Jonathan Carroll, Os de lune (1987) – Aux forges de Vulcain (2017)

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Couverture : Elena Vieillard

Cullen, une jeune New-Yorkaise, repense à un ancien voisin, un garçon qui a tué sa mère et sa sœur à la hache. Et elle replonge dans ses souvenirs : comment, avant de revoir son futur mari Danny, elle n’a connu que des aventures décevantes, dont l’une s’est soldée par une grossesse non désirée et un avortement. Lorsqu’il apprend cette dernière nouvelle, un de ses amis, Danny James, joueur de basket-ball en contrat à Milan, fait le voyage pour être présent à ses côtés. Doté d’une personnalité attachante, capable de voir la beauté du monde partout où elle se trouve, attentionné et athlétique, Danny est aussi amoureux de Cullen. Elle le suit à Milan, découvre l’Europe et la dolce vita, attend un enfant… mais commence aussi à faire d’étranges rêves qui se déroulent toujours dans le même monde, Rondua. « Un monde où tout était possible et où des dromadaires géants parlaient italien. »

Dans ce monde fantaisiste et imprévisible, elle a un fils, Pepsi, qu’elle aide dans sa quête des Os de lune. Ils ont pour compagnons un grand chien à chapeau noir, M. Tracy, un dromadaire, Martio, et une louve, Félina. Ils traversent d’étranges contrées et croisent des êtres plus bizarres les uns que les autres. Après la naissance de sa fille Mae, troublée par ces rêves qui de nuit en nuit se succèdent comme une autre vie, Cullen s’en ouvre à son mari, amusé par la richesse de son imagination, et à des psychologues qui la rassurent. Elle en parle à son voisin Eliot, un journaliste homosexuel extraverti et dévoué, qui se passionne pour l’histoire qui suit son fil à Rondua. Le malaise de Cullen s’accentue cependant quand des éléments de sa vie réelle apparaissent dans ces rêves, et quand en retour ces derniers semblent lui conférer ponctuellement des pouvoirs surnaturels. S’imagine-t-elle des faits inexplicables ou le rêve commence-t-il à contaminer le réel ?

Après ses deux premiers romans, Le Pays du fou rire (1980) et Ombres complices, l’auteur américain Jonathan Carroll s’est lancé dans un cycle romanesque, le sextuor des Prières exaucées, dont Os de lune (Bones of the Moon, 1987) est le premier volet. De manière caractéristique, ses romans appliquent un traitement réaliste à des sujets fantastiques, mêlant le réel et la magie à la manière des romanciers latino-américains du réalisme magique, entre fable grinçante (Le Pays du fou rire) et réécriture de conte (Flammes d’enfer).  Alors qu’Os de lune commence comme un roman réaliste tout ce qu’il y a de plus classique, avec une narratrice certes pleine de verve mais à la vie sans surprise, l’histoire laisse de plus en plus de place à ce qu’il se passe dans ses rêves, et à l’inquiétude qu’ils suscitent chez elle. Le début du roman montrait un écrivain particulièrement doué pour faire vivre ses personnages dans un cadre conventionnel. La suite dévoile une grande liberté d’imagination avec la création progressive du monde onirique de Rondua, et le révèle plus habile encore à enchevêtrer deux mondes apparemment irréconciliables. Au-delà des incohérences et du foisonnement propres au rêve, par nature libéré des lois de la physique, Rondua est comme notre monde, toujours au bord de verser dans la tragédie tout en ménageant des moments de sérénité et de bonheur.

Les éditions Aux forges de Vulcain se sont fait connaître en publiant des livres  particulièrement rares et originaux, romans anciens comme Le Vampire de PolidoriUn regard en arrière d’Edward Bellamy et les œuvres merveilleuses de William Morris, ou découvertes inclassables comme Dǎs KämpF de Vaughn Bodé ou L’Histoire de ma vie de Henry Darger. Elles ont aussi eu à cœur de suivre des auteurs contemporains comme Michèle Astrud, Louise Caron ou l’indispensable François Szabowski aux titres uniques. Elles ajoutent à leur catalogue ce court roman déjà paru en français en 1990, avec la ferme intention de le faire redécouvrir trente ans après sa publication originale, avec une préface de Neil Gaiman et sous une traduction révisée par Nathalie Serval. Prenant et virtuose, Os de lune contient aussi, après un itinéraire aussi séduisant que dangereux, deux phrases de clôture d’une grande beauté.

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