Gudule, Contes à vomir debout, illustré par Caza – Éditions Armada (2015)

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Maîtresse incontestée du roman horrifique, d’abord sous le nom d’Anne Duguël, Gudule a aussi pratiqué la forme courte. D’abord en 1995 avec le délicieux recueil de nouvelles Le Chien qui rit, en collection Présence du fantastique, puis en 2012 avec les quarante-trois nouvelles de Mémoires d’une aveugle. Si Grands Moments de solitude est un recueil de textes autobiographiques, les autres relèvent de la fiction fantastique, de même que ces trente-cinq Contes à vomir debout que les éditions Armada viennent de rassembler, avec des illustrations de Caza.

Écrits pour Hara-Kiri, Charlie Hebdo, Fluide Glacial ou Psikopat, ces microrécits de deux ou quatre pages font mouche. On retrouve avec plaisir la plume truculente et l’humour noir de Gudule, qui ne recule ni devant le scatologique, ni devant la cruauté la plus poussée. Tout est prétexte à l’abjection : les appétits charnels particuliers, les mouvements sociaux, les histoires de familles,  les crimes divers… Les personnages, souvent narrateurs, font le récit mi-burlesque, mi-macabre, de leurs propres malheurs et des étranges avanies qu’ils subissent. Le travail d’écrivain lui-même fait se métamorphoser la narratrice en machine à écrire vivante !

Un récit particulièrement frappant dépeint une société où les individus s’inscrivent avec leur famille à un reality-show où ils se font massacrer pour avoir la chance de passer à la télévision… Dans un autre, le problème des pertes militaires est avancé à la naissance, par le sacrifice d’un certain pourcentage de nouveaux-nés, évitant de perdre de jeunes adultes, et permettant en sus d’approvisionner les boucheries… On le voit, l’inspiration de Gudule s’abreuve aussi bien à la culture contemporaine qu’aux sources classiques de l’humour noir comme la Modeste Proposition de Jonathan Swift.

D’autres personnages vont jusqu’au bout de leurs fantasmes : narcissisme, voyeurisme, amour des androïdes, nymphomanie, don de soi… Tout y passe ! L’amitié même devient une perversion honteuse et d’autant plus irrésistible. Les voies d’Eros ne sont jamais impénétrables dans les fictions de Gudule, et ses personnages se livrent immodérément à leurs désirs, dussent-ils s’automutiler et mourir…

La désacralisation et le détournement iconoclaste ne sont pas en reste, et rien n’est à l’abri de son humour ravageur. Il ne fallait pas moins que le talent de Caza pour rendre justice à cette noirceur rigolarde. Chaque récit est pourvu d’au moins une illustration pleine page, des crayonnés aussi finement détaillés que merveilleusement monstrueux. Les images déjà fortes de Gudule sont encore amplifiées et métamorphosées sous les volutes et les fêlures qui parcourent les surfaces comme un réseau arborescent. L’édition rend parfaitement les nuances de gris de son crayon aiguisé, qui semble à l’apogée de son expressivité. La stylisation géométrique du corps de ces dernières années se conjugue à la minutie des détails évoquant la décrépitude et le délabrement d’un réel en déliquescence. Plus que jamais, son dessin sait rendre décoratif l’innommable. Un exploit devant lequel on ne peut que tirer son chapeau.

Bel objet parfaitement réalisé par les éditions Armada, Contes à vomir debout n’est pas qu’un hommage à la très regrettée Gudule : c’est une des plus belles manifestations de son talent, et l’occasion pour Caza de briller dans l’humour noir, un domaine dont ils sont tous deux des maîtres accomplis.

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