La fenêtre de Diane de Dominique Douay, Le Livre et le miroir sans tain

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La fenêtre de Diane par Dominique Douay, couverture de Sébastien Hayez.

La fenêtre de Diane de Dominique Douay, Le Livre et le miroir sans tain

 

Une publication des Moutons électriques, La bibliothèque voltaïque, septembre 2015.

Dans un beau livre à la couverture toilée sous une jaquette élégante conçue et illustrée par Sébastien Hayez, trois cents pages d’un récit de science-fiction grisant.

 

La et la clef du sol

 

La

 

 

Et une multitude d’interrogations naissent à ce simple article interrompu. Du procédé qu’on pourrait soupçonner, il devient le leitmotiv du roman, l’origine et la fin d’une boucle. Il organise autour de ce détail qui nous échappe la quête insensée du héros, l’outil glissant des mains du concepteur, le concepteur lui-même qui s’est créé sous la forme d’un outil, le miroir des temps que l’on traverse, et la vision qu’on aperçoit alors ne dure jamais qu’à l’instant présent. Les mémoires immédiates de ce détail se réinitialisent en permanence tandis que les faits se répètent, sont passés, sont à venir, englués dans une trame temporelle déjà écrite.

Et l’Homme, ce bipède laborieusement pensant ? Persuadé d’occuper un territoire et de poursuivre une trajectoire, il s’efforce de maîtriser le cours de son existence, lâche prise souvent, et ballotté par les courants plus violents, se retranche dans la jouissance du plaisir immédiat, plus ou moins égoïstement, plus ou moins avec humanité.

Holà !

 

L’introduction est juste, et conviendra aux fans avertis de science-fiction, mais s’avère un chouia sévère pour les amateurs désorientés, dépourvus de la clé pour ouvrir cette fichue fenêtre. Et ce serait dommage, car La Fenêtre de Diane est un grand roman d’aventures.

Le lecteur voyage en France dans un paysage routinier masquant parfois des événements presque saugrenus, subit les déboires du visiteur un peu paranoïaque en Europe de l’Est, atterrit, dépaysé, au cœur de l’Afrique en quête de vérité et se cramponne à son guide et aux détails pour comprendre ce qu’il vit. Mieux, ou pire encore, quittant notre Terre, le grand tour promène le voyageur dans l’espace à bord d’un vaisseau d’exploration, sur d’autres sols d’une réalité alternative et hors du temps, sur Le Livre.

Le Livre est un endroit aussi familier qu’il est étranger, comme lorsque nous tenons un livre, objet commun, mais l’ouvrons sur une nouvelle histoire. Nous connaissons sa structure et son fonctionnement, ses outils, les signets, les numéros de pages. Nous savons nous repérer : le début, le milieu, la fin, et nos esprits sont préparés à parcourir à la fois un univers connu, le nôtre, et l’autre, né des idées d’un de nos semblables. Cependant, Le Livre ne ressemble pas à un livre, il est un objet intelligent ou une intelligence qui se serait incarnée, une bibliothèque intemporelle, la somme des témoignages de la vie soigneusement rapportés par un scribe ou le compte-rendu exhaustif d’un démiurge. Une entité tellement énorme qu’elle a fini par être décelée accidentellement par l’humanité. Laquelle ? Difficile à dire, la nôtre de toute façon, on la reconnaît immédiatement puisqu’elle s’est empressée de vouloir l’utiliser… et puis de la modifier de toutes ses forces, à son avantage. Incapables de détecter le sommaire, ses représentants initiés à son « Verbe » s’emploient à parcourir le Livre depuis qu’ils l’ont découvert. Et puis un jour, dans cette nouvelle bureaucratie religieuse, une autre faille projette des individus dans une routine du livre, des fragments, et ils décident d’influer sur leurs cours, par intérêt personnel ; normal pour des humains, en fin de compte.

Las est le héros, mais il est là

 

Léo*, Serge*, François*, et même Martin dans La fin des temps, et après que je viens d’achever, sont les incarnations héroïques de Dominique Douay. Leur fraternité ne laisse aucun doute quant à leur paternité commune. Oh, bien entendu, aucun ne porte les collants d’un super héros ni l’uniforme d’un officier de l’espace, encore moins l’épée à deux mains d’un barbare de fantasy. Il s’agit de héros fatigués et bourrelés de doutes et d’incertitudes, que des circonstances ou des événements étranges totalement indépendants de leur volonté entraînent dans une histoire bien plus grande qu’eux. Ils ne comprennent pas souvent du premier coup, se débattent, se noient aussi, et s’ils perdent parfois tout sens de la mesure — comme Serge, ce dessinateur trop heureux de profiter des aubaines d’un gadget bouleversant le temps —, ils s’accrochent à leur libre arbitre. Bousculés, malmenés, ahuris, aucun n’est décidé à lâcher une miette de responsabilité de son destin. Il s’appelle cette fois Gabriel et comme les autres, son profil emprunte à l’auteur de ses jours des morceaux de vie vécue, cette densité réaliste qui crée un personnage consistant auquel on s’attache pour ses qualités et ses défauts, il nous ressemble tant.

Dans cette fiction, c’est toute l’existence de Gabriel Goggelaye que l’on déroule, quand il se pense lui-même, mais aussi lorsque des observateurs suivent et commentent des scènes intimes de leur cobaye, des rushes enregistrés ou en présence, quand ils se dissimulent dans l’ombre de l’endroit qu’il occupe — une chambre, un restaurant, un jardin —, ou plutôt comme des ombres rencoignées à l’angle mort de sa vision. Le récit se déroule entièrement selon une chronologie déphasée qui sert pourtant de fil conducteur. Tenez ce fil solidement et toute l’histoire sera claire, comme si vous preniez place en vue subjective au-dessus des observateurs et les surveilliez vous aussi, décodant leurs actions en même temps qu’ils analysent le comportement de Gabriel, et finissent par le manipuler pour des objectifs qui le dépassent.

Mais pourquoi cette compulsive observation ? La vie de Gabriel n’est pas exceptionnelle, un lot de satisfactions et de déconvenues, des rencontres agréables, d’autres moins, des expériences personnelles puis professionnelles, parfois captivantes et même importantes, sans que le destin du monde puisse en être réellement altéré. Parce que Gabriel possède une particularité qu’il ignore longtemps, embarrassante quand elle s’active, un secret honteux d’après lui, qui modifie dans des conditions précises le chapitre du Livre concernant notre Terre. La conscience de son état ne s’éveillera que lorsque La
.                                                          (et vous ne pensiez pas que je vous en dirais plus, tout de même ?)

 

Interprétation atonale dérivée du La

 

Le Livre est multidimensionnel, Gabriel, un point nodal, mais les itinéraires sont nombreux. Parcourus ou tracés par des intervenants : les ombres, les observateurs, les guides, la Voix, les pions aussi qui possèdent une particularité à l’instar de Goggelaye. Ces personnages multiples s’éclipsent longtemps à la perception du héros, le lecteur a l’avantage de les connaître de mieux en mieux tandis qu’ils sont occupés à autopsier et modeler des instants du temps de leur cobaye. Je ne sais pas ce qu’il en sera de vous, qui lirez ce roman, mais le doigté virtuose de Dominique Douay sur cette partition complexe m’impressionne. D’un « La » vraiment mineur, il l’a composée sur les thèmes qui lui sont chers, le temps comme une anguille insaisissable, l’isolement de l’individu et son libre arbitre. Il l’a jouée sans jamais suivre une chronologie facile, mais en traversant la trame, à l’exemple de cette manière d’accéder aux informations dispersées et cependant unies par des mots-clefs. Et malgré un leitmotiv minuscule, il bâtit une fiction solide, tenue aux cordeaux de lieux éparpillés et de séquences temporelles, sans omettre de broder attentivement les caractères secondaires, des personnalités complexes, pendant qu’ils exposent celui de Gabriel. Les événements, les motivations, les actions, les réactions, toutes ces lignes s’imbriquent pour mener non à une fin, mais à une révélation.

Bluffant.

La

 

 

fenêtre de Diane est le quatrième roman de Dominique Douay publié aux Moutons Électriques, un retour à la science-fiction et à l’écriture après une bien trop longue interruption à mon goût. L’auteur semble avoir encore tourné autour du pot, dirait-on familièrement, en renouvelant, rénovant et même en augmentant les trois premiers parus il y a de nombreuses années. La métamorphose discrète ou plus largement sensible tendait à l’amélioration du contenu, mais avec ce dernier roman, inédit et actuel, l’objectif de ces remaniements prend une dimension nouvelle : il s’agissait des préparatifs pour une expédition plus lointaine. Non seulement La fenêtre de Diane repousse les barrières mentales de l’écrivain démiurge plus loin dans l’espace et le temps — avec une belle santé littéraire, originale et maîtrisée, elle est alerte et choisie, l’écriture de Dominique Douay —, mais cette quatrième incursion, cette partition complexe minutieusement réglée pour ne laisser au lecteur que le plaisir de lire, s’intrique aux œuvres précédentes et achève, à mon avis, de donner un caractère de grand cycle à l’ensemble : une investigation dans la nature du temps et le rôle de l’homme comme un segment parasite, dont j’attends pleine d’espoir les explorations prochaines.

– C. Luce

 

* Voir les chroniques suivantes : Léo Le Lion dans Car les temps changent, Serge Grivat dans L’impasse-temps, François Rossac dans La vie comme une course de chars à voile (concours terminé), romans parus dans la Collection Hélios aux Indés de l’imaginaire. Et découvrir Bajo dans Brume de cendres, Les moutons électriques, Bibliothèque Voltaïque.

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