Jeanne Bénita Azaïs : Les invalides des jouets & Cerberos

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Chez les jouets : Les invalides des jouets - Imagerie d’Épinal, Modern Série, sans date (ca 1900), illustré par Léon Roze.

Jeanne Bénita Azaïs, Nouvelliste pour la jeunesse ou poète ?

 

Jeanne Bénita Azaïs est difficile à saisir. Les sources ne s’accordent pas, les noms s’emmêlent, les documents d’époque troublent. Est-elle Jeanne Bénita Azaïs née en 1888, ou l’épouse de l’avocat Jean Azaïs (né à Bagnoles, Aude, et écrivain d’études à ses heures), ou encore Jeanne Azaïs (1857-1944) qui rédige ses Souvenirs (1857-1940) publié par Le Garae Ethnopôle en 1986, ou enfin Madame Jeanne-Bénita Azaïs-Carrère de Maubourguet (Hautes-Pyrénées), récompensée par l’Académie des Jeux floraux en 1938 et 1941 à Toulouse ? Ou encore, cette même personne qui remporte un prix en 1965 aux mêmes jeux et dont le rédacteur du communiqué rappelle la présence depuis 1921. On lit son nom dans L’Express de Toulouse, un journal en 1919 et en 1936 sous deux graphies, sans détail probant…

Il est probable que plusieurs personnes aient partagé le nom, y compris l’auteur des récits pour la jeunesse et l’auteur de poésies. La nouvelliste rédige ses mémoires et les publie en 1941, ainsi que l’affirme Worldcat’ Identities en donnant des dates précises d’anniversaire : Azaïs, Jeanne 1857 – 1944. La poètesse concourut pour les Jeux floraux, Madame Jeanne-Bénita Azaïs-Carrère de Maubourguet. L’une et l’autre sont originaires du sud de la France, des Pyrénées, où le nom Azaïs est fréquent, tout comme le prénom Jeanne. Enfin, les deux femmes sont catholiques pratiquantes et promeuvent la morale de leur religion… mère et fille poète, mais seule la première écrivait des contes, car il n’y a plus de récits pour les enfants après 1942… ou ne sont qu’une ? Mon fascicule de l’Imagerie d’Épinal, imprime clairement sous le nom de l’auteur l’indication certaine de sa participation aux Jeux floraux dont elle est lauréate. Alors comment savoir sans les mémoires de l’une et la généalogie de l’autre ? J’ai abandonné, échec et mat.

L’Express de Toulouse, 1936.

 

Les recueils des Jeux floraux aident à identifier l’auteur de poèmes, elle dût concourir très régulièrement dès les années vingt jusqu’en 1965 et remporta régulièrement des prix. Les mentions qui lui sont faites révèlent ses changements d’état civil, d’abord demoiselle, ensuite femme mariée.

 

 

 

 

Recueil de l’Académie des jeux floraux (1922)
« Elle a mis à part le poème manuscrit de Mlle Bénita Azaïs, qui cueillit déjà une primevère aux Jeux Floraux et dont on retrouve la signature dans la presse toulousaine et parisienne »

Recueil de l’Académie des Jeux floraux – 1941, Académie des Jeux floraux, éditeur M.-J. Dalles (Toulouse).
« Invocation, élégie, par Mme Jeanne Bénita Azaïs-Carrère, à Maubourguet (Hautes-Pyrénées), qui a obtenu une Églantine d’Argent, lue par l’auteur. »

En 1965, l’Académie des Jeux floraux informe dans une communication :
« Le Colloque des deux Maisons, poème qui obtenu un rappel de Souci par Madame Bénita Azaïs-Carrère, à Toulouse. »
Et un peu plus loin :
« En 1921, Mme Bénita Azaïs Carrère recevait déjà un rappel de primevère, pour des Croquis Ariégeois ; son Colloque des Deux Maisons est distingué par un rappel de souci. Voilà de ces fidélités qui laissent loin derrière elles François Maynard et sa Cloris ! Son poème évoque un des drames de notre époque de béton armé : la maison sans âme. Sombre entretien entre le Building flambant neuf, produit de l’Urbanisme, et la fleur de pierre délaissée, le vieux toit, reliquaire ardent du souvenir. Reliquaire… ; on n’emploie plus beaucoup ce mot depuis le recueil de jeunesse de François Coppée, qui va avoir cent ans. Mais cet apologue moderne fait, mélancoliquement, rêver. »

Le Colloque des deux Maisons

Face à face, des deux côtés de la rivière,
Deux maisons surgissaient des brouillards du matin.
L’une, grise et trapue aux assises de pierre
L’autre, hardie, hissée à l’assaut du destin

Et toutes deux semblaient confronter leurs silences
Jusqu’au moment, où, tous les hommes endormis,
De l’un à l’autre bord, l’un et l’autre logis
Échangèrent leurs confidences

 

Le Mystère du clos-feuillu. Aventures de deux jeunes déportés des environs de Lille, (illustré par l’auteur) n° 197, 198, 3 et 17 mars 1917.

La conteuse dont je voulais parler demeure plus mystérieuse bien que Worldcat’ Identities l’identifie formellement. Elle écrivit durant la Première Guerre mondiale des récits pour Les Livres Roses, la collection juvénile des éditions Larousse. On la retrouve dans le Petit Écho de la Mode, dans Lisette, dans Bernadette et même dans le Manuel Général de l’Instruction publique entre 1920 et 1940. Avant 1914, elle apparaît, peut-être pour la première fois en professionnelle, dans les publications de l’Imagerie d’Épinal, les livrets ne sont pas datés, aux alentours de 1900. Elle écrit déjà en 1911 pour la revue La Jeunesse Illustrée. Il semblerait qu’elle ait aussi illustré certains de ses textes.

Le Cirque des animaux, Imagerie d’Épinal, vers 1910.

Nous nous contenterons ici de la situer à l’aide de quelques éléments bibliographiques :

  • Imagerie d’Épinal, Modern Série (sans date) par Jeanne Bénita Azaïs
    Le cirque des animaux
    Les invalides des jouets (illustré par Léon Roze (1869 — ?) voir la revue L’Intrépide)
    L’enterrement d’un chardonneret
  • Larousse, Les Livres Roses, 1917, par Jeanne Bénita Azaïs
    Le Mystère du clos-feuillu. Aventures de deux jeunes déportés des environs de Lille (illustré par l’auteur) n° 197, 198, 3 et 17 mars1917
    Le petit écolier de Reims, n° 225, 1917
  • Sur les rives du Mississipi, Bonne Presse, Bibliothèque de Bernadette et ses frères n° 3 en 1941 (illustré par Jobbé-Duval).

    Des nouvelles dans La Jeunesse Illustrée n° 411 : Le carrefour des Trois Chênes, le 8 janvier 1911 ; dans Lisette : Le petit sergent ; dans l’Étoile Noëliste : Le bal des fées in n° 1091 du 4 avril 1935 ; à la Bonne Presse, Sur les rives du Mississippi dans la Bibliothèque de Bernadette et ses frères n° 3 en 1941 (illustré par Jobbé-Duval) ; dans le journal La Croix : Cloches de Pâques, pendant l’occupation en 1942 ; dans l’Almanach du Petit Écho de la Mode, Le pape et le boulanger, en 1942.

    La Jeunesse Illustrée n° 411 : Le Carrefour des Trois Chênes, le 8 janvier 1911

 

 

Pour revenir au petit album en ma possession, Les invalides des jouets, lequel causa mes recherches, je vous propose son récit et ses images numérisés pour restituer l’intégralité du livret et sa triste histoire de jouets méritants. L’occasion de goûter les illustrations de Léon Roze (1869 – ?), employé par l’Imagerie d’Épinal mais dessinateur d’érotisme, auteur maison pour Fillette et L’intrépide des Offenstadt (juifs allemands) et pourtant caricaturiste antisémite pour Le Bloc… Un homme contradictoire. Et comme pendant ces mêmes recherches j’ai découvert un texte sympathique de Jeanne Bénita Azaïs, Cerberos, je vous le propose également. Il s’agit d’un conte moral, certes, et sans prétention très littéraire, mais qui a l’originalité de son sujet : comment un chien peu engageant fit la fortune d’une famille en leur rapportant sa trouvaille, un mollusque.

 

Les invalides des jouets

 

Depuis toujours les poupées, les pantins, les bêtes en bois ou en carton, bref, toutes ces charmantes choses dont les enfants s’amusent, puis bientôt se fatiguent ou qu’ils brisent et alors dé­laissent, n’avaient eu pour seule desti­née que d’être jetées au tas avec tous autres rebuts pour de là passer dans la hotte du chiffonnier, quand, une fois, le bonhomme Noël, révolté de cette lamentable fin, conçut une idée.

Comme, pour l’aider à la réaliser, son compagnon ordinaire, Saint Nicolas, était tout indiqué, il s’en fut le trouver et lui dit :

« Ne jugez-vous pas comme moi, compère, que c’est grande pitié de considérer la triste fin réservée aux pauvres jouets après leur éphémère carrière ! Bien sûr, en cela les enfants sont ingrats qui les rejettent sitôt qu’ils ont cessé de plaire ou qu’ils les ont abîmés, voire aussi les parents qui ne leur réservent pas mieux pour la tranquillité qu’ils leur ont procurée ; mais, rien à faire contre cela…. Alors ?… Eh bien, voici ce à quoi j’ai pensé :

« Ne pourrions-nous pas demander au petit Jésus, en l’honneur de qui nous descendons cha­que année sur la terre, de nous prêter une étoile inoccupée pour que nous y établissions un hospice, comme qui dirait les Invalides des Jouets, où tous ces rebuts seraient recueillis, soi­gnés, réparés et jouiraient enfin d’un honnête repos vraiment si mérité. Hein, qu’en dites-vous ? »

Saint Nicolas, aussitôt conquis, opina de la mitre, répondant simplement : « Patron, vous avez raison. »

Sans plus tarder, ils furent donc se prosterner aux pieds du petit Jésus et lui présentèrent leur requête. Celui-ci l’ayant exaucée, dès le soir même ils descen­daient tous deux invisibles sur la terre, car le feu céleste de leur lanterne ne brillait que pour eux, et, durant toute la nuit, ils recueillirent dans leurs grandes hottes tous les jouets abandonnés. Pendant ce temps, de jolis anges que le petit Jésus avait mis à leur disposition aménageaient l’étoile. De sorte qu’au matin, quand ils y arrivèrent, ils les trouvèrent au seuil tout prêts à démêler le contenu des hottes pour porter ensuite chaque jouet là où il convenait qu’il fût suivant sa nature.

Car dans le grand parc qui devait être leur séjour, il y avait de tout :

Sous de beaux arbres, tels que ceux que Mr et Mme Noé avaient vu, le déluge passé, pousser en une nuit devant la porte de leur arche de bois, se trouvaient disposés : des chalets pour les pou­pées — des casernes pour les soldats — des cuisines pour les pâtissiers — un théâtre pour les pantins et marionnettes — une salle de concert pour les musiciens — des garages pour les autos — des hangars pour les ballons et aéroplanes — des écu­ries et des étables pour les bêtes — des remises pour les voitures, charrettes, brouettes, pelles, râteaux et tous ustensiles — des basses-cours pour les volailles — des clapiers pour les lapins…

Puis encore il y avait, bordant une prairie parsemée de buissons et destinée au gibier : d’une part, une paie avec voie et train ; d’autre part, une rivière pour les ébats des oies, canards et toutes bêtes aquatiques.

Bref, rien n’avait été oublié.

Or, comme désormais chaque nuit le bonhomme Noël et Saint Nicolas faisaient leur tournée, c’était bien juste si les jours leur suffisaient pour tout ce qu’il y avait à nettoyer, recoudre, réparer, soigner et même dorloter.

Mais, comme ils s’y employaient de tout leur cœur, on peut juger, par ce qui se voit, du résultat de leurs efforts : tout ce petit monde, estropié ou non, n’a-t-il pas l’air heureux et mine florissante ?

Ah ! on ne s’ennuie pas dans l’étoile des jouets. 11 y a là des distractions pour chacun et pour tous : aussi quand apparaissent les deux bienfaiteurs, apportant leur lot quotidien de nouveaux venus, est-ce un concert unanime de bénédictions ! C’est que, pour victimes qu’ils aient été de l’ingratitude, les jouets, eux, ne connaissent pas ce défaut-là. Et même, ils s’intéressent toujours à leurs anciens petits tyrans de la terre dont ils reçoivent avec plaisir des nouvelles par les arrivants.

Si tant est que parfois vous y pensiez, ne vous de­mandez plus, chers enfants, ce que deviennent vos vieux jouets : vous le savez maintenant. Dans une étoile qu’on ne voit pas, ils se reposent agréablement et, s’il leur revient d’avoir à parler de leurs souffrances passées, ils le font toujours sans aigreur.

Que ce ne soit pourtant pas pour vous disposer à les traiter avec moins de ménagements encore. Au con­traire : aimez vos jouets le plus longtemps possible et soignez-les de votre mieux de façon que ce ne soit que par le seul effet du temps — auquel personne n’échappe — qu’ils aient à aspirer à la douce retraite à eux désor­mais assurée par le bonhomme Noël et Saint Nicolas aux INVALIDES DES JOUETS… ainsi soit-il !

Jeanne Bénita Azaïs

 

Chez les jouets : Les invalides des jouets – Imagerie d’Épinal, Modern Série, sans date (ca 1900), illustré par Léon Roze.

 

 

Un conte grec, Cerberos

 

Il était une fois, voilà bien longtemps de cela, un pauvre homme nommé Gaussia, qui vivait avec sa famille dans une misérable cabane d’un faubourg de Tyr. Ce pauvre travailleur avait une femme et quatre beaux enfants, mais la malchance avait fondu sur sa demeure. Forcée de rester au logis pour allaiter son dernier-né et vaquer aux soins du ménage, Erytra, sa malheureuse jeune femme, ne pouvait songer à s’employer dans les travaux champêtres des riches propriétaires des environs, et son mari ne gagnait que quelques misérables drachmes, à pêcher sur un méchant bateau, le poisson que les trois aînés allaient proposer aux servantes dans les rues de Tyr. La famille de Gaussia le pêcheur était pauvre. C’est à peine si, en se privant beaucoup, le père et la mère parvenaient à nourrir leurs quatre petits affamés. Or, comme pour augmenter leur dénuement, voilà qu’un beau matin les petits vendeurs de poissons rentrèrent au logis avec des mines mystérieuses.

« Regarde, mère, ce que nous rapportons ! » dit l’aîné.

Et, en disant ces mots, il découvrit un jeune chien, hirsute et laid, dont une patte à demi-écrasée pendait lamentablement.

« Un chien ? s’écria la jeune femme. Mes pauvres petits, que voulez-vous donc en faire ? C’est à grand’peine que nous ne mourons pas de faim, et voilà que vous apportez une nouvelle bouche à nourrir.

– Ne gronde pas, mère ! Ne nous as-tu pas appris à avoir pitié de la souffrance et de la faiblesse ? Nous avons sauvé ce petit chien de la mort alors qu’on allait le noyer. Tu ne seras pas impitoyable et tu nous laisseras ce jouet ! »

De guerre lasse, la mère se laissa fléchir. Au retour de la pêche, Gaussia gronda bien un peu, mais, au bout de quelques jours, il ne fit plus attention au nouvel hôte de la cabane, et la ration quotidienne s’amoindrit de la part donnée au chien. Cependant, désireuse d’augmenter les revenus de la famille, Erytra, la jeune femme, se souvint que, dans sa jeunesse, elle avait appris à tisser des étoffes soyeuses que son patron vendait ensuite avec de grands bénéfices. Comme la misère augmentait chaque jour, elle résolut de travailler chez elle, et s’étant rendue chez son ancien maître, elle obtint de lui, à force de prières, qu’il lui confiât un métier et des soies, afin qu’elle puisse gagner quelque argent tout en demeurant chez elle.

« Par exemple, dit-il à la jeune femme, prends bien garde de gâcher ou de détériorer ton travail, car je serai impitoyable, et me saisirai de ta cabane si tu me causes le moindre préjudice ! »

Erytra était habile et soigneuse. Elle prit donc l’ouvrage, pleine, de confiance en sa réussite, et promit qu’il serait prêt au jour fixé. En effet, à peine de retour au logis, elle se mit à l’œuvre, et bientôt, sur le métier rudimentaire, la trame soyeuse parut, blanche et chatoyante, à l’émerveillement des enfants et à la grande joie du mari et de la femme, qui escomptaient un gain fort nécessaire pour diminuer leur misère actuelle.

Cerbéros, Lecture du Samedi, 9 Mars 1938, Manuel Général de l’Instruction.

Un jour qu’Erytra était installée à sa tâche, des cris affreux se firent entendre au-dehors. Effrayée, elle se leva et courut ouvrir sa porte.

« Mère ! Mère ! Voyez donc ! s’écrièrent les enfants. Qu’a donc Cerberos, notre pauvre chien ? Il est couvert de sang ! »

En effet, le pauvre animal arrivait en courant, l’air joyeux, mais sa gueule était rouge, et on aurait dit que le sang sortait de son gosier.

« Ici, Cerberos ! » dit la jeune femme un peu alarmée à son tour. Et, en même temps, elle forçait l’animal à écarter les dents. Aussitôt de la bouche ouverte tomba un petit mollusque, commun sur les côtes de la mer Tyrrhénienne que le chien rattrapa adroitement et croqua à belles dents. Un flot rouge vif sortit du coquillage, et la mère et les enfants rassurés éclatèrent de rire.

« Cerberos n’est pas blessé ! Ce liquide rouge est tout simplement contenu dans ce mollusque ! »

Au même instant, le père rentra, et, devant les rires joyeux de la petite troupe, il interrogea la mère, qui lui raconta l’incident. Tout en l’écoutant, Gaussia inspectait le modeste logis. Tout d’un coup il pâlit et poussa une sourde exclamation.

« Erytra, regarde ! » dit-il. Et du doigt il désignait l’étoffe soyeuse tendue sur le métier et tout éclaboussée de ce liquide rougi que Cerberos avait dû projeter en s’ébrouant.

« Seigneur ! qu’allons-nous devenir ? » dit la pauvre femme avec désespoir.

« Essayons de laver ces taches ! » fit le père, consterné.

Mais, hélas ! le désastre fut plus grand encore. Au contact de l’eau, le liquide s’étendit sur la trame qui devint d’un beau rouge uniforme et vif… Parents et enfants se mirent à pleurer en songeant aux menaces du marchand ! Mais que devinrent-ils en voyant la porte s’ouvrir et le riche patron d’Erytra paraître en personne ?

« Je viens voir où en est ton travail ! » fit-il d’une voix sévère. Mais aussitôt il se tut. Une expression d’étonnement indicible se lut sur son visage, et, étendant la main vers le métier : « Miséricorde ! murmura-t-il, qu’est cela ? Comment as-tu pu faire ?

– Maître… je vais vous dire ! » balbutia Erytra plus morte que vive.

Mais sans l’écouter, le marchand continuait :

« Sais-tu que c’est une merveille ! Comment as-tu fait pour obtenir cette couleur écarlate ? C’est d’une richesse et d’un luxe inouïs ! »

Il faut dire qu’à cette époque lointaine, l’art de teindre les étoffes était très peu connu, et la seule façon d’obtenir la couleur rouge, couleur impériale, était de les tremper dans un bain d’écarlate dont la rareté et le prix faisaient une teinture de luxe. Aussi les étoffes rouges étaient-elles considérées comme les plus belles. Rassérénée, Erytra conta son aventure. Par bonheur, son maître, s’il était sévère, était équitable et juste. Accompagné de Gaussia et des enfants, il se rendit sur la plage, toute jonchée de petits mollusques nommés « pourpres ». Cerberos, qui était de la partie, ne se fit pas faute d’en dévorer à belles dents, ce qui lui rendit la gueule sanglante. Le marchand ramassa une corbeille de ces « pourpres », et, accompagné du pêcheur, il rentra chez lui où il appela un savant renommé dans Tyr pour ses recherches. Ce dernier reconnut qu’une matière colorante très active se trouvait dans ces coquillages, et conseilla d’établir une série d’expériences qui réussirent parfaitement. Quelques jours, plus tard, Gaussia et Erytra, installés comme intendants chez leur riche protecteur, le secondaient dans la teinture de la pourpre, et leurs enfants passaient leurs journées à recueillir avec de nombreux ouvriers les précieux crustacés. Bientôt le bien-être, l’aisance, le bonheur revinrent dans le ménage jadis si misérable, et Cerberos, le brave chien, choyé et gâté, devint gros et gras à souhait, ayant rendu au centuple la bonne action dont il avait bénéficié.

Et Tyr et Sidon, les deux belles villes de la mer Tyrrhénienne, devinrent opulentes et plus riches encore grâce à l’importation de la pourpre, inconnue jusqu’alors, dont elles gardèrent longtemps le monopole.

Jeanne-Bénita Azaïs.

Récit communiqué par Mme Rouger, directrice de l’école de la Cité Maraual, Oran. In Lecture du Samedi, 9 mars 1938, Manuel Général de l’Instruction.

Pourpre de Tyr.

2 COMMENTAIRES

  1. Bonjour,
    Je suis le fils adoptif de André Carrere un des deux fils de Jeanne Benita Azais, son fils était mon beau père, marié avec ma mère quand j’avais six ans. J’ai connu Jeanne benita Azais née en 1888, le 31 mai, décédée à Toulouse en 1982.Elle est bien auteur de contes pour enfants, récompensée par les jeux floraux, son époux décédé bien avant elle était notaire à Maubourguet, je ne l’ai pas connu. Il est décédé avant.le mariage de mes parents soit avant 1960. Elle n’a rien à voir avec la personne de l’aude. Elle semble avoir écrit des contes dans les années 30 sous le pseudonyme de jeanne d’huart de roques.
    Cordialement
    Marc Dantin-Carrere

    • Bonsoir,
      Merci beaucoup de nous avoir offert ces nouvelles informations précieuses, lesquelles esquissent une silhouette plus précise d’une conteuse et poète pourtant très active dans la première moitié du XXe siècle. Si jamais vous possédez une photographie et voulez bien en disposer publiquement, je serais ravie d’ajouter un visage aux textes, au même titre de souvenirs de la littérature.
      Merci encore, Christine Luce

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