Jules Mousseron, mineur et poète, chantre des corons et diseur public

0

Au Cimetière

El canon rembuque à outrance
Des grond’mints d’orag’ continus.
Là-vo pus Ion, nos soldats d’ France
Nous défind’nt à grands cops d’obus.
In r’marqu’ qu’au cim’tière, el puissance
Ou canon résonne incor pus.
L’ champ du r’pos a cor eun’ souffrance,
La guerre y pos’ ses dogts fourqus.
Les caveaux, caiss’s sonor’s funèbres,
Répèt’ut terribl’, dins les ténèbres,
L’écho des tueri’s du déhors.
La guerr’, s’ moutrant partout hargneuse,
Sait tourminter, pa s’ voix hideuse,
L’erpos des vivants et des morts.

1915

Jules Mousseron (1868 – 1943), poète né et mort à Denain, mineur de son état, écrivait en Rouchi*, un patois picard localisé dans la région de Valenciennes. Plus connu pour ses histoires de Zeph Cafougnette, qui finira géant de kermesse, il racontait les drôleries des mineurs, leurs espoirs, leurs malheurs. Ses poèmes sont également le témoignage de leur misère et de leur gaieté, de menues choses de l’existence de tous les jours, parfois mesquines, parfois grandioses.
Sa vie durant, il mena une double activité de mineur dès l’âge de douze ans et de poète populaire, d’amuseur, aux célébrations familiales ou traditionnelles et aux fêtes sur la place publique. La petite histoire, la plus grande souvent, dit qu’il composa ses premiers vers en français des Parnassiens pour plaire à sa douce, et lui plut, car il l’épousa pour le chemin jusqu’à sa fin, mais il renonça à la langue des Belles Lettres pour la leur et celle de leurs voisins : « le parler d’ici ».

* Un dictionnaire Rouchi-Français disponible sur Gallica.

Illustré par Lucien Jonas, rééd. 1931.

Les poésies reproduites dans cet article, extraites du recueil Les Boches au Pays Noir, furent écrites durant la Première Guerre mondiale, on peut deviner au ton de chacune ce qui motivait Mousseron à leur rédaction : indignation, révolte et résignation, horreur, et ce sentiment d’irréalité qui broie le cœur quand la violence militaire met à sac une contrée quiète. Le pays ne respirait pourtant pas la douceur de vivre en temps de paix ; les mines, les corons, la pauvreté n’engageaient pas à la liesse populaire, mais cette guerre ôta le peu qu’ils possédaient aux habitants, lorsque ce ne fut pas leur vie, d’une manière arbitraire et imprévisible.
Le recueil parut après la fin du conflit, illustré par Lucien Jonas*, diffusé à Lille puis à Paris par Jules Tallandier, lequel fut un admirateur amical, et par des librairies régionales et l’auteur lui-même. . S’il a les accents revanchards qui enrouèrent les gorges contre les « Boches », il est surtout imprégné de la colère qu’éprouvaient les petites gens contre les envahisseurs, les massacres, le canon, la misère des réfugiés belges, la famine continuelle, les injustices, et la peur au jour le jour. Dans son introduction, Mousseron adjure au souvenir et à la méfiance des « barbares allemands ». Pourtant, sa conclusion, sa dernière phrase à l’intention des générations suivantes, qui découvriraient son vieux livre tout cabossé dans un grenier est celle-ci : « Et la lecture de ces histoires vécues pourra aider nos descendants à bien connaître les angoisses d’une invasion allemande, à mieux goûter le bonheur de vivre dans la paix… et à maudire la guerre. Denain 1919 »
J’ai choisi de numériser et reproduire trois poésies exemptes de mentions à l’ennemi, elles datent du début du conflit mondial, la plus récente commence cet article. Outre qu’elles résonnent dans mon oreille telle une musique entendue au carillon des beffrois — les dire est un véritable plaisir même si, pour être honnête, je dois les prononcer très mal —, elles expriment l’incompréhension et l’impuissance, ressenties par n’importe qui se trouve emporté dans un déferlement destructeur, quand la vie apparaît assez fragile pour ne pas mériter qu’on l’abrège avec autant de souffrances.

* Lucien Hector Jonas (1880 – 1947) était un peintre né à Anzin, près de Valenciennes.

Illustration de Lucien Jonas pour Les Boches au Pays Noir, Jules Mousseron, réédition 1931.

 

Bonheur d’infant

À la mémoire de Corneille Theunissen*, grand talent et noble cœur.

Quand Denain étot à l’ déroute,
L’ nuit du vingt-quatre au vingt-cinq Août ;
Qu’effrayés in s’ sauvot tertoutes,
N’import’ commint et nimporte où,

Un gamin, d’habitud’ tranquille,
N’ prélindot point suivr’ ses parints,
I quitt’rot pou toudis s’ famille
S’i n’ pouvot pas imm’ner s’ lapin.

I l’avot él’vé à l’ cuillère ;
Çh’étot, c’ lapin, s’ meilleur ami…
Ah ! oui, in pouvot tout li faire :
n’ partirot jamais sans li !

S’ mèr’ li disot dins eun’ caresse :
« Viens, m’ tiot bébé, viens m’ tiot Jésus !
V’Ià les Prussiens, nous somm’s à l’ presse ».
L’infant restot là, résolu.

Infin, pusqu’i faut faire à s’ tiête
Et qu’in sint arriver l’ z’All’mands,
In sort el lapin d’ l’étaulette :
In l’ broutt’ra dins l’ voiture d’infant.

L’ famille all’ s’in va silincieuse,
Laissant l’ démeure à l’abandon.
Avant d’ tourner l’ grand’ route poudreuse,
Ils dit’nt à r’voir à leur maison.

Avec d’aut’s malheureux d’ leu sorte,
Ils s’ach’minent dins l’ nuit sans vir clair.
Drot d’vant euss’s, l’ destin les importe
Dûss’ les Belg’s sont passés hier.

D’arbiner i n’ont point l’invie,
D’ailleurs des hauteurs ils ont vu
Briller des lueurs d’incendie.
Et pis l’ canon tonn’ tant et pus.

El gamin pousse el tiot’ voiture
Avec el lapin su l’ coussin.
Il n’ dit point qué l’ bésonne est dure :
Un roi i n’ s’rot pas sin coussin.

D’ craint’ qué l’ tiot’ poussette all’ cahote,
Del route i choisit l’ bon indrot.
I baisse, il arliève el capote,
Pou protéger l’ lapin du frod.

Quand s’amoute eun’ clarté d’ la Belle,
I cueill’ del verdur’ au hasard.
L’ lapin dins l’hierbe i s’ rimmonchelle,
Et prind des airs ed’ gros richard.

L’infant s’ fatigue, el route s’allonge,
I sint ses tiotés gamb’s fonflir.
Tout d’ même il a peur qu’il arnonche
L’ pods del voitur’ sann’ s’alourdir.

Infin, au p’tit jour, sur eun’ frète,
Nos voyageurs s’arrêt’nt un peu.
In va s’assir eun’ tiot’ milette
A ch’ l’heur’ qu’in est lon des cops d’ feu.

Pindant qu’in d’vise ed’ l’affreus’ guerre
Et des larm’s qu’all’ fait d’jà couler,
L’ gamin, avec les soins d’eun’ mère,
A s’ lapin va douch’mint veiller.

Mais, soudain, l’ brave infant sursaute
Et s’ met à rir’ tout sin pus fort.
D’ contint’mint i danse, i gigote,
Comm’ si v’not de trouver un trésor.

Les parints, qué cheull’ scène étonne,
Tout émus, vont vir el tableau.
El lapin i-avot fait ses jonnes :
Y-in avot huits cari-mancheau !

« Vettiez, aman, queulle avinture.
S’écri’ l’ tiot gamin comme un sourd . ..
Il y-a neuf lapins dins m’ voiture :
Cha n’ m’étonn’ pus qu’ ch’étot si lourd ! »

Octobre 1914.

* Corneille Henri Theunissen (1863 – 1918) était un sculpteur né à Anzin, près de Valenciennes.

Jules Mousseron, sculpture de Corneille Theunissen.

 

Contraste

À ma chère fille Naïs*.

In est à l’ bell’ saison. Su les cultures nouvelles,
El leumièr’ du solel éclate in plein’ pur’té.
Les gardins, l’ z’avélis pouss’nt comm’ des mervelles :
Y-a longtemps qu’in a eu si biau qu’ininch’mint d’été.

El tierr’ couverte d’ fleurs, el ciel plein d’hirondelles,
Nous dit’nt qu’i fait bon d’ vivr’, qu’ ch’est l’ loi d’ l’humanité.
Hélas ! nous somm’s in guerr’ ! Tout près in s’tu’ d’pus belle.
D’puis l’ matin l’ canon tonn’ sans avoir arrêté.

Dins m’ gardin, sur un banc, où tristémint j’ m’arposse,
J’ pinse à ces boul’vers’mints, aux gins qui in sont cause,
Monstr’s qui dis’nt croire in Dieu et s’ conduit’nt in bourriaux.

Pindant qué j’ rêv’ qué l’ mond’ peut vivr’ pus raisonnable,
M’ fillette su l’ gazon esqueut l’ tapis del table,
Et donn’ des miettes d’ pain aux tiots jonnes d’ pierrots.

Juin 1915.

* Anaïs Mousseron.

Illustration de Lucien Jonas pour Les Boches au Pays Noir, Jules Mousseron, réédition 1931.

 

Je souhaite intégrer une date et un lieu à cet article, celle d’hier qui fit d’un feu d’artifice un cercueil ensanglanté : le 14 juillet 2016 à Nice. Pourquoi honorer aujourd’hui et là quand, sur tous les continents, des endroits populaires sont la cible d’attentats dirigés contre les populations les moins à même de se protéger ? Marchés, rues commerçantes, écoles, métros, etc., et aux fêtes du peuple assemblé pour se réjouir : à Madagascar aussi le feu d’artifice devint un massacre. Alors, n’y voyez qu’un élan, amorcé par la publication de cet article. Il voulait rappeler, qu’importe la cause, l’époque ou le lieu, aux pauvres gens, la guerre est une malédiction.

Le géant Cafougnette créé en 1948 d’après le personnage
de Jules Mousseron défile lors du Grand Carnaval de Printemps,
l’après-midi du lundi de Pâques.

Jules Mousseron avait 47 ans quand il écrivit « Contraste ». Il vécut trois guerres, la première en 1870, encore enfant, la deuxième en 1914 eut lieu quand il atteignait l’âge mûr, il mourut en 1943 pendant la troisième. Je lis et relis ce poème et je pense à sa vie, que je tiens dans ma main puisqu’elle est terminée, dans le passé. Et je le vois s’échiner, des mines aux tréteaux dans les fêtes, écrire des vers et creuser les galeries sous terre pour gagner au charbon son briquet, jardiner en haut près du ciel les fruits et légumes pour améliorer l’ordinaire, et planter des graines de fleurs, car elles sont belles. Je puise le réconfort dans cette vie, dans sa poésie, non parce qu’elles furent exemplaires ou héroïques, mais parce que cet homme sensible, aux préoccupations semblables aux miennes, a pleuré, a crié, a regardé le mur en espérant le traverser pour découvrir le mal et l’anéantir. Impuissant. Mais il a ri aussi, il a aimé, tenace, il a foulé la terre et lui a arraché chaque parcelle de bonheur qu’il a partagé avec les siens : les gens, les animaux, les plantes, et tout ce qui vit et meurt, parce « qu’ ch’est l’ loi d’ l’humanité », la seule.

Mon ami Fabrice Mundzik, quand il a lu mon article, a pris le temps de numériser cette poésie distinguée par J.-H. Rosny aîné. Sur ce blog, nous sommes du Nord, nous y sommes nés ou nous y vivons, nous participons à sa culture cosmopolite par la force des choses, par la force des guerres en somme. Son paysage bouleversé, massacré depuis des siècles dans l’intérêt des industriels, bornés de frontières autant inutiles qu’artificielles, nous attache à chaque habitant de ce territoire capable de poursuivre avec acharnement un idéal altruiste.
Puisse chacun montrer autant de compassion et d’amour à la vie qui l’entoure, comme un poète au fond de la mine, comme un ouvrier pour une souris.

L’souris du fond

Approch’, souris, m’ bonn’ petiot’ bête.
N’euch’ point craint’ : je n’té férai rien.
Té vos : j’vas esqueuter m’ malette
Pour mi t’donner des miettes d’ pain.

Au jour, si t’es l’terreur del femme,
Au fond, à l’homm’ té n’fais point peur.
Bin au contrair’ mi l’premier, j’t’aime.
Grêl’ souris, té m’mets l’joie au cœur.

Du mineur t’es l’compagn’ fidèle ;
Il a quer vir t’ fin musiau,
Au dond de l’ fosse, t’cri li rappelle
El’ jour et l’ gazoul’mint d’ l’osiau.

J’ sais qu’ timps in timps, pétit’ coquine,
Té nous fais un peu marronner
In f’sant des tros dins not’ tartine.
Bah ! I t’faut bin aussi minger…

Hein ! Comm’ té rong’ là-d’dins, heureuse,
Quand, par tierre, in obli’ s’ briquet.
Mais comm’ té t’sauve aussi peureusse,
Au moinder bruit qué l’vint i fait !

Va, ch’n’est rien d’cha. Pu qu’t’es du monne,
I faut t’norrir… Pis, t’ming’ si peu
Qué té n’ fais point d’tort à personne,
Souvint même in n’y vot qu’du feu…

Qu’ j’aime à t’vir, continte et légère,
Courir, banqu’ter, l’lon des cailloux,
Oh ! Comm’ dins t’sort, t’zas l’air dé t’ plaire,
Malgré l’peu d’saquois qué té vos.

Va, gambad’, trott’ gambade incore.
Pu qj’té t’plais dins t’n’obscurité,
N’cach’ point à vir chuss qué t’ignores.
T’n’connos rien, rien n’est r’gretté.

Té n’es point non pus, bin sûr, sans peine.
Parfois un méchant galibot
Pou t’avoir, queurt à perdre haleine
Et veut t’écraser sous s’chabot.

J’sas bin qu’du côté d’l’écurie,
Si, d’hazard, té dirig’ tes pas,
Té risqu’ beaucoup d’la laisser t’vie,
Égorgée sous les griff’s des cats.

J’sais aussi qu’dins les momints d’grève,
Quand t’n’vos pu les carbonniers,
El pain i t’manqu’, même qué t’in crèves,
Ti qu’té veux vivr’ si volontiers !

Ah ! J’ai remarqué. Cest lend’mains d’lutte,
In veyot comm’ t’avos souffert,
Tout’ déhanqué, t’tiot’ panche à vute,
Parfois mêm’ les quat’ patt’ in l’air.

Mais n’ parlons pus d’ ces triss’s affaires :
Nous avons du pain à plaisi.
Nous brairon quand i s’ra temps d’braire.
Viens faire l’festin aujord’hui.

Approch’, souris, m’bonn’ petiot’ biète,
N’euch’ point craint’ ; jé n’té férai rien,
Té vos : j’vas esqueuter m’ malette
Pour mi t’donner des miettes d’pain.

Jules Mousseron, Croquis au charbon.

Jules Mousseron, photographie du 28 juillet 1912, à Denain (Nord).

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.