Henri Elsie – Mirabelle, la petite sorcière, illustré par E. Millon (1953)

0

« Mirabelle, la petite sorcière » est un conte écrit par Henri Elsie et illustré par E. Millon.

Il fut publié dans La Semaine de Suzette n°51 du jeudi 19 novembre 1953.

Derrière la signature Henri Elsie, se cachent Elsie Denise Millon, écrivain et illustratrice, et son mari Henri Collin Delavaud, écrivain et journaliste.

Mirabelle, la petite sorcière

Chevauchant leurs manches à balai et suivies de Puss, leur chat maigre et noir, les sept petites sorcières s’échappèrent des fumées qui flottaient au-dessus de la ville basse et se répandirent dans la vallée des Trembles.

— Amstramgram… pique et pique et… colégram… bourre et bourre et… ratatam… mistram… gram !

Tapageuses et grinçantes, elles sautaient d’un village à l’autre, s’engouffraient en tourbillons tumultueux dans les cheminées, ébranlaient sonnettes, portes et volets dans la paix des nuits et, de leurs voix croassantes, lançaient de droite à gauche, de haut en bas, de-ci de-là, leurs souhaits maléfiques :

— Amstramgram.., je souhaite qu’aigres, véreuses et dures comme cailloux soient les poires du vieux Dukka !

— Pique et pique et… je souhaite que brûle plus noire que le diable la tarte dans le four de Mme Vieillevieille !

— Colégram… qu’à torrents il pleuve, la nuit du bal, chez Agnès !

Elles étaient si pressées d’accomplir leurs vilenies qu’elles bousculaient leurs méchancetés, avalaient leurs mots, bredouillaient leurs souhaits :

— Bourre et bourre et… que sourde, muette, aveugle demeure la mémoire de Patati le jour de son examen !

— Ratatam… que, cric crac ! sur la queue du chien Faraud retombe la porte grise !

— Mistram… que ratée, ratée, ratée soit la robe que coud Gila la couturière !

— Gram !

Si ce dernier mot cabalistique n’était suivi d’aucun souhait perfide, c’était pour la seule raison que la septième petite sorcière qui l’avait proféré était si jeune, si inexpérimentée encore qu’elle manquait d’imagination et de vivacité dans le mal. Mais elle n’en était pas moins virulente et, pour ne pas se trouver en reste avec ses sœurs, elle sifflait à vous percer les oreilles et, glissant sur son balai, faisait trébucher d’une pichenette une mouche, deux mouches, dix ou vingt mouches dans un pot de miel ; tirait, en passant, les cheveux d’un sage écolier ; crachait sur le feu pour l’éteindre ; ou, au contraire, les joues gonflées à éclater, soufflait sur la flamme pour que mousse, s’enfle, déborde le lait qui mijotait sans souci.

— Peuh ! me direz-vous, toutes ces espiègleries ne sont que de tout petits malheurs très supportables, comme il en arrive par douzaines tout au long d’une existence.

Mais, justement, depuis que les sept petites sorcières avaient pris possession de la vallée des Trembles, ce n’était pas par douzaines que survenaient vexations et déceptions de toute nature, mais bien par centaines, par milliers, par dizaines de milliers. Et il ne se passait pas d’heure sans que, incroyablement, les portes claquent au nez des gens ; que, inexplicablement, le linge qui séchait au vent s’envole. Et aille se perdre sur les plus hautes cimes ; que les vêtements deviennent bizarrement étriqués pour les gros, grotesquement vastes pour les maigres ; et que les ménagères, avec une fréquence exaspérante et incompréhensible, salent leurs meringues au chocolat et sucrent leur bœuf gros sel.

Il n’en fallait pas plus pour que tout le monde fût d’humeur exécrable et que les diaboliques petites créatures redoublassent d’activité :

— Amstramgram… arrachez, bourrasques, le chapeau de ce passant !

— Pique et pique et… aigrissez, crème au caramel !

— Colégram… éteignez-vous, lampes et chandelles !

— Bourre et bourre et… grincez, grincez sans arrêt, girouettes rouillées !

— Ratatam… égratignez, orties ! piquez, puces et moustiques !

— Mistram… éclaboussez ce costume de fête, ruisseau boueux !

— Gram !

Et les grilles des poulaillers continuaient à s’entr’ouvrir mystérieusement pour laisser fuir leurs prisonnières ; les grosses brioches au kirsch de Célestine, la pâtissière, se retrouvaient tous les matins embrochées comme par hasard sur le paratonnerre du vieux donjon ; la jument Biglette s’enivrait chaque nuit d’une mesure de vin versée — par quelles mains criminelles ? — dans l’avoine de sa mangeoire ; les gens, les animaux, les choses se comportaient malgré eux de la plus insolite façon, tant et si bien que — les sept petites sorcières étant invisibles comme le sont toutes les véritables sorcières — les bonnes gens, qui n’y comprenaient rien, commençaient à s’accuser les uns les autres, se soupçonnant, s’épiant, s’injuriant.

Et tout allait de travers et, sans doute, tout aurait continué à aller de travers si, un matin gris et glacial de décembre, cric crac ! le balai de la plus jeune des sept sorcières ne fût venu heurter le toit pointu d’une maisonnette avec des volets percés d’un cœur ; une porte grande ouverte qui semblait inviter les passants ; une cage où un merle chantait à tue-tête ; un jardin dominé par un grand sapin et une petite maîtresse de maison qui s’appelait Mirabelle.

Mirabelle, donc, était ronde, dorée, appétissante, avec un visage tout marqué de petites taches de soleil comme un fruit bien mûr.
Jolie ?

Peuh ! peut-être pas, mais on n’a pas besoin d’être jolie pour plaire.

Bref, Mirabelle et sa maisonnette avaient l’air de sourire aux choses et aux gens avec tant d’amitié confiante qu’à les regarder, on éprouvait l’envie irrésistible d’être l’amie de Mirabelle et de s’installer pour toujours dans sa maisonnette.

La septième petite sorcière, qui, elle, n’avait aucune envie d’être l’amie de qui que ce fût, fit en les apercevant une horrible grimace et, se déchaussant d’un geste prompt, cric crac ! envoya son sabot à travers la vitre qui se brisa en mille morceaux.

— Bah ! fit Mirabelle, une vitre cassée, ça porte bonheur ! Et puis cela aérera cette salle qui sentait le renfermé.

La sorcière fronça les sourcils.

— Ah ! ricana-t-elle, cette impertinente prétend-elle me donner une leçon ?

Elle chercha quelque idée de vengeance, n’en trouva pas — ne vous ai-je pas dit qu’elle manquait d’imagination ? — et serra les poings avec dépit.

— Eau, belle eau, murmura-t-elle en se précipitant vers la cheminée, viens m’aider !

L’eau, qui commençait à chuchoter dans la marmite sur le feu, sauta comme une folle et se répandit par terre jusque dans les coins les plus reculés de la salle.

— Ouf ! voilà mon carrelage lavé sans que j’aie seulement eu le bout du petit doigt à lever, je n’ai plus guère qu’à essuyer, chantonna Mirabelle avec tant d’insouciance que la petite sorcière en eut le souffle coupé.

— Feu ! ô feu, viens m’aider ! implora-t-elle en trépignant de dépit. En mille éclairs désordonnés, le feu bondit dans l’armoire aux vêtements et cric crac ! les réduisit en un petit tas de cendres noires.

Mirabelle poussa, tout à la fois, un cri de frayeur et un rire de plaisir :

— Ça tombe bien, dit-elle, car j’en avais vraiment assez de toutes ces vieilleries. Enfin, je vais pouvoir me fabriquer une robe à la dernière mode, avec un décolleté bateau et des manches kimono.

— Ah ! c’est trop fort, grogna rageusement la méchante petite sorcière. Vent ! ô vent, viens m’aider.

Le vent se leva et se rua si rageusement lui aussi sur la maisonnette qu’il arracha la porte de la cage. D’un coup d’aile, le merle monta droit vers le ciel et disparut dans les nuages.

— Eh bien ! tant mieux, dit Mirabelle moitié pleurant et moitié riant. Mon pauvre merle que j’aimais tant, je n’avais pas le courage de lui rendre sa liberté. Voilà qui est fait et j’en suis bien heureuse pour lui.

Alors, levant son doigt crochu vers le ciel lourd, gris et bas, la petite sorcière hurla :

— Neige, neige étincelante, viens m’aider !

Nonchalante, silencieuse et légère, la neige dansa dans les airs et se posa sur les arbres du jardin.

— Bravo ! cria Mirabelle en battant des mains. Il y a des festons de neige, des guirlandes de givre, des étoiles de glace dans le grand sapin et voici que tout est fin prêt pour la fête de Noël !

Alors la septième petite sorcière se retint de pleurer et appela :

— Mes sœurs, mes sœurs, venez m’aider !

Elles sont bien trop égoïstes pour s’entraider, les sorcières. Et, en outre, celles-là ne se souciaient guère de se laisser humilier par une petite fille au sourire réjoui. Elles avaient donc fui vers d’autres pays et, seul, un ricanement sec grelotta dans l’air froid de décembre.

La petite sorcière sentit le rouge de la colère lui monter au front. Mais, fièrement, elle haussa les épaules avec désinvolture, leva le nez en signe de mépris et siffla son chat noir.

— Puss, dit-elle, nous n’avons que faire dans cette sotte maison, auprès de cette sotte personne. Suivez-moi, Puss, je vous prie.

Or, Puss, qui avait rôdé d’une pièce à l’autre en se frottant à tous les meubles, faisait le gros dos et, d’un air distrait, passait et repassait sa patte sur son oreille.

— Puss ! répéta la sorcière en tapant du pied, m’obéirez-vous enfin ?

Pour toute réponse, Puss s’installa au coin de la cheminée, ramena sa queue en rond autour de lui, enfouit son nez entre ses pattes.

— Puss ! siffla encore la sorcière d’une voix étranglée. Puss ! Puss !

Mais Puss essayait d’oublier les sorcières, les bourrasques, les aventures et leurs jours malfaisants. Il ferma ses yeux verts et se mit à ronronner.

Décidément, c’en était trop.

La petite sorcière sauta à califourchon sur son manche à balai et, tournant le dos au chat ingrat, à la maisonnette brodée de neige et à la petite fille de bonne humeur, elle allait disparaître dans un tourbillon de fumée…

Mais un regret, un remords lui serraient étrangement le cœur. Elle ne pouvait détacher ses yeux de cette petite fille qui allait et venait dans sa maison si paisible ; et elle restait là, à demi partie, à demi présente, écoutant la voix tendre et joyeuse :

— Tiens, disait Mirabelle en se baissant, qu’est-ce donc que ceci ? Un sabot gisait au milieu des débris de verre, minuscule, pointu comme une aiguille, un ravissant sabot de sorcière.

— Comme il est petit, comme il est joli et bien fait ! remarquait Mirabelle en ramassant le sabot. Sûrement, il ne peut appartenir qu’à une charmante personne. Peut-être est-ce elle qui a lavé mon carrelage, rendu sa liberté à mon merle et semé des étoiles et des guirlandes de givre sur mon grand arbre de Noël.

Et comme, pensive, elle rangeait le petit sabot pointu dans son armoire vide, elle ajouta :

— Comme je voudrais la connaître! Qui sait ! Peut-être viendra-t-elle un jour rechercher son sabot et consentira-t-elle à devenir mon amie.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.