« Le Miracle d’une fée (Anticipation) », de Hector Ghilini, est paru dans L’Intransigeant du 27 décembre 1920.
Le Miracle d’une fée (Anticipation)
Ce que fera l’Électricité dans vingt-ans.
15 janvier 1940. — Hier matin, je suis allé trouver M. Antoine Borrel, notre ministre des Forces hydrauliques. Un bon sourire sous sa moustache blanche, taillée court, il m’a accueilli avec la cordialité que je lui connais depuis plus de vingt ans :
— Vous rappelez-vous, m’a-t-il dit, les projets que je vous exposai en 1920 ?… Quelles belles réalités ils sont devenus aujourd’hui !…
Et le ministre de me brosser, le tableau rapide de ces étonnants travaux :
— 1920 !… Nos rivières nous donnaient alors près de 7.500.000 chevaux-vapeur force, soit environ le 6e de leur énergie. Malgré la hausse formidable des prix des matériaux et de la main-d’œuvre, le programme élaboré par les ministres d’alors, MM. Claveille, Cels, Le Trocquer et moi-même, a été réalisé.
« Aujourd’hui c’est 5 millions de chevaux-vapeur que nous prodigue notre houille blanche, soit plus de la moitié de leur force éternelle. L’année compte 8.700 heures. Si nous ne calculons que sur 5.000 heures d’utilisées, nous voyons que l’eau de nos chutes et de nos fleuves produit, par an, l’énorme puissance de 25 milliards de HP heures, soit l’équivalent de près de 25 millions de tonnes de charbon !…
« Je ne dis pas que depuis 1920 nos besoins en charbon aient diminué d’autant. Pour le plus bel essor de la vitalité économique française, l’aménagement de nos grands cours d’eaux a fait naître une foule d’industries nouvelles, donc des besoins nouveaux en charbon. Cependant, l’économie réelle en combustible oscille entre 12 et 15 millions de tonnes par an, c’est-à-dire quelle se chiffre par milliards de francs…
Des trains sans fumée.
« C’est une véritable transformation, un rajeunissement de toute notre industrie, une force nouvelle qui nous pousse en avant. Enfin l’on voit des usines claires, aux murs-blancs ! Enfin, l’on voyage dans des trains sans fumée ! Enfin, nos grandes lignes de chemins de fer ne sont plus encombrées de longs convois de houille !… Nous brûlons aujourd’hui le charbon dans la mine et son énergie, transportée au loin, va fournir à bien meilleur compte chaleur, force et lumière aux plus lointaines industries, aux plus petits hameaux de France. Et lorsque, par suite de la diminution des eaux, nos usines hydro-électriques voient baisser leur production, les centrales thermiques viennent à leur aide et la houille noire fraternise avec la houille blanche.
De l’électricité britannique.
« Et je ne désespère pas de voir un jour l’énergie du charbon anglais lui-même, dont les importations sont encore importantes, nous arriver par un câble électrique qui emprunterait la voie toute faite du tunnel sous la Manche…
« Il y a de l’or, dans nos cours d’eau, disait l’Intransigeant, jadis. Nous avons commencé à en ramasser les innombrables pépites. Notre Rhône, dont le projet d’aménagement fut voté en 1921, nous prodigue 720.000 HP de force, dont Paris utilise la moitié. Vous savez trop, à quelle renaissance magnifique a donné lieu cet aménagement. L’irrigation a fertilisé les plaines immenses de la Crau et de la Camargue. De Marseille, nos trains de bateaux remontent jusqu’à Rotterdam. Trois continents : l’Asie, l’Afrique et l’Océanie sont reliés, par la Méditerranée, le Rhône et le Rhin à la mer du Nord.
« J’ai cité le Rhin. Autre source merveilleuse de notre redressement économique. Son énergie, égale à celle du Rhône, a fait des merveilles dans tout l’Est français.
« Il y a la Dordogne, dont la force a remplacé les trois quarts des locomotives du réseau d’Orléans, et dont les 275.000 chevaux ont semé une vie nouvelle dans notre vieux Languedoc.
« Il y a la Tinée, dont nous avons, il y a dix ans, capté les 150.000 HP dd force, et grâce à laquelle les chemins de fer du Sud ont pu être électrifiés et tant d’améliorations apportées dans la vie matérielle des populations du Sud-Est.
« Et tous les torrents et toutes les rivières des Alpes !… berceau de la houille blanche ! Centre de l’industrie française de l’aluminium !
« Mais il faudrait énumérer presque toutes les rivières de France des Vosges aux Pyrénées, car chacune apporte aujourd’hui, peu ou prou, l’argent de ses cascades à la richesse nationale.
« Grâce à cette Contribution ininterrompue, nos chemins de fer ont pu être électrifiés sur 9.000 kilomètres. Traduisez : 3 millions de tonnes de charbon économisées par an et le trafic a doublé depuis vingt ans ! Et l’on va étudier l’électrification à d’autres lignes.
Du tourisme électrique.
« Enfin, sur nos grandes routes voisines, des puissantes artères d’alimentation électrique commencent à s’élever des bornes de distribution d’énergie électrique — comme en Amérique il y a vingt ans ! Des milliers d’automobiles ont abandonné le pétrole. Pourvues d’accumulateurs qui leur permettent de rouler 75 kilomètres, elles peuvent les recharger à ces bornes distributrices, moyennant le paiement de l’énergie fournie. Il y a cent ans, il y avait sur les routes de France des relais de chevaux ; aujourd’hui, il y a des relais de chevaux vapeur… C’est le progrès ! »
Là-dessus, M. Antoine Borrel se mit à rire et ce rire me réveilla incontinent.
Sur ma table de travail, je retrouvai des notes sur le programme de l’aménagement de nos forces hydrauliques d’ici dix à quinze ans (1). Mon rêve l’avait réalisé en 1940. M. Borrel m’a depuis affirmé avec force qu’il le serait avant. La France le souhaite et l’attend.
(1) cf. Hector Ghilini, « Deux rivières françaises vont nous donner 400.000 kilowatts », in L’Intransigeant du 23 juillet 1920.