Fredric Brown, Excusez mon ricanement de goule! – Clancier-Guénaud (1985)

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Illustration et maquette : Catherine Guérif

Anthologie de nouvelles inédites préparée et annotée par Stéphane Bourgoin, traduction de Gérard de Chergé, préface de Harry Altshuler.

Bien sûr, ce recueil est d’abord intéressant parce que c’est du Fredric Brown.

Mais c’est aussi un fabuleux combo titre/illustration de couverture/nom de collection.

La collection est dirigée par Stéphane Bourgoin, son nom, « Au troisième Œil », est celui de la librairie créée par François Guérif et reprise par Bourgoin. La collection, qui semble être réservée aux écrits de Robert Bloch et Brown, ne compte que six titres. Deux autres étaient prévus. L’un, Mort d’un vampire, de Brown est sorti dans une autre collection de Clancier-Guénaud, Série 33. L’autre, Cette nuit, j’incarnerai ton cadavre, un troisième recueil de récits de Robert Bloch parus dans Weird Tales, n’a jamais été édité nulle part.

La couverture est de Catherine Guérif, qui exécute toutes les autres couvertures de la collection, à vrai dire bien plus réussies que celle-ci.

Le titre du recueil est tout simplement la traduction du titre d’une des nouvelles, « Pardon my Goulish Laughter » : c’est le titre le plus frappant de tout le recueil. Sa tonalité à la fois humoristique et fantastique n’est pas représentative de l’ensemble, mais renvoie assez bien à l’humour noir, parfois macabre, de plusieurs nouvelles. Celles-ci ont toutes été publiées dans les années 1940 dans des pulp magazine de littérature policière.

La préface de l’ancien agent de Fredric Brown, Harry Altshuler, écrite au fil d’une plume vive, se fait tour à tour émouvante ou drôle. Elle révèle l’ami qui ne laisse pas passer les remarques racistes, l’homme sensible et généreux. Quelques anecdotes amusantes, l’une sur l’origine de sa carrière d’écrivain :

« Il changea d’emploi et devient correcteur d’épreuves pour l’imprimeur d’un groupe de « pulps-magazines ». Et il eut la classique réaction horrifiée : « Sapristi, je suis capable d’écrire des trucs meilleurs que ça ! » »

L’autre moque certaines pratiques :

« À propos de paradoxes, il en était un qui mettait Fred en joie : c’était le titre de l’édition française de son roman Martians, Go Home. Il estimait qu’il s’agissait d’un chef-d’œuvre de traduction. En français, cela donnait : Martiens, Go Home. »

Les nouvelles, maintenant. Le narrateur de « La mort aux enchères » découvre coup sur coup que son oncle est mort, et qu’il lui lègue un bon paquet d’argent, avant de se faire enlever et séquestrer par deux hommes. Il comprend mal leurs motivations, puisqu’il n’a pas encore touché son héritage. S’agit-il de malfrats mal organisés ? De tueurs à la solde d’un autre héritier ? Ou ont-ils un autre plan pour faire main basse sur l’argent en question ? L’intrigue est habile, ménage le suspense et les coups de théâtre jusqu’à la résolution plaisamment trouvée par le narrateur, qui la cache aux lecteurs comme à son ravisseur.

« Satan mène la danse » s’intéresse à des meurtres qui ont apparemment pour but le vol d’instruments à vent. Or ceux-ci sont certes d’une grande valeur, mais insuffisante pour motiver deux assassinat. Le narrateur a nouvellement acquis une clarinette du vendeur mort peu après dans un accident de voiture suspect. Et il il risque bien d’être le prochain sur la liste…

« Dans les ténèbres » joue sur la peur du noir du narrateur, de la même manière que Sueurs froides jouait sur l’acrophobie de son personnage. Lorsqu’il rentre chez lui, les fusibles ont sauté, et c’est à la lueur d’une bougie qu’il lit les écriteaux qu’on a placés chez lui. Ils lui apprennent que sa femme a été enlevée, et lui donnent les instructions pour la retrouver saine et sauve. Il n’est pas assez riche pour donner une rançon, mais son poste à la banque lui donne accès au coffre… La logique et l’esprit d’induction du narrateur lui permettent là aussi de démasquer ses adversaires et de ruiner leurs plans.

« Excusez mon ricanement de goule » met en scène un jeune journaliste porté sur l’étrange et le macabre. Ses goûts lui font écrire des articles trop incongrus pour son rédacteur en chef, qui l’envoie en visite médicale auprès du psychiatre qui possède le journal… La nouvelle réussit à la fois à être complètement farfelue et à apporter des explications tout à fait cohérentes.

« À l’aveuglette » reprend le thème du handicap qui frappe l’enquêteur, ici un aveugle à la recherche du voleur qui, pris sur le fait, lui a tiré à blanc sur les yeux. Là encore, le retournement de situation est de rigueur et fait toute l’originalité de la nouvelle.

« Des ombres innombrables » emprunte son titre à la sinistre chanson « Gloomy Sunday ». Le narrateur sombre dans le désespoir parce que sa fiancée, Rita, est morte dans un accident de voiture. Alors qu’il s’apprête au pire, un autre client du bar lui suggère qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un accident. Le père de Rita, venu d’Allemagne, a peut-être subi la vengeance d’agents nazis qui souhaitaient sa collaboration… Le sujet, époque oblige, est pure contribution à l’effort de guerre, et fait l’objet d’une courte nouvelle au dénouement rapide.

Le recueil se clôt avec « À la recherche de Barbe-bleue », intrigante nouvelle où un comédien déclare à un directeur de théâtre qu’il vient de tuer sa femme. Or, il postule pour le rôle principal d’une pièce inédite, qui correspond à cette situation. Faut-il le croire ? En tout cas, les raisons ne lui manquaient pas de la tuer… Retournement de situation encore et toujours, et c’est à nouveau par sa ruse que le personnage principal parvient à déjouer les manigances et à reprendre la main sur un destin livré à la ruine.

Ces nouvelles sont peu connues : elles furent publiées pour la première fois en recueil ici, et seulement pour certaines rééditées dans l’intégrale inachevée chez Coda. Sobres et efficaces, ce sont toutes des réussites dans l’art de la construction de l’intrigue, du suspense et de la chute.

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