Franz Gravereau – M. Mouche médium (Une Drôle d’histoire) (1928)

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« M. Mouche médium (Une Drôle d’histoire) », de Franz Gravereau, fut publié dans Mon Paris du 12 mai 1928.

M. Mouche médium (Une Drôle d’histoire)

 Le spiritisme ? Mais c’est tout ce qu’il y a de sérieux, déclara M. Mouche à ses collègues, expéditionnaires au ministère des Affaires classées, tandis qu’ils s’installaient devant leurs paperasses. Ce n’est pas à moi qu’on viendra dire que c’est de la blague…

— Et pourquoi donc ? questionna l’un d’eux.

— Parce que je suis médium !

— Vous ?…

— Oui, moi, parfaitement !

— Alors, on peut vous endormir pour savoir s’il y aura des augmentations à la fin de l’année ?…

Mouche eut un sourire de méprisante pitié.

— Je n’appartiens pas à cette basse catégorie de pythonisses de carrefour qui, les yeux bandés, vous disent la couleur des yeux de la dame blonde ou le numéro du tramway qui passe. Ça, c’est truqué ! Je suis de ces médiums supérieurs que les esprits choisissent pour venir, de temps à autre, s’incarner en eux et revivre passagèrement l’existence terrestre. Tandis que je dors, un de ces esprits pénètre en mon corps et reprend, sous ma forme humaine, sa vie antérieure. Je suis ainsi, tour à tour, ancien officier de la garde impériale, pianiste célèbre, professeur au Collège de France, abbé du Moyen-Âge ou danseuse d’Opéra. Chacun de ces esprits revit, durant quelques heures, son existence passée et — chose étrange ! — je garde à mon réveil le souvenir assez précis de ce qu’il m’est advenu durant mon sommeil…

L’entrée de M. Bigornot, chef de bureau, interrompit ces explications passionnantes que l’on n’eut pas le loisir de reprendre. Mais, le lendemain, M. Mouche arriva avec un sérieux retard.

— Dix heures trente-cinq ! constata-t-il avec effroi. Vous êtes témoins, messieurs, que pareil retard n’est pas dans mes habitudes. Mais cette nuit…

— Cette nuit ?

— Il m’est arrivé une aventure extraordinaire. Mon corps a été envahi, pendant mon sommeil, par l’esprit d’un contemporain de Murger, qui est parti « faire la bombe » à Montmartre et m’a ramené seulement chez moi à quatre heures du matin.

— Fichtre ! pour un homme de votre âge…

— Ce n’est pas moi, mais le désincarné. Un jeune homme de vingt-sept ans, vous comprenez…

Ce fut là le début d’une période extrêmement orageuse pour M. Mouche. Ses retards se succédèrent en s’aggravant. Un jour, son corps avait servi au feu roi Louis XV à aller souper au Pré Catelan avec des figurantes des Folies-Bergère. Le lendemain, c’était l’âme d’un légionnaire romain qui l’avait traîné toute une nuit dans les bars des Halles. Un matin, il arriva avec un œil poché.

— J’incarnais, cette nuit, l’esprit de François Villon, qui m’a fait ramasser ça dans une rixe avec des « sidis », chez un bistro de l’avenue de la Gare…

Bref, lassé par tous ces retards, M. Bigornot, le chef de bureau, conduisit chez le directeur M. Mouche, qui plaida non-coupable.

— Vous êtes médium, c’est entendu ! dit le directeur. Tout le ministère le sait. Mais dites-moi, monsieur Mouche, pourquoi ne fréquentez-vous que des esprits bambocheurs ?…

— Hélas ! monsieur le directeur, il n’y a peut-être que ceux-là qu’un retour passager sur notre terre puisse intéresser…

— Oui ?… Eh bien ! puisque vous êtes médium — le directeur appuya sur ces termes — tâchez donc de trouver, parmi vos relations dans l’au-delà, un esprit sérieux, par exemple l’âme d’un vieil expéditionnaire ponctuel, ayant la nostalgie des dossiers. Et, quand voua l’aurez trouvé, assurez-lui donc l’exclusivité de votre personne. J’aime à croire que vous le rencontrerez dès ce soir même…

M. Mouche comprit la leçon. Il avait joyeusement dispersé, les nuits précédentes, la majeure partie d’un petit héritage qui lui venait d’un oncle. Il se tint désormais tranquille, après avoir converti les quelques billets qui lui restaient en bons de la Défense nationale — en souvenir du défunt, qu’il surnomma, non sans malice, l’« oncle incarné ».

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