans les espèces végétales ou animales même, ne parvient-on pas à assurer le rôle de la fécondation presque à son gré ? Il s’agissait d’arriver maître du processus vital, en le copiant d’abord et en le modifiant après, à un résultat analogue, de se rendre si on voulait.
L’élaboration de ces idées entre nos deux savants fut, ainsi qu’on le conçoit, longue, pénible et souleva bien des difficultés. Enfin on fut assez heureux pour recueillir un ovule depuis peu fécondé, et qui commençait à édifier son nid dans la muqueuse utérine. On devine quelles précautions infinies il avait fallu prendre afin de ne pas troubler le travail de développement, véritable merveille, qui était en train de s’accomplir.
Enfin, l’œuf capturé, on avait dû lui constituer un milieu capable de le nourrir, de le réchauffer, en un mot de lui apporter tous les éléments nécessaires pour l’entretenir.
Nos expérimentateurs étaient arrivés à le placer dans une sorte de liquide, analogue au sang et capable de fournir les gaz et les substances nutritives que réclamait l’embryon pour continuer sa multiplication cellulaire, à le maintenir à une température régulière et à lui éviter tout ce qui pouvait troubler le résultat qu’on poursuivait. Les nuits et les jours n’avaient été pour nos chercheurs qu’une continuelle tension de leurs facultés d’observation. Leur vie s’était en quelque sorte concentrée dans ce problème. Chaque jour ils enregistraient les détails les plus minutieux avec une rigueur extrême, et telle qu’on pût se remettre dans les mêmes conditions de succès ou les modifier, s’il y avait lieu. C’est qu’en effet les premiers essais avaient été infructueux et plus d’une fois notre couple s’était laissé presque envahir par le découragement. Il est certain que le docteur n’aurait pas trouvé en ses seules forces l’énergie de continuer ; mais sa compagne dévouée, celle qu’il avait associée à sa vie intellectuelle, vivait de ses craintes comme de ses espérances et lui apportait ainsi un grand soutien moral.
— Quel beau rêve, pensait-elle de son côté, si le travail entrepris permettait de débarrasser ses sœurs de leurs affreuses tortures ! Ne plus entendre la femme en gésine pousser ces gémissements, ces cris stridents qui nous restent dans l’oreille et qui nous émeuvent, rien que de souvenir ! Faciliter en même temps le développement de l’être en écartant bien des maladies, bien des traumatismes ! Rendre à tant d’œufs destinés à périr la faculté de se développer, voilà ce qui résulterait de la réussite de leurs espérances. A vrai dire, la pensée de nos deux savants n’osait aller si loin. Supprimer la douleur de l’enfantement et assurer, sans chercher au delà, le développement de l’embryon d’une façon plus sûre et plus mathématique.
Enfin leurs efforts combinés furent couronnés de succès et, après des heures d’une attente anxieuse au delà du possible, après des tensions cérébrales à rendre fou, après une fatigue totale sans pareille, ils virent se former peu à peu le fœtus.
Penchés tous deux, ils avaient essayé, à travers les membranes, de connaître le sexe. Serait-ce l’Eve d’une nouvelle humanité ? Ils le désiraient avec l’espoir que ce serait la possibilité d’une adaptation à une nouvelle physiologie et peut-être, après une suite d’études, la création des sexes à son gré.
Enfin au bout d’un laps de temps qui dépassa le terme ordinaire et qui devait être le dixième mois environ, l’œuf parut mûr et, avec une émotion indescriptible, ils l’ouvrirent et en tirèrent un être frêle, délicat, ressemblant assez bien à un prématuré et rappelant dans son ensemble le type de l’espèce humaine ; mais ce qui les frappa tout de suite ce fut l’aspect de ses organes génitaux. Le nouveau-né était hermaphrodite !
Surpris et décontenancés, ils s’interrogèrent avec inquiétude. L’être serait-il ainsi revenu à son état primitif, à un stade de début de l’évolution avant la dissociation des sexes ?
Le problème nouveau, qui se posait à leur esprit, était de savoir comment on arriverait à cette séparation. Mais peu importait ; la science a devant elle l’infini, et ils tenaient un des premiers chaînons du mécanisme de la nature.
Ils firent aussi rapidement une seconde constatation. La boite crânienne était énorme par rapport au corps ; un sillon semblait indiquer qu’elle se partageait en deux, telles deux capsules contenant chacune une graine. L’une des cases paraissait être un peu plus grande que sa voisine… Les autres organes étaient simples ; il n’y avait qu’un cœur, qu’un poumon, qu’un appareil digestif.
Ils avaient été fort déçus en constatant que certains caractères étaient hybrides, et qu’il existait une treizième côte. Il semblait que cet exemplaire assez hétéroclite était un retour à l’état primordial, non seulement au point de vue de la génitalité, mais encore quant à l’organisation cérébrale.
Le problème était devenu si complexe qu’ils n’osaient envisager maintenant la possibilité de le résoudre. Toutes leurs peines avaient donc abouti à cette sorte d’avortement et il faudrait, pour modifier ce type, la combinaison d’un certain nombre de milliers d’années ou des expériences nouvelles en nombre indéfini !
D’ailleurs, au bout de quelques heures, cet androgyne, placé dans des conditions de vie auxquelles ses organes ne correspondaient pas, s’éteignit.
Nos deux jeunes savants éprouvèrent alors un besoin extrême de repos et, abandonnant un instant leurs études, allèrent chercher à la campagne de nouvelles forces. Neuf mois environ après ces événements, ils devinrent, d’une façon tout à fait normale et sans le moindre calcul, les heureux possesseurs d’un être qui leur ressemblait et qui, pour avoir tous les défauts de ses parents, en avait aussi toutes les qualités.
Au fond ils sentirent qu’ils étaient bien les descendants de ce Prométhée qui avait voulu voler le feu du ciel et dont un vautour, depuis cette époque, ronge le foie.