H.-J. Magog – Le Père-Noël (1942)

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« Le Père-Noël », conte inédit (à l’époque !!!) de H.-J. Magog, est paru dans Les Ondes, l’hebdomadaire de la radio n°87 du 27 décembre 1942.

Le Père-Noël

Un peu avant l’heure du dîner, Jojo se faufila dans le salon. Il était tout surexcité, ses yeux brillaient, au milieu d’un visage rosi par le froid, et des vestiges de neige durcie demeuraient à ses chaussures. Le regard de la mère se fit sévère.

— Où te cachais-tu ?… On t’appelle depuis plus d’une heure… Tu viens du jardin… Je t’avais cependant défendu de jouer dehors.

Jojo baissa le nez et ne répondit pas.

— Prends garde de trouver, demain, ton sabot vide ! conclut la maman. Tu sais que le père Noël n’aime pas les enfants désobéissants.

Ainsi quitte Jojo tourna le dos et s’en fut, en tirant malicieusement la langue vers le coin où Didi l’attendait.

C’était un petit bonhomme de huit ans. Sa sœur en avait bien six. Et tous deux étaient les lutins joyeux d’une grande maison campagnarde, solitaire au milieu d’un vaste jardin, pour l’instant recouvert de neige. C’est dire que les deux petits n’avaient point encore eu grand contact avec l’humanité ; leur mère leur servait d’institutrice, ils étaient eux-mêmes toute leur société.

S’accroupissant près de Didi, Jojo murmura en grand mystère :

— Il est arrivé… Je l’ai vu… Il a une grande barbe blanche, un vieux manteau et un bonnet de fourrure. Il n’avait pas l’air de porter des paquets, mais sa houppelande doit avoir de grandes poches… J’étais sorti pour voir danser les flocons de neige, qui tombaient… Il est passé tout près de moi…

— Tu lui as parlé ? demanda la petite fille aussi surexcitée que son frère.

— Pas si bête !… Je voyais bien qu’il ne voulait pas être aperçu… Il est entré dans notre jardin, par un trou de la haie et il marchait doucement, en regardant de tous côtés et en prenant soin de ne pas faire de bruit… Il ne m’a pas aperçu parce qu’il faisait déjà nuit et que je suis petit… Mais, moi, je l’ai suivi, sans me montrer, et je sais où il est caché… C’est dans la vieille remise…

— Je voudrais aller le voir ! souhaita Didi, en joignant ses petites mains.

Mais Jojo fut inexorable.

— Non… Tu le ferais partir… Attends ce soir… Quand tout le monde sera endormi, nous nous lèverons et nous irons le guetter par la fenêtre… Ce sera son heure… Nous le verrons sortir et venir… Surtout, ne dis rien !

— Je ne dirai rien ! promit solennellement Didi.

Évadés des petits lits bien tièdes, les deux enfants, tout blancs dans leurs longues blouses de nuit, s’étaient embusqués près de la fenêtre.

Ils apercevaient, en face d’eux, la masse noire des bâtiments des communs, ils devinaient la porte de la remise. Entre elle et la fenêtre, du haut de laquelle Ils observaient, un tapis de neige s’étendait. Sa blancheur était la seule chose qu’ils pouvaient voir distinctement.

Sur elle, tout à coup, quelque chose bougea, sortit de l’ombre de la remise.

— Le voilà ! soupira Jojo.

Et son cœur se mit à battre aussi fort que celui de la petite Didi.

— Tu vois ! continua-t-il tout bas. Il a pris l’échelle… Il va monter sur le toit.

— Pour entrer par la cheminée ? demanda candidement la petite.

— Naturellement.

L’ombre barbue — une silhouette furtive de vagabond sordide — glissait sur la neige, traînant l’échelle.

Arrivé au pied du mur, l’homme la dressa. A son inclinaison, il était facile de voir qu’elle n’arrivait pas à la hauteur du toit, mais que l’extrémité des montants s’appuyait au rebord d’une des fenêtres du premier étage.

Jojo ni Didi ne s’en avisèrent. Ils étaient à l’âge où la foi ne raisonne pas. Pour eux, celui qu’ils observaient ne pouvait entrer que par la cheminée.

Silencieusement, l’homme monta… Il disparut aux regards des petits, qui ne pouvaient voir que la partie avancée de l’échelle.

— Il va venir, souffla Jojo, très ému.

Non loin d’eux, dans une pièce presque voisine, le grincement, aussitôt arrêté, d’une espagnolette, maniée avec précaution, annonça l’ouverture d’une fenêtre.

Les deux enfants n’y prêtèrent nulle attention. Ils n’imaginaient pas qu’on pût ouvrir, du dehors, une fenêtre fermée. L’art de découper sans bruit une vitre leur était inconnu. Et, d’ailleurs, ils ne pensaient qu’au toit et aux cheminées. Un long silence suivit. Didi et Jojo attendaient toujours.

— Dans quelle chambre va-t-il descendre ?… Si ça pouvait être ici !…

Mais un grand tapage éclata soudain, éveillant la maison endormie. Consternés, les deux enfants entendirent des cris, des appels, la descente en avalanche des domestiques, couchés à l’étage supérieur ; en même temps, leurs fronts collés à la vitre, ils virent reparaître, glissant à une vitesse vertigineuse, le long des montants, la silhouette barbue du vagabond qui s’abattit dans la neige, se releva prestement et détala dans la nuit.

Déjà, des appels retentissaient de tous côtés et des gens, portant des lanternes, couraient à travers le jardin.

Alors, Didi et Jojo se regardèrent et se mirent à sangloter.

— C’est fini ! gémit Jojo. Jamais plus on n’aura de joujoux. Ils ont chassé le père Noël !…

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