Kurt Eisner – Le Signe de la vraie sélection (1921)

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« Le Signe de la vraie sélection » est extrait de « Petits contes de guerre », de Kurt Eisner, publié dans L’Humanité du 6 février 1921. Traduction d’Alix Guillain.

Le Signe de la vraie sélection

Un habitant de la planète Mars descendit sur la terre, et se fit expliquer événements et phénomènes.

Dans une ville, il vit de nombreux êtres qui étaient aveugles, privés de bras et de jambes, atteints d’un tremblement continuel, haletants ou tordus de douleurs ; il y en avait aussi qui avaient perdu la raison.

— Les pauvres hommes, dit-il, d’être venus au monde ainsi arrangés ! mais quelle cruauté que d’attirer plus particulièrement encore l’attention sur eux en leur épinglant des croix de fer sur la poitrine !

— C’est un malentendu, lui dit son guide. Les hommes que vous voyez ici sont nos héros, qui ont été mutilés à la guerre, et les croix que vous apercevez à leur poitrine sont tes insignes d’un grand honneur !

— Mais pourquoi faites-vous des guerres ? demanda l’habitant de la planète Mars.

— La guerre est une loi de sélection en vertu de laquelle les plus forts sont victorieux et survivent aux autres, lui expliqua son compagnon ; ainsi elle sert à la conservation d’une race forte.

L’habitant de la planète Mars visita alors un hôpital. De nouveau il vit des mutilés, des aveugles et des fous.

— Encore des héros ! s’écria-t-il dans une admiration douloureuse.

— Mais non, lui répondit son guide d’un air méprisant, ce que vous voyez là ce sont de misérables déchets d’humanité, les produits d’une sélection à rebours. Toutes ces créatures sont nées telles que vous les voyez là.

— Ah ! je comprends, dit l’habitant de la planète Mars, à la différence des héros ils ne portent pas de croix de fer.

Lorsque le Martien revint à sa planète, il raconta à ses congénères les impressions qu’il rapportait de son voyage sur terre :

— Les habitants de la Terre, dit-il, font de la sélection : tantôt bonne, tantôt mauvaise. La bonne se fait par la guerre, la mauvaise par la procréation. Le résultat toutefois, dans les deux cas, est le même. Seulement, les uns, on les appelle des héros, et les autres des dégénérés. Et pour qu’on ne puisse pas les confondre, on attache aux premiers des croix de fer sur la poitrine.

Illustration de R. Guérin, extraite de Le Rire du 4 décembre 1920 :

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