Hans Allew le pirate in L’Intrépide : n° 471, 1919 – n° 504, 1920, Offenstadt

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Hans Allew le pirate : une histoire de pirate moderne avec de vrais morceaux de merveilleux scientifique !

L’Intrépide, 34 chapitres du n° 471, 31 août 1919, au n° 504, 18 avril 1920.

 

Voilà une histoire qui a failli m’échapper. Il faut dire que la mise en page est reléguée à une place mouvante, les tout petits dessins, un peu tristes au noir sur le papier jauni, n’étaient pas attirants. Le sujet non plus ne me séduisait pas, un récit de pirate moderne, pas encore tout à fait assez vieillot pour flatter l’œil. Heureusement, un paragraphe, lors d’une lecture transversale, a fini par me réveiller. Et pour tout dire, Hans Allew est un pirate dont les exactions criminelles ne sont pas si laborieuses à découvrir. Pour être honnête, il me faut préciser que je n’ai lu le récit qu’à partir du chapitre III, au moment où l’action se précipite, après un résumé qui me chuchote que je n’ai pas perdu beaucoup en grimpant en marche.

L’affaire démarre à Brest, quand le Démocratie, un fier vaisseau de la Marine française, est baptisé et lancé à flot. Le lendemain, Le Goalec, son armateur se repose dans son château tandis que son épouse et sa fille passent quelques jours de croisière sur leur petit yacht, L’Armor. Le constructeur breton accueille un invité, le comte de Reversé, dont l’attitude est inexplicablement nerveuse. Avec l’accord courtois de son hôte, le comte envoie un message télégraphique d’une importance vitale. Le lendemain, après une attente fébrile, il reçoit enfin la réponse et, à la stupeur du châtelain, se transforme sous ses yeux en un personnage inquiétant, menaçant. Effectivement, il s’agit d’une félonie, le comte annonce au malheureux que non seulement le Démocratie a été piraté, mais ce sont de ses ponts que L’Armor a été abordé et les deux êtres les plus chers de l’armateur, kidnappés. Le forban qui a perpétré ces crimes n’est autre que Le Pirate Noir, Hans Allew. La demande de rançon ne tardera pas à arriver, plusieurs millions. Un chapitre d’une intensité dramatique croissante très bien menée.

Suit un passage à vide, je ne possède pas le numéro, mais le résumé, efficace, me rend compte de la situation, je reprends sans aucun problème le fil. Les héros sont séparés, l’armateur et son jeune compagnon, Gael d’une part ; d’autre part, les dames et le dévoué matelot Boulot. Les deux protagonistes complémentaires sont de fiers garçons de la Bretagne : ténacité, courage et fidélité, bien entendu. Un dernier personnage fait son apparition, il s’agit d’un dilettante anglais, personnification de l’aventurier flegmatique teinté de génie, riche bien sûr, et propriétaire d’un caprice de multimilliardaire, un sous-marin merveilleux, Le Spleen. Après quelques épisodes en mer, Sir John Johnson Corwet rencontre à terre Le Goalec éprouvé, qui nous permet un aperçu de ce profil britannique, amélioré par sa pratique particulière de la langue française.

Quelques jours après le retour de Mme Le Goalec, sir John se fit annoncer chez l’armateur :

« Gentlemen, dit-il après s’être incliné à son angle favori (45 degrés), je viens vous, confus et fort vexé… Le femme de vô a rejoint sans que j’aie appris le chose… Je voguais au diable, sur mon cher Spleen… Si je avais su plus tôt, j’aurais prévenu vô de l’arrivée d’elle et vô auriez pu aller à son rencontre sur le plage où elle aborda et lui éviter la nuit qu’elle a passée dehors sous le pluie et le vent, à même les froides pierres granitiques du perron… j’ai rongé les poings de moâ… j’ai tire sur les cheveux de moâ, en signe de rage et de désolation. Je viens demander le pardon de vô pour le négligence de moâ et dire à vous que maintenant je cours sauver le jeune fille qui est restée à Allew-House…

Et, ce disant, sir John Johnson Corwet, baronnet, s’inclina (45 degrés) et, flegmatiquement, s’éloigna…

 

Au chapitre XVI, Corwet a déjà joué un certain nombre de tours pendables à l’honnête et sérieux criminel, Hans Allew. Entre autres, lui subtiliser Gael et Boulot laissés pour mort par leur bourreau, puis les faire réapparaître en spectres devant les yeux exorbités d’horreur du forban. Mais le Pirate Noir a conservé ses captives, et c’est uniquement contre une rançon énorme qu’il a rendu l’épouse, la livrant comme un sac sur une côte déserte. Sir Corwet, déterminé à donner la leçon à ce cuistre, repart conquérir l’île d’Allew qu’il harcèle depuis plusieurs semaines. Il réussit à franchir la barrière de mines grâce à un stratagème astucieux réalisé en scaphandre depuis le fond de l’eau. Un épisode qui ne manque pas de rappeler Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, à l’instar de celui consacré à la récupération de Gael et Boulot, abandonnés dans leur esquif au milieu de l’océan et sauvés miraculeusement par le sous-marin, surgi comme un Léviathan des flots. Hélas, sir John sous-estime les défenses du pirate et, alors qu’il se faufilait dans les quartiers de la captive, il est électrocuté et capturé. Plus grave, son équipage désorienté omet de mettre le sous-marin à l’abri, Hans Allew découvre la machine extraordinaire qui le tourmentait, échouée comme une baleine impuissante sur le sable. Il s’en empare évidemment, avec force de rires moqueurs et insultants. L’influence vernienne s’accentue, utilisée en variante, quand Allew prend possession du bâtiment : « Un grand silence régnait à bord. Le pirate se sentait troublé et mal à l’aise. Un vague effroi l’envahissait, seul, dans ce mystérieux engin. » Il inspecte cependant les lieux et comprenant que « les innombrables appareils : roues immenses, bielles luisantes, énormes pistons, balanciers régulateurs, manivelles, leviers » lui sont étrangers, il s’en remet à son ingénieur, Gussner (allemand évidemment) qui lui annonce que les équipements sont « ultra-récents et d’un modèle tout autre que ceux en usage ». C’est le paragraphe qui m’a attiré l’œil !

Le second de sir Corvet remet curieusement les plans du sous-marin sans discuter, une feinte on s’en doutera. Plusieurs épisodes sont consacrés à la navigation sur et sous les eaux à bord de l’incroyable machine, supervisée par Allew. On découvre surtout la vitesse proprement ahurissante du Spleen : 80 nœuds en vitesse de croisière, et bien plus en « quatrième vitesse » même si celle-ci n’est pas précisée, l’auteur a hésité à s’engager plus loin dans cette voie qu’il maîtrise probablement mal ! Le pirate, tout à sa joie de soumettre enfin le sous-marin, a la déconvenue rageuse de découvrir l’évasion de l’Anglais pendant les ultimes essais. Malgré les recherches massives, sir Corwet n’est pas retrouvé. Pendant ce temps, un paquebot chargé d’or et de passagers est annoncé dans les eaux territoriales du Pirate Noir. Ce dernier ne résiste pas à l’attrait de nouvelles ripailles et à bord du Spleen, il part mener l’abordage ne laissant que quelques hommes à la garde des prisonniers restants. Enfin, il n’abandonne pas réellement tous ses captifs. Fidèle à l’ignominie qui le caractérise, il embarque les ex-revenants, Gael et Boulot, leur promettant une nouvelle mort en poupe et en grande pompe lors du prochain abordage… dont ils pourront ressusciter à loisir puisqu’ils sont plaisamment immortels.

Voilà l’instant fatal arrivé, c’est la rencontre d’un paquebot chargé de deux mille insouciants et fortunés passagers avec un vil forban sans honneur. Sur le pont, les canons sont engagés, le pavillon noir flotte sinistrement, l’œil du prédateur brille de joie contenue et ordonne la mise à feu lorsque, inexplicablement, au lieu de voguer sus à sa proie, le Spleen fait demi-tour et repart à toute vitesse vers le port d’attache ! Le vent de la course à rebours secoue violemment les hommes sur le pont, c’est en rampant misérablement que le pirate et son équipage réintègrent à temps les soutes, terrorisés par ce revirement incompréhensible.

Les chapitres XXVIII à XXX sont de belles pages que je présente in extenso, en images. Ils expliquent comment après s’être enfui, l’Anglais met en œuvre les ressources astucieuses de son esprit et les capacités prodigieuses de son sous-marin, pour vaincre à lui seul toute une armée de bandits. Pour résumer brièvement, le Spleen, véritable engin futuriste, est doté d’une double commande. La seconde, secrète, court-circuite la première et permet à un unique pilote de manœuvrer l’ensemble des machines ! Encore mieux, le sous-marin est entièrement sous écoute depuis ce poste dérobé. En se restaurant d’un en-cas arrosé de Bordeaux et de thé, l’élégant Britannique emprunte cette fois sa désinvolture à Arsène Lupin. Il s’octroie une cigarette fine et un somme réparateur avant de mettre en déroute les vilains, quelques secondes avant l’abordage du paquebot. Il abandonnera les bandits après les avoir dûment effrayés, près d’un îlot désert où ils attendront la justice en tremblant. Maître à bord, « Sir John Johnson Corwet, baronnet, roi des mers » a gagné.

Les chapitres suivants détaillent les différentes phases de l’action, avec quelques retours en arrière, un style qu’affectionne l’auteur, puis c’est la libération des otages, y compris Gael et Boulot dénichés dans les soutes du Spleen. Les pirates sont livrés à la justice, la fillette rendue à ses parents et les biens volés à leurs propriétaires.

Un récit maritime inspiré par des caractères et des situations littéraires archétypales de l’époque, Jules Verne, Maurice Leblanc, la forte prédominance de héros bretons. Rien de bien original, mais un mélange relevé, non dénué d’humour et servi par de belles descriptions, presque romantiques, des étonnantes mécaniques.

Deux écueils dans la reconnaissance de cette œuvre, elle est anonyme. Il est peu probable que soit celle de José Moselli, il emploie plusieurs pseudonymes pour voiler ses nombreuses productions, pas plus que celle de Pierre Adam pour les mêmes raisons. En fait aucun des auteurs maison habituels ne semble pouvoir correspondre au style du texte, Jo Valle, Gaston Choquet, etc. Vais-je rester sur un échec ? Non, pas tout à fait, le roman est édité en deux volumes dans la Collection d’Aventures sous le nom de Madel. Voilà qui n’avance pas bien loin. Madel a été rapproché de l’auteur Franck Madel, pseudonyme de Madeleine Prabonneaud, romancière active au XIXe siècle jusqu’en 1911. Ce qui semble un peu incertain en 1920, de plus l’auteur susdite n’abordait pas du tout ce style de littérature, ayant commis essentiellement des petits romans sages. D’après Jean-Luc Buard, Madel, bien qu’anagramme de Ledam, n’a rien à voir avec ce dernier pseudonyme attribué officiellement à José Moselli. Dans l’état de mes simples connaissances, bornée par les ressources du réseau, je me remets aux autres spécialistes pour percer cette identité peu employée.

L’illustrateur n’est pas crédité non plus et les quelques cases signées sont quasiment illisibles. Pourtant, le dessin est joli et animé, rien de suspect ni de laborieux dont on aurait dû se cacher, au contraire. J’ai réussi à déchiffrer Henry St… : Steiner, Stemas ?… Des échantillons presque discernables sont joints, si quelqu’un possède une meilleure vue, merci de m’en faire part… Plus tard, Guy Costes me signale qu’il s’agit de Henry Steimer, dessinateur de presse, dont on ne sait, hélas, rien de plus. Merci, Guy, pour ton œil de Lyncée.

La publication en Collection d’Aventures n’apporte pas non plus d’éclaircissement, les illustrations sont signées par Jobbé-Duval dont le style est reconnaissable, rien à voir avec l’artiste de la revue.

Collection d’Aventures (Éditions de la Collection d’aventures)

  • n° 492 Hans Allew, pirate
  • n° 493 La Chambre sous-marine

Note pour les grands maîtres secrets du fandom. Le Rocambole n ° 34/35 donne auteur et illustrateur pour inconnus. Le titre n’est pas référencé dans l’encyclopédie de Pierre Versins. Ne traitant pas de lieux enterrés, il n’est pas dans Les Terres creuses des sieurs Altairac et Costes. Il est totalement absent du Rayon SF et de tous les autres nombreux petits bouquins consacrés à la bibliographie de la science-fiction. Je m’attribue donc l’invention de ce trésor !

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