Jacques Lob, L’Homme au landau et autres histoires – Cornélius, coll. « Solange » (2015)

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La vogue des rééditions de bandes dessinées des décennies précédentes, en particulier des années 1950, 60 et 70, est une excellente nouvelle. Elle confirme autant la légitimation culturelle de la bande dessinée (le festival d’Angoulême a même créé un prix « patrimoine ») que la viabilité commerciale des créations du passé et du format de l’intégrale.

Menée par des poids lourds de l’édition comme Dupuis, Casterman ou le Lombard, cette entreprise de préservation et de difffusion d’œuvres patrimoniales est également le fait de petites structures indépendantes comme L’Association, Le Coffre à BD, Les Cahiers dessinés ou Cornélius.

Ce dernier éditeur réédite nombre d’œuvres d’artistes reconnus dans plusieurs collections : Gus Bofa dans sa collection « Victor »​, les classiques du manga Osamu Tezuka et Shigeru Mizuki mais aussi Magnus dans « Paul », Crumb, Charles Burns, Rochette et Blutch sous « Solange » (bien qu’on retrouve la plupart de ces auteurs dans d’autres collections). C’est au tour de Jacques Lob d’entrer dans le catalogue des éditions Cornélius.

Jacques Lob est surtout connu comme le scénariste surdoué de Blanche Epiphanie et Submerman avec Pichard, de Délirius avec Druillet, des Mange-bitume avec Bielsa, de Superdupont avec Gotlib puis Alexis et Solé, ou enfin du Transperceneige avec Rochette. Il s’y distingue par ses idées originales, son humour audacieux, ses dialogues savoureux et son écriture recherchée. Mais c’était aussi un dessinateur d’humour à ses débuts, et sur les instances de Mandryka, il était redevenu auteur complet pour certains récits. Ce sont ces derniers que rassemblent les 190 pages de ce volume très soigné, qui s’ouvre sur une excellente introduction de Jean-Pierre Mercier, illustrée de dessins rares de Lob.

Certaines histoires relèvent d’une fantasmatique toute personnelle. L’Homme au landau narre la rencontre d’une pulpeuse ouvrière avec Igor, un étrange petit homme moustachu qui vit dans un landau. Elle le recueille et l’entretient avec le plus grand dévouement, alors que les exigences de l’avorton se tournent de plus en plus vers une sexualité sado-masochiste. Lob ménage savamment l’ambiguïté entre la soumission de Léa et le comportement odieux d’Igor sous son infantilisme affiché. Le sexisme des scènes les plus délirantes est toujours contrebalancé, voire dénoncé, par l’égoïsme et la lâcheté d’Igor. Le dessin de Lob, à première vue schématique et rapide, s’avère efficace et n’est pas dépourvu d’ironie sous ses dehors naïfs.

Batmax est une parodie de bande dessinée de super-héros, où un petit garçon se déguise pour préserver sa mère veuve de toute relation trop poussée avec un homme. Maxime empêche aussi bien sa mère de refaire sa vie qu’il la sauve vraiment d’avances inopportunes. Mais l’humour naît aussi de l’étrangeté : personne ne semble reconnaître l’enfant sous son maigre déguisement, Batmax parvient à mener sa double vie et à arriver à ses fins sans peine. Le pur fantasme suffit à lui seul à susciter les pouvoirs du super-héros.

D’autres histoires sont davantage des parodies de la culture populaire. Le court et excellent Bwana, le seigneur de la futaie, inverse rigoureusement le postulat de Tarzan. Bwana est un super-héros noir-africain qui vient en aide aux explorateurs africains perdus dans la France rurale. Le décalage se prête à la démystification du personnage : la faune des basses-cours impressionne beaucoup moins que celle de la savane ou de la jungle ! De même, l’inversion permet de tourner en ridicule les préjugés racistes en les retournant.

Les Aventures de Roger Fringant est de son côté une parodie de l’anticipation ancienne, inspirée des romans de Gustave Le Rouge ou des fascicules Ferenczi des années 1950, comme le dévoilait Nicollet dans sa préface à la première édition chez Futuropolis en 1981. Lob jongle avec l’imagerie éculée de la science-fiction ancienne (robots, extraterrestres à l’apparence d’insectes, espions asiatiques, fiancée pure et femme fatale) avec un trait souple et des décors hachurés qui rappellent à la fois les gravures du XIXe s. et les caricatures du début du XXe s. Le plaisir provient autant de l’absurdité des rebondissements que du regard ironique sur ces clichés.

Rassembler ces récits et les rééditer est une louable initiative : si l’on trouve encore des tirages anciens de L’Homme au landau ou de Batmax, il est plus difficile de mettre la main sur Les Aventures de Roger Fringant. D’autre part, cette édition restaure la qualité des planches : à la comparaison, l’impression est ici plus fine que chez Futuropolis, où, trop baveuse, elle obscurcissait certaines cases très hachurées.

Futuropolis, 1981 – Cornélius, 2015.

L’Homme au landau est de plus proposé dans son intégralité : l’épisode « la responsabilité sexuelle » n’avait pas été retenu pour l’édition Futuropolis, ce qui n’empêchait pas trois de ses images d’illustrer la préface de Martin Veyron. Loin d’être une incohérence, c’était peut-être une mesure de prudence dans la mesure où l’épisode caricaturait (bien gentiment pourtant) l’animatrice de radio Ménie Grégoire. De même, la présentation des Aventures de Roger Fringant diffère de la précédente en album : pour mieux montrer l’effet de boucle temporelle du récit, Futuropolis commençait par les dernières planches, dans une impression plus pâle, et se terminait sur la reprise des premières planches, là encore en gris (le reste de l’album étant en noir et blanc classique). Pour cette nouvelle édition, pas de montage souligné par un effet d’impression mais une reproduction parfaite des planches dans l’ordre originel voulu à la prépublication dans Métal hurlant. Un retour à cette première intention qui permet aussi de respecter l’intégrité de la dernière planche, dont le « ETC… » avait été clairement effacé en 1981. Dans le sommaire, il est dit que Les Aventures de Roger Fringant ont d’abord paru dans L’Echo des savanes, au lieu de Métal hurlant. Une erreur isolée qui n’est que peu de chose devant la grande qualité de l’ensemble. Cornélius offre les moyens de redécouvrir l’œuvre de Jacques Lob auteur complet dans les meilleures conditions.

Futuropolis, 1981 – Cornélius, 2015.

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