« Les Lettres mystérieuses », de Gaston de Pawlowski, est paru dans Le Journal du 25 octobre 1918.
Les Lettres mystérieuses
Scène I
Le vieux Trippa, accoudé mélancoliquement sur une table vernie à l’alcool d’un bouge infâme. — Purco ! Je sens que mon horrible carrière se termine et que je n’ai qu’à disparaître ! Mais au moins j’aurai la consolation d’emporter mon secret dans la tombe : jamais mon fils Lionello ne connaîtra le nom détesté de sa mère.
Une servante vêtue de crasse apporte un potage de pâtes d’Italie. Ces pâtes ont la forme de petites lettres de l’alphabet et nagent dans l’eau chaude. Le vieux Trippa regarde le potage avec dégoût : il n’a pas faim et ses idées sont ailleurs. Une à une il choisit avec sa cuiller quelques lettres, les avale, puis repousse l’assiette brusquement et commande un verre de tord-boyau qu’il absorbe d’un trait. Il pousse un long soupir et dit seulement : Il faut en finir !
La servante crasseuse apporte sur son ordre une carafe d’eau ordinaire. Le vieil alcoolique la boit tout entière et tombe foudroyé.
Lionello, entrant. — Ciel ! j’arrive trop tard, je ne connaîtrai jamais le nom de ma mère !
Scène II
La grande salle des autopsies de la Morgue. Le célèbre médecin légiste Paolo ouvrant le ventre du vieux Trippa. — Jeune homme ! il ne faut jamais désespérer de la science, elle peut faire des miracle.
Lionello. — Comment la science pourrait-elle me révéler le nom de ma mère ? Seuls les augures prétendaient lire dans les entrailles !
Paolo, ouvrant l’estomac et regardant attentivement un nom inscrit sur la paroi. — Jeune homme, voici le nom de votre mère ! Votre père, avant de mourir, obsédé par le remords, avala, une à une, les lettres en pâte d’Italie qui comptaient ce nom ; il a lui ensuite du tord-boyau et les lettres sont restées gravées en relief sur la peau de l’estomac.
Lionello, se précipitant. — Ciel ! (Il lit) « Borgia ! »
Il tombe mort.