Frédéric Boutet – L’Illustre Détective (1910)

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« L’Illustre Détective », par Frédéric Boutet, fut publié dans Le Sourire du 16 avril 1910.

L’Illustre Détective

L’histoire s’est passée à Chicago, U. S. A.

L’illustre détective Scherlock Carter, dont j’ai l’honneur d’être l’ami, était dans son cabinet de travail, bien tranquille à ne rien faire. Assis en face de lui, je l’aidais tout en admirant silencieusement son génie.

Il y eut un coup de sonnette. Un visiteur fut introduit par le Chinois muet qui sert de femme de chambre à Carter.

— Monsieur, au secours ! dit le visiteur en se précipitant vers l’illustre détective.

— Oui, dit Scherlock. Parlez !

— Voici, dit l’autre : Je m’appelle Archibald Wilson. J’ai un frère jumeau, qui me ressemble comme deux gouttes d’eau et qui s’appelle Arthur Wilson. On nous a toujours pris l’un pour l’autre mais il est canaille et moi je suis honnête homme, il est méchant et moi je suis bon, il est riche enfin, parce qu’il n’y a pas de justice sur terre, et moi je suis pauvre.

— Bon, dit Carter.

— Non, dit l’autre, mauvais. Il y a dix jours, mon frère Arthur fut enlevé par cette terrible société secrète de bandits sans vergogne qu’on appelle la main-noire. On l’a caché je ne sais où et on m’a écrit qu’on me donnait cinq jours pour payer cinquante mille dollars de rançon ; après ce délai, faute de paiement, ils commenceraient à découper mon frère et à m’envoyer chaque jour un de ses morceaux, jusqu’au vingtième jour, où ils m’enverraient la tête. Or, le délai est expiré depuis dimanche dernier, nous sommes à mercredi et j’ai déjà reçu trois morceaux de mon frère, deux de ses doigts et un quart d’oreille.

— Les doigts de quelle main et l’oreille de quel côté ? interrogea Scherlock Carter.

— Je ne sais pas, répondit notre visiteur.

Scherlock prit note de cette réponse sur sa manchette et l’autre poursuivit :

— Je ne pourrai avoir les cinquante mille dollars que vendredi dans la journée, cela fait donc encore deux morceaux au moins que ces misérables couperont à leur prisonnier…

— Affreux ! dis-je.

— Oui, répondit-il, affreux, mais le plus affreux c’est que, en fait, c’est à moi-même qu’ils infligent ces mutilations !

— Je ne comprends pas ! dit Carter.

— Si, reprit l’homme. Mon frère est très canaille, je l’ai dit. Lorsqu’il s’est vu enlevé et qu’il a compris à quel danger il était exposé, il n’a eu qu’une idée : s’en tirer et m’y faire tomber à sa place, en profitant de l’extraordinaire ressemblance qu’il y a entre nous. Pour cela, il a osé mentir et faire un faux. Il a dit qu’il était moi ! Il s’est donné comme Archibald Wilson. Il a signé de ce nom la lettre par laquelle il m’a mis au courant de la situation. Il s’est emparé de ma personnalité afin que ce soit moi que l’on torture au lieu de lui ! C’est à moi, Archibald Wilson qu’on coupe les doigts et les oreilles ! Je suis un invalide, un estropié, un mutilé et je le serai toujours ! Que faire monsieur ?

— Vous en aller, dit Scherlock, afin que je réfléchisse.

Les méditations de Carter sur cette extraordinaire affaire durèrent trois jours et trois nuits pendant lesquels il ne but ni ne mangea mais fuma cinq livres de tabac le plus fort. Au bout de ce temps, il télégraphia à son client :

« Coupez-vous semblables morceaux, que ceux manquant à votre frère. Serez pareils. Pourrez reprendre personnalité volée. »

Mais quelques jours après nous reçûmes cette réponse :

« Suis mort hier. Ai oublié envoyer cinquante mille dollars et ai reçu tête par colis postal :  Wilson. »

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