Gabriel d’Aubarède – Dernières vacances (1934)

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« Dernières vacances », de Gabriel d’Aubarède, fut publié dans Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 27 octobre 1934.

Un romancier, un cinéaste et diverses jeunes femmes dissertaient sur la durée. C’est un thème très vaste. Rien de plus aisé que d’envelopper dans ses méandres toutes les grandes questions concernant la destinée, les arts, l’amour, dès l’instant que l’on considère le temps comme la matière première de la pensée de l’homme et de ses sentiments. De sorte que l’on peut digresser à l’infini sans jamais sortir du sujet.

Il y avait encore un troisième personnage masculin, mais il n’avait rien dit.

C’était un auteur peu connu, plutôt besogneux semblait-il, et qui, parlant rarement de lui-même, passait pour étrange. Mais les hommes de cette espèce sont ceux qui parlent le plus longtemps, quand par hasard ils s’y mettent.

Nous le nommerons Adrien C.

— Ces problèmes me paraissent quelque peu vains, dit Adrien C. tout à coup. Il faut être ou un oisif ou un enfant pour leur attribuer quelque réalité… Les oisifs, d’ailleurs, restent toujours des enfants par quelques côtés… Moi, la vie ne m’a permis de m’adonner à ces nobles questions que jusqu’à l’âge de quatorze ans. Mais, jusque là, ce fut passionnément que je m’y plongeai. J’avais même inventé une machine pour faire passer le temps plus vite.

— Oh ! très curieux, s’exclama le cinéaste.

— Pauvre Proust ! gémit le romancier.

Mais ce préambule insolent préoccupait la maîtresse de maison :

— Elle ne sera pas trop sinistre, votre histoire ?

— Je m’arrêterai quand elle le deviendra.

— Hum !… On vous connaît, Adrien.

— C’est-à-dire que je suis sinistre ? Je ne l’ai pas toujours été, chère amie, comme vous allez voir, répondit doucement Adrien C.

Et, ayant bu une nouvelle tasse de thé proustienne, il attaqua en ces termes :

— Cela se passa l’avant-dernier jour d’une certaine semaine pascale, qu’à notre grande joie nos parents nous avaient menés, ma sœur Luce et moi, passer, à La Ciotat, petite plage voisine de Marseille, où nous demeurions alors.

Pas un grand voyage, comme vous voyez. Mais un voyage exceptionnel : d’habitude, nous ne quittions la ville qu’à la saison des grandes vacances. Et, à cet âge, on prend facilement l’insolite pour un signe faste. Tel ne devait pas être l’avis de ma mère. L’idée ne venait pas d’elle, main de mon père. Il avait même vivement insisté pour que nous fissions ce déplacement. Et je me rappelle aujourd’hui la lenteur de son adieu, quand, le soir du lundi de Pâques, il nous laissa. Je le revois, les mains au volant mais retourné de tout son buste, soi-disant pour s’assurer que le recul était libre, mais en réalité pour nous embrasser tous les trois d’un dernier regard…

Elle ne fut pas gaie, cette semaine tant désirée. Tous les jours, la pluie tomba, la pluie exagérée du Midi. Pas une fois le Cap Canaille ne laissa voir la rougeur de son bec, noyé comme tout le reste dans du gris. Comme le ciel, comme la mer, comme la plage hérissée de détritus. Le gris va mal à la Méditerranée. Elle a l’air malade, et de supporter ça très mal. Moi, c’était l’ennui que je ne savais pas supporter. Et ma mère, c’était moi. Elle était assez patiente d’ordinaire, mes frénésies paraissaient plutôt la flatter. Mais, cette semaine-là, une surprenante nervosité ne cessa de la tourmenter. Nervosité si manifeste, qu’elle éprouvait parfois le besoin de s’en expliquer à nous :

— C’est la mer. Décidément, je ne peux pas m’habituer à vivre au bord de la mer.

Aveu surprenant, chez une personne qui avait toujours vécu à Marseille ! Peut-être voulait-elle dire : « le bruit de la mer », qui évidemment se faisait entendre, ici, bien autrement que dans notre paisible étage du Cours Pierre-Puget. Un bruit hostile, menaçant, déréglé, un bruit sans rythme ni cadence et qui chaque nuit s’enflait plus démesurément, comme s’il eût voulu couvrir de son tonnerre continu la terre entière.

Enfin, ma mère annonça qu’en guise de compensation nous reviendrions passer à La Ciotat les grandes vacances.

Les grandes vacances, nous les passions en général à Saint-Gervais, dans un de ces palaces où les enfants s’ennuient si bien. Cette nouvelle dérogation aux rites, cette descente dans l’échelle des classes d’hôtel, (celui où nous demeurions présentement était des plus modestes) aurait excité mon attention si j’avais eu l’instinct du calcul. Mais j’ai toujours été un de ces passionnés qui ne voient en toute chose, comme on dit si expressivement, que du feu. Ma première idée fut que je pourrais prendre ma revanche contre la mer. J’apprendrais à nager, du coup ! Et puis, je savais depuis la veille qu’Édith également (Édith était une jeune pensionnaire de l’hôtel que je ne cessais ce regarder durant les repas) reviendrait à La Ciotat au mois d’août. Je manifestai mon allégresse à grand bruit. Mais soudain, tout ce feu joyeux qui claquait devant moi s’éteignit : au mois d’août ? Et nous n’étions qu’en avril ! Trois mois, trois longs mois me séparaient de la joie promise…

Je ne sais plus en quels termes j’exprimai mon angoisse à cette accablante perspective. En revanche, je me rappelle très nettement la réponse de ma mère :

— Mon pauvre petit, tu t’apercevras plus tard que les mois passent toujours plus vite qu’on ne voudrait. Les mois, et même les années…

Propos d’une philosophie bien banale, n’est-ce pas ? Et pourtant, la mélancolie poignante avec laquelle il fut dit n’a pas cessé d’élargir ses ondes dans ma mémoire. Et chaque fois que je l’évoque, je revois ma mère, pauvre femme, au moment où elle le prononça : immobile, le cou incliné, (elle avait un cou charmant…) elle regardait devant elle vaguement, comme on fait lorsqu’en réalité c’est derrière soi que l’on regarde, lorsqu’on embrasse en pensée les années révolues. Mais bientôt ce fut moi que ce regard embrassa. Elle me contempla longtemps, avec une sorte de compassion. Oui, ce dut être de compassion, car je ne tardai pas à me sentir gêné et à éprouver le besoin de m’éloigner d’elle.

La veille du dernier jour des vacances (mon père devait venir nous chercher le lendemain avec la voiture) il plut depuis le matin jusqu’au soir.

Jamais je n’oublierai cette interminable journée dans une chambre d’hôtel. En vain, posté devant la fenêtre, j’épiais, au-dessus de l’horizon qu’on discernait à peine, une éclaircie. Parfois, vers le bas du ciel, une échancrure vaguement cuivrée voulait bien s’entrouvrir, mais de nouveaux nuages qu’on n’avait même pas vus arriver venaient bientôt l’obscurcir.

Quand donc sonnerait l’heure du dîner ? Au moins j’aurais alors la consolation de pouvoir regarder Édith. Grand Dieu ! Si quelques heures de séparation étaient à ce point intolérables, que serait-ce de ce trimestre à passer au collège ?

— Ah ! Ces trois mois ! Ces trois mois ! grommelais-je.

Ma mère perdit patience.

— Cette rengaine ! Cesse de répéter ça tout le temps, Adrien. Tu m’exaspères !

Je crois même qu’elle ajouta :

— Ça me fait mal…

Ma sœur intervint à son tour. Depuis trois jours, elle était absorbée par l’élaboration d’une cravate en tricot qu’elle destinait à son père. Cravate qui ne devait jamais servir…

— Ce n’est pas étonnant que tu t’ennuies, tu ne sais pas t’occuper. Tiens prends ce journal et lis-le jusqu’à la dernière page. Quand tu seras arrivé au bout, il sera au moins six heures.

Il n’était que trois heures.

Je haussai les épaules, c’était un journal illustré pour fillettes qu’elle me tendait. Je m’en emparai néanmoins.

Or, Luce avait vu juste : quand mes yeux furent arrivés au bas de la dernière page — à grand’peine, car la grisaille du crépuscule avait commencé de s’épaissir dans la pièce — je me penchai vers la pendulette posée sur la table de nuit : les deux aiguilles venaient de se réunir sur le chiffre VI. Ainsi donc trois longues heures avaient pu s’écouler sans qu’un seul instant mon esprit eût pris conscience de leur durée…

C’est le sort, hélas, de la plupart des heures dont le mince tissu de l’existence est formé. Mais tout mon être vivait alors si passionnément tendu vers le futur, que ce fait si simple m’apparut comme un phénomène, et que j’eus le sentiment d’avoir fait en le remarquant un commencement de découverte.

— Qui sait ? me dis-je, peut-être, en y pensant très fort, pourrais-je inventer un moyen de faire passer à la même vitesse les trois mois qui me séparent des vacances…

Pour mieux réfléchir au problème, je me mis à marcher.

Je marchais en diagonale d’un angle de la chambre à l’angle opposé ; et j’étais oppressé, délicieusement oppressé.

Sensation qui ne m’était pas inconnue, car je n’en étais pas à ma première invention. J’étais notamment l’auteur d’une machine volante qui fonctionnait à merveille.

Entendons-nous : il ne s’agissait pas de quelque aéroplane vulgaire. La mécanique n’a jamais été mon fort, et j’ai toujours été plutôt maladroit de mes mains.

Mon imagination, par contre, était fort habile, habile à m’abuser. Quand je dis que je volais, j’entends que je volais en pensée. Mais n’était-ce pas bien plus extraordinaire, puisque je n’avais besoin pour cela ni de toile, ni de bois, ni d’essence, de rien de matériel en un mot ? Le moteur qui me soulevait au-dessus de la terre, c’était ma volonté. Il me suffisait, pour décoller, de marteler — si j’ose dire — mentalement le sol avec mes pieds, sans détacher le talon ni la plante, simplement en pressant vigoureusement la terre avec mes orteils rassemblés, tandis que mes mains étendues battaient l’air synchroniquement, au rythme d’une espèce de pas de danse d’une complication extrême et dont j’étais seul au monde à détenir la formule.

Pour être franc, c’est en rêve que je l’avais découverte. Mais ce rêve revenait me visiter avec une périodicité remarquable. Le décor pouvait changer : soit que, parti du faîte d’un édifice, je me contentasse d’une modeste excursion au-dessus des toits roses de Marseille ; soit que je me perdisse dans l’éther au-dessus de la zone nuageuse ; soit que, rasant la crête des flots, je m’en allasse vers Alger ou vers Gibraltar. Mais toujours, mais chaque fois, la formule restait rigoureusement la même. Si bien que, très sérieusement, j’en vins à croire que, seul entre les hommes, j’avais découvert le moyen de quitter le sol terrestre sans l’aide d’un appareil d’aucune sorte : on peut bien nager nu dans l’eau ; moi, je nageais nu à travers l’espace. Même à l’état de veille, parfois, pour peu que je fusse un moment distrait, je pouvais faire jouer la formule, et ça rendait, ça rendait tout aussi bien que la nuit… Plus tard, en certaines minutes — ces minutes de détresse où l’on se penche à sa fenêtre, mesurant la distance qui vous sépare du sol — plus tard, j’ai regretté de n’avoir jamais eu l’occasion de me promener, enfant, au bord d’un toit ou d’un précipice. Une petite poussée avec les orteils… et l’avenir aurait été supprimé pour moi !

Ce fut une pensée de cet ordre qui traversa mon esprit, ce samedi de Pâques, à La Ciotat : Supprimer l’avenir… abréger l’avenir… Si j’ai su abolir la pesanteur, pourquoi ne pourrais-je pas abolir la durée ?

Du coup, ma respiration s’arrêta ; si soudainement que j’eus l’impression de tomber dans un de ces trous d’air où il m’arrivait de m’enfoncer les nuits où j’avais commis quelque erreur dans l’application de la formule. J’allais trop vite !

— Bien sûr, poursuivis-je, m’efforçant de penser plus posément, bien sur, en réalité, je ne vole pas. Mais qu’est-ce à dire ?… Ça veut dire que les autres ne me voient pas voler. Qu importe, si, moi, en fermant les yeux, je le peux ? Et si je peux me voir voler à travers l’atmosphère, je dois pouvoir, aussi bien, me voir voler à travers le temps.

Ce fut à ce moment capital de ma méditation que la voix de ma mère se fit entendre :

— Mais il fait nuit !… Allume donc, Adrien !

Dans l’univers spécial au travers duquel je voguais, la voix des autres ne pouvait guère m’atteindre. Ce fut d’un pas de somnambule que je me dirigeai vers le commutateur, d’une main inconsciente que je le manœuvrai. Mais alors, à la vue des aiguilles de la pendule, j’entendis soudain son tic-tac oublié. Ce bruit me gêna. Éprouvant le besoin de m’isoler, j’allai m’enfermer dans le cabinet de toilette.

J’avoue qu’ici le fil de mes déductions m’échappe, il y a longtemps que la magique agilité de l’enfance a déserté mon esprit, cette imagination merveilleuse à laquelle le raisonnement logique, loin de l’intimider, fournit un surcroît de vitesse et d’audace. Mais ce dont je me souviens d’une manière très précise, c’est qu’un moment vint où j’eus la certitude d’avoir trouvé. Les ténèbres qui m’entouraient devinrent lumineuses, éblouissantes. Ce fut comme si tout d’un coup, Août, sur mon ordre, était entré dans ce cabinet de toilette obscur, avec son azur, avec son poudroiement, avec ses fruits. Pour les autres, qui ne savaient pas, pour l’univers soumis à un rythme monotone et toujours semblable à lui-même, pour le soleil et son troupeau de planètes dociles, Août demeurait à la distance de trois mois encore, mais pour moi, mais pour moi… Une simple pression de ma volonté sur une certaine petite manette mentale, un « psst » de ma pensée tendue d’une certaine façon vers l’époque désirée, et cet odieux laps de temps, nécessaire à la maturation de la nature, mais non point à l’éclosion instantanée des images dans mon cerveau, se trouvait aboli, anéanti. En une seconde, les arbres se chargeaient de fruits mûrs devant mes yeux fermés, la température de la mer s’élevait de dix degrés autour de mon corps frissonnant de plaisir, la vie d’Édith, dans mon cœur, comptait trois mois de moins !… quatre-vingt-douze jours, deux mille deux cents heures, cent trente-deux mille minutes… Des multiplications inouïes s’échafaudaient devant moi dans la nuit à une allure vertigineuse. Si bien qu’à la longue je ne physiquement plus supporter cette prolifération folle de nombres et de symboles, J’ouvris la porte du cabinet de toilette et me précipitai dans la chambre en criant :

— J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! J’ai trouvé !

Et j’allais me laisser aller à initier ma sœur au mécanisme psychologique de ma méthode, quand un bruit singulier se fit entendre, venu de la pièce voisine où ma mère s’était retirée quelques minutes plus tôt. Une espèce de mélopée, lente, traînante, comme ce temps dont je haïssais tellement la fallacieuse torpeur. Je me dirigeai vers la porte de communication demeurée entr’ouverte. Arrivé sur le seuil, je m’arrêtai interdit : debout contre le mur auquel s’appuyait son bras plié, le front enfoui au creux du coude, sa taille mince et son joli cou tout cambrés, ma mère pleurait.

Elle pleura jusqu’au moment où retentit la sonnerie du dîner, qui d’ailleurs ne se fit plus attendre longtemps.

Nous étions à peine attablés, qu’arriva une lettre apportée par un exprès.

Ma mère la décacheta un peu nerveusement.

— Tiens ? Votre père ne pourra pas venir nous chercher demain, dit-elle ayant lu les premières lignes.

Puis, sur un ton déjà moins naturel :

— Il voudrait que nous prolongions…

Mais elle continuait sa lecture.

Je suivais du regard ses paupières baissées encore un peu roses — qui, elles, suivaient les lignes, sans un battement, Au fur et à mesure, ce mouvement de va et vient accélérait son allure, tandis que par-dessus l’angle du papier à lettres je voyais le front de ma mère se couvrir de nuages. Quand elle eut fini, elle regarda longtemps dans le vague devant elle, comme je l’avais vue faire souvent les jours précédents. Brusquement, elle demanda au garçon l’heure du prochain train en direction de Marseille.

On pouvait, en se hâtant, l’atteindre à Toulon.

— Dépêchez-vous de manger, nous partons.

Je dirigeai vers Édith un regard douloureux. Mais le ton de ma mère était sans réplique. Et du reste, réflexion faite, il importait peu que je demeurasse un jour de plus ou de moins à La Ciotat. Les événements paraissaient s’appliquer à prouver l’efficacité de mon invention. Il me semblait, chose qu’en mes pires instants de témérité je n’avais pas osé concevoir, il me semblait que le destin lui-même, gagné par une mystérieuse émulation, se fût soudain décidé à accélérer sa propre allure.

Je passerai rapidement sur ce qui suit, reprit Adrien C. après quelques instants de silence. D’abord parce que j’ai promis de ne pas être sinistre (il adressa un sourire rapide à la maîtresse de maison) et ensuite parce que ces derniers souvenirs me sont pénibles.

Je voudrais bien pouvoir l’oublier un jour, cette arrivée cours Pierre-Puget !

C’est Angelica mon ancienne nourrice, qui, devançant le valet de chambre, est venue nous ouvrir.

Je lui crie la nouvelle de notre prochain retour à La Ciotat.

Elle répond seulement : « Jésus ! » d’une voix si étrange, que je m’interromps net. Et je remarque alors, dans la pénombre du palier, que son visage est tout brillant de larmes.

J’entends encore, derrière moi, la question de ma mère :

— Qu’est-ce qui est arrivé, Angelica ?

L’Italienne répète son « Jésus ».

Ma mère veut passer.

— Il ne faut pas, madame, il ne faut pas ! hurle Angelica.

Sa massive personne essaie d’obturer la porte. Avec une vigueur étonnante, ma mère,l’écarte, court à travers le vestibule… J’entends encore son cri !

On venait de rapporter le corps de mon père, trouvé une heure plus tôt au pied d’un rocher de la Corniche, à côté de son auto fracassée. Et je devais apprendre plus tard que l’accident avait été volontaire. A Marseille, du reste, ce transparent maquillage n’abusa personne. C’est une ville où les secrets, même familiaux, ne sont guère possibles. Le krach qui avait terrassé mon père fut proclamé le jour même des obsèques. Aussi bien, c’est ce qui m’autorise aujourd’hui à une impudeur qui n’est pas dans mes habitudes.

Il ne fut plus question de retourner à La Ciotat. Plus jamais il ne fut question de vacances. Ah ! Les soucis m’ont happé de bonne heure dans leur engrenage de fer ! Et ils ne m’ont plus lâché. Mon pressentiment enfantin ne m’avait pas trompé : oui, il existe un rythme plus rapide que celui du temps. Seulement, il n’est nu ! besoin de l’imagination ni de la volonté pour lui prêter une vitesse artificielle. Il se rit d’elles, comme il se rit de toute chose. C’est ce rythme brutal des échéances, des tracas d’argent, à la cadence desquels s’est déroulée ma jeunesse, et qui l’ont dévorée toute vive. J’ai quarante ans, et je ne me rappelle pas avoir connu ce que c’est qu’un moment de pur, de plein loisir. Non, même pas une semaine, même pas un jour, même pas une nuit, hélas, de véritable abandon. Ni à la rêverie, ni à l’amour, ni à la conversation, ni aux angoisses métaphysiques, luxe suprême de la vie humaine. Bref, je suis tout le contraire d’un original, bien que ce bruit coure. J’ai peut-être donné quelque espoir en ce sens, mais… il y a longtemps.

Il y a longtemps aussi que je parle ! conclut Adrien C. avec son bref sourire, et cherchant d’un regard préoccupé la pendule.

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