Le prologue nous montre Kathleen, une prêtresse vaudou, en pleine cérémonie à la gloire des loas, à La Nouvelle-Orléans. Dans la même ville, trois membres du Ku Klux Klan ont enlevé une vieille femme noire pour la brûler. Avant de mourir, elle a le temps de lancer une malédiction qui carbonise l’un de ses bourreaux. Kathleen Griffith se réveille en sursaut : c’est sa mère qui a été assassinée. Elle lui apparaît pour la pousser au pardon, mais la prêtresse vaudou jure de venger sa mort. Elle retrouve le corps supplicié qu’elle enterre de ses mains, et réveille le meurtrier raciste d’entre les morts pour en faire un zombi à son service. Dans l’appartement de sa mère, quelqu’un a laissé une enveloppe à son nom pour lui permettre de retrouver les deux autres et de leur jeter des sorts.
À Las Vegas, c’est un joueur professionnel, Damian Azerach, qui reçoit un avertissement de Wang, un adversaire mystérieux aux cartes. Peu après, il échappe à une fusillade. Il déjoue une seconde tentative d’assassinat et découvre qu’elle est menée par son cousin Vasile. Pourquoi sa famille tsigane, qu’il a fuie, vient-elle le rattraper ?
De son côté, un professeur d’université, John Proctor, invoque des créatures surnaturelles. La vieille Martha Corey emploie tous ses pouvoirs magiques pour garder l’ascendant sur sa famille, même au prix du meurtre. À Séville, la fille de Proctor, Elisabeth, semble elle aussi douée de pouvoirs. À New York, Samantha Travis est emportée par Garlick Corey pour une destination inconnue. Des personnages multiples, qui le plus souvent ne se connaissent pas, convergent soudain vers un lieu précis. Qu’est-ce qui les réunit, sinon leurs dons de voyance ou leur maîtrise de la sorcellerie ? Et pourquoi vont-ils à Salem Village, tandis que d’autres se rejoignent autour d’une famille maléfique ?
La première partie de Retour à Salem était parue chez Midgard sous le titre L’Ordalie en 2012. Le roman intégral ressort enfin en 2016 chez Mythologica, avec cette première partie et sa suite, sous une couverture de Mathieu Coudray. Si cette dernière maison d’édition a malheureusement fermé ses portes, le roman est toujours disponible sous forme numérique.
Jacques Fuentealba convoque les croyances de traditions anciennes, souvent méprisées et caricaturées, pour les replonger dans le cadre de la littérature fantastique. Le projet est délicat, mais il évite bien des écueils en montrant un vrai respect de la religion vaudou ou de la culture tsigane, dont les représentants ont été persécutés. La prêtresse africaine-américaine est « fière d’être ce qu’elle était, de cette race foulée au pied pendant tant de siècles, jusqu’à nos jours, fière du rôle social et religieux qu’elle avait joué parmi les siens. » Pour autant, il ne fait pas de littérature avec des bons sentiments. Si les ancêtres de Kathleen « formaient une succession de femmes à la volonté et à la liberté irréductibles, prêtes au sacrifice pour faire avancer leur cause, non par le sang et le feu comme d’autres, mais en portant le combat sur le terrain des idées et de la foi », elles savent aussi que « la haine est bien plus immédiate et efficace ». Et face à des adversaires aux capacités surhumaines, il leur faudra puiser dans les replis les plus sombres de leur personnalité pour combattre et survivre.
Retour à Salem est une fresque aux nombreux personnages, chacun clairement individualisé, et qui à partir de lieux différents se retrouvent lancés dans une « lutte titanesque et désespérée » aux accents cosmiques et apocalyptiques. L’ennemi prend des dimensions divines, et Salem Village devient le théâtre d’un rituel effrayant. Porté par une écriture aussi efficace qu’évocatrice, apte à créer des ambiances magiques et à décrire l’étrangeté autant qu’à mener les scènes d’action et les dialogues, Retour à Salem est un roman ambitieux, qui se hausse au niveau des réussites anglo-saxonnes dans le genre et se montre digne de rivaliser avec bien des best-sellers d’horreur contemporaine.