Gus Bofa – La Femme adultère (Voyage au pays de la quatrième dimension) (1912)

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« La Femme adultère (Voyage au pays de la quatrième dimension) », de Gus Bofa (Texte et dessins), est paru dans Le Journal du 2 juin 1912.

Récit écrit en hommage à son ami Gaston de Pawlowski, auteur de Voyage au pays de la quatrième dimension, publié en décembre 1912 chez Eugène Fasquelle.

Gus Bofa a collaboré avec G. de Pawlowski a plusieurs occasions : Signaux à l’ennemi (E. Fasquelle, 1918) et « L’Artilleur du métro » (1917), par exemple.

La Femme adultère

À G. de Pawlowski.

Ce conte est écrit pour les seules personnes que la longue habitude des spéculations métaphysiques a amenées à une conception nette de ce que les hommes de science appellent : la quatrième dimension.

La cause initiale de la tragique aventure que je vais conter fut un petit livre coquettement recouvert de peau rouge, avec un beau titre en lettres d’or : Guide pour voyager au pays de la quatrième dimension, par G. de Pawlowski.

Ma fortune, à cette époque, se fut, aisément laissée compter sur mes dix doigts, si ce fol exercice ne m’eut paru beaucoup trop vain et futile pour être pratiqué.

C’est dire combien ce petit guide me ravit dès la première page lue, en me révélant les voyages, économiques entre tous, que l’on peut accomplir, en cet étrange pays. Il indiquait, en même temps, les cent manières, si simples et peu coûteuses de s’y rendre instantanément, et c’est à quoi je commençais à m’entraîner avec passion.

Je fus bientôt rompu à ce sport, et la semaine n’était pas finie que je passais déjà toutes mes journées parmi les attractions sans nombre de ce gigantesque Star-Park, en compagnie de quelques initiés qui savent la route.

Je ne saurais exprimer avec des mots à trois dimensions (ce sont les seuls caractères que possède Le Journal) la volupté de ces longs après-midi passés à grimper le long de l’escalier horizontal, à canoter sur le lac vertical ou à boire au bar parallèle.

Il fallut, pour m’arracher à l’attraction singulière de ce pays de rêve, l’attirance disjonctive de la femme que je rencontrai un jour au carrefour Lafayette !

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Cette ligne de points, éloquente, me dispense de vous dire le charme de sa beauté blonde et comment, étant mariée, elle devint adultère par amour pour moi et pourquoi, huit jours durant, je cessais de penser à mes quotidiennes randonnées au pays de la quatrième dimension.

Je fus amené à y penser de nouveau d’une curieuse manière.

Le mari de la blonde aimée était, je l’avais vite su, d’une jalousie extrême, à faire pâlir le More de Venise en personne. Cela explique le plaisir que j’éprouvai, un jour, à me trouver nez à nez avec lui, — sa femme à mon bras, — au coin de la rue Drouot.

Avant que j’eusse pu me rendre compte de ce qui se passait en moi, et entraîné par la force de l’habitude, j’avais exécuté la seule manœuvre qui pût nous sauver : reculer froidement de deux minutes en arrière pour avoir le temps de prendre une rue de traverse et éviter le choc inévitable.

Ce réflexe fut pour nous une révélation.

Désormais, notre tranquillité était assurée et je renonce à vous décrire, comme il le faudrait, les jours dorés de notre lune de miel.

Chaque jour, sous prétexte de visites ou d’emplettes, la blonde aimée venait me rejoindre a la gare du Midi, située, comme on le sait, entre celles du Nord et de l’Est, et qui constitue à la fois la tête de ligne et le terminus de la voie ferrée, au pays de la 4e dimension.

Pour plus de sécurité, une fois arrivés, nous allions en droite ligne à la maison plate à deux issues, qu’a si bien décrite M. de Pawlowski et qui est bien la plus splendide invention que l’on ait jamais faite à l’usage des amants !
Tout cela fut un bien beau rêve, jusqu’au jour où Charlotte (car Elle s’appelait Charlotte) devint enceinte.

C’est à ce moment que commence le drame, qui devait éclater le jour de ses couches.

Car c’est ce jour des couches que le mari constata irréfutablement son infortune conjugale et que notre vie, ma vie, sa vie, furent à jamais gâtées et brisées.

Charlotte accoucha d’un enfant à quatre dimensions !

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