« T.S.F. et “radioteurs” », d’Hector Ghilini, est paru dans L’Intransigeant du 18 septembre 1933.
Illustration : Frick, « Trouble in Paradise », in Vendredi du 25 septembre 1936.
Hector Ghilini sera bientôt réédité chez Bibliogs… A suivre…
T.S.F. et “radioteurs”
Tout a été dit sur la T.S.F. depuis qu’il y a des radio-postes et qui parlent haut. Toutefois, le XIIIe Salon de cette jeune industrie des ondes bavardes se termine aujourd’hui. Saluons-le d’une aimable émission.
Et tout d’abord, d’où vient la T.S.F. ? C’est le moment de rappeler que la T.S.F., comme la plupart des industries modernes d’ailleurs, ne remonte pas à la plus haute antiquité et qu’elle n’est pas non plus, comme certains arriérés le croient encore, un simple phénomène de ventriloquie.
La T.S.F. est tout bonnement la fille de Mme Électricité et d’une association, en participation paternelle composée, d’une part, de M. Hertz, et d’autre part, de MM. Branly, Edison et Marconi. Le premier inventa les ondes, les seconds en furent les séducteurs : C’est eux qui les apprivoisèrent et les tirent prisonnières.
Pour atteindre leur but, ils n’hésitèrent pas à passer une grande partie de leur existence à chercher à attirer chez eux, dans leur intimité, toutes les ondes — ces chères grandes ou petites !
Il arriva qu’un jour, les ondes hertziennes, naïves, ne purent résister à l’attrait puissant d’un tube à limaille de fer dont le sex appeal, si l’on peut dire, les subjugua. Par lui, on les capta. Et c’est ainsi qu’amorties et entretenues — hélas ! — tout le monde se les offre aujourd’hui.
Les ondes sont de grandes coureuses qui vibrent sans cesse à travers des espaces infinis dont Pascal avait la frousse. Or il arrive que, dans leurs longues randonnées, elles se rencontrent comme de vulgaires autos. Il se passe alors un phénomène régulier : elles s’évanouissent ; et au corollaire, l’auditeur qui les écoutait tranquillement n’entend plus rien.
A bien réfléchir, cet inconvénient, assez fréquent, provient de l’inorganisation des émissions que l’on pourrait régler aussi soigneusement que celles de la Loterie Nationale.
Pour éviter ces disparitions, que les amateurs appellent fading (du marseillais « fada » : celui qui fait des plaisanteries stupides), pourquoi ne pas décréter le sens unique en T.S.F. ?
Les jours pairs, par exemple, il y aurait des émissions Nord-Sud. Du coup, pas d’erreurs, pas de chocs, pas de fading. Les jours impairs, émissions Est-Ouest, ou toute autre combinaison analogue.
Les lampes de T.S.F. ont ceci de particulier qu’elles n’éclairent pas. Elles chantent, elles parlent ou elles bafouillent.
Les savants nous apprennent que c’est la même chose : lumière et son ne sont que vibrations de fréquences différentes (1). Seulement, nous voyons les premières et pas les secondes ; et nous entendons les secondes et pas les premières.
L’onde T.S.F. est une lumière invisible à l’œil humain ; de même que l’onde-lumière est inaudible à notre oreille. Supposez qu’un jour ce soit le contraire qui se produise.— tout peut arriver — nous entendrions alors chanter le soleil, et Dieu seul sait si nous y verrions encore quelque chose !
Avant les lampes, on se servait de galène, sorte de cristal détecteur : le Sherlock Holmes des ondes d’il y a quinze ans. Quand on y pense aujourd’hui, âge orgueilleux du superhétérodyne, on peut se demander ce que les amateurs allaient faire dans cette galène.
L’amateur de T.S.F. est un type dans le genre de l’amateur de papillons : l’un attrape des ailes multicolores, l’autre des bruits multisonores.
La différence qui les sépare consiste en ceci : le papillonneur conserve ses papillons, tandis que le sans-filistin lâche sans arrêt ses postes. On peut même écrire que sa joie essentielle réside dans la recherche incessante de postes nouveaux, lesquels se manifestent entre deux sifflements.
Car le véritable amateur de radio, le véritable « radiateur », n’écoute jamais la T.S.F. ; il cherche uniquement des postes, et son but est de battre des records de réception à la grande fureur de ses amis mélomanes qu’il a invités pour entendre un beau concert et qui se baladent sans joie de Berlin à Londres et de Varsovie à Milan, sans rien entendre nulle part.
Il n’y a que les invités durs d’oreille qui, ne se doutant de rien, disent de temps en temps :
— Comme c’est bien !
Ils sont seuls de leur avis.
De notoriété publique, sainte Jeanne d’Arc a des droits incontestables à être la patronne de la T.S.F. ; la première elle entendit des voix invisibles assez distinctement pour qu’elle pût suivre leurs indications. D’autre part, elle descend des Arc, vieille famille électrique française connue.
Enfin, elle est canonisée ; donc officiellement placée, pour défendre en haut lieu les intérêts de la radio.
Vous parlerai-je encore du bobinage duo-vertical (qu’il ne faut pas confondre avec une danse analogue) ? De la lampe mixte grille, qui n’a rien de commun avec un plat italo-britannique de nom analogue ? Du neutrodyne, qui n’est pas une spécialité pharmaceutique contre la neurasthénie ? Ou bien des stations de T.S.F. où, contrairement à ce que croit le ministre des Travaux publics, il n’y a aucun chef de gare ?…
Non, n’est-ce pas ? Il vaut mieux terminer, et vous citer simplement, en prenant congé, l’alexandrin d’un gourmet-poète dont le haut-parleur graillonnait sans cesse :
Toujours de la friture, et jamais du rôti !
(1) Dans Le Secret du docteur Voronoff (1926), Hector Ghilini écrit : « Les initiatives hardies de Voronoff, après l’indifférence, avaient rencontré une espèce de haine organisée. C’est probablement parce que son idée dépassait l’époque où elle avait été lancée : de même quand les vibrations dépassent un nombre déterminé, l’oreille ne perçoit plus les sons. »