La jeunesse de Naos, premiers pas : Chimère captive de Mathieu Rivero et Horus & Cie de Timothée Rey

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Label Naos, Les Indés de l'Imaginaire : ActuSF, Mnémos et les Moutons électriques.

Chimère captive de Mathieu Rivero et Horus & Cie de Timothée Rey

Dans un nouveau rayon pour la jeunesse, le label Naos, trois éditeurs réunis sous l’appellation Les Indés de l’Imaginaire ont décidé de publier des textes qui leur plaisaient et qu’ils n’avaient pu inclure dans leurs projets, jusqu’alors réservés aux adultes. Dans l’ordre alphabétique, ActuSF, Mnémos et les Moutons électriques, trois maisons d’édition connues pour leur engagement à promouvoir la littérature imaginaire, encouragent des auteurs francophones à raconter des histoires aux plus jeunes.
Jeune ? Mon miroir chaque matin me l’affirme, je ne le suis plus. Cependant, j’aime lire des romans juvéniles… tenez, j’avoue : les albums pour les petits m’enchantent, c’est dire si le reflet ment dans la glace. Forte de mon innocence, j’ai sans hésiter brisé les apparences et demandé deux titres parus depuis peu, Chimère captive et Horus & Cie, respectivement de Mathieu Rivero et Timothée Rey.
Les deux livres présentent bien : légers et faciles à manipuler, sous de belles illustrations de couverture, par Melchior Ascaride et Zariel, colorées, stylées, de celles qui ne piquent pas les yeux mais les encouragent à regarder de plus près. La maquette aérée agrémente les textes de jolis effets typographiques et d’insertions graphiques, les empreintes d’oiseau en fuite ou les ombres de châteaux chimériques, par exemple. Les flacons sont agréables, c’est important pour lire confortablement.

Chimère captive, Mathieu Rivero, ill. de Melchior Ascaride

Une amie m’avait prévenue, Chimère captive est une friandise. Quelle image gourmande, à laquelle il est difficile de résister entre amies fidèles au bon goût de l’enfance ! Elle avait raison, Mathieu Rivero a rédigé son histoire en lui donnant la saveur d’un bonbon acidulé, piquant parfois lorsque le quotidien se montre difficile, doux quand le rêve aborde des territoires accueillants. Rêver… en deux mots, l’héroïne, bien malgré elle, y consacre du temps : Céleste revient des îles pour étudier à l’université de Lyon où sa mère réside depuis qu’elle a quitté son père. Mais parlons-en de ses parents, des rêveurs eux aussi, ou plutôt versés dans les arts magiques, comme sa sœur aînée. Céleste ne s’en préoccupait pas ; intégrée, dans la norme, elle allait à l’école et entamait avec curiosité, mêlée d’un peu d’inquiétude, sa première année d’étudiante, indépendante. Est-ce le dépaysement ou la fin de l’adolescence, un talent étrange émerge soudain, qui lui permet de visiter les rêves, les siens et ceux des autres dormeurs. Une petite anicroche pourtant, elle arpente les songes sous la forme d’un labrador, sympathique au demeurant, doué surtout pour creuser des trous dans la trame ensommeillée.
De bonbons, Céleste n’en croque guère, en fait. Le café coule à flot par contre, dans la colocation qu’elle partage avec deux rêveurs comme elle, pour les tenir éveillés. Peintre, débrouillard adepte du bon plan, étudiant sérieux ou frangine impossible, sculpteur, médecin du travail, spécialiste occulte ou boutiquier étrange, Lyon recèle une galerie de personnages intéressants, en phase avec notre époque. Dans le rêve, les rencontres improbables se succèdent au cœur de paysages fantasques. Les deux lieux joliment décrits nourrissent un récit composé de chapitres brefs, menés tour à tour par les quatre jeunes adultes, embarqués dans une galère comme on les connaît bien à cet âge-là. En multipliant les perspectives, l’auteur guide le lecteur explorateur jusqu’à la page finale… du premier volume, car une intrigue plus étonnante se dévoile, à découvrir dans la prochaine aventure des Arpenteurs de rêve.

Horus & Cie, Timothée Rey, ill. de Zariel.

Le registre change avec le roman suivant, résolument destiné aux enfants de l’école primaire. Horus & Cie est une association de bêtes. Oh non, pas de gens stupides, mais d’animaux que l’on dit de compagnie, dotés d’intelligence humaine, justement, par un savant vétérinaire un peu fou et très peu sympathique. Il leur a injecté un produit de sa fabrication pour augmenter leurs capacités, un élixir assez puissant pour leur ajouter quelques pouvoirs plus extraordinaires comme la télépathie et… mais vous lirez les détails vous-mêmes. Par contre, le docteur génial est totalement dépourvu d’humanité, celle qui prête attention à son prochain et veille sur son bien-être. Il attribue à ses sujets expérimentaux des noms de code à chiffres, et leur prête autant de cœur qu’il en a, c’est-à-dire, pas du tout. Rien d’étonnant, alors, qu’un soir, profitant du transfert pour un laboratoire inconnu, un chat, un cochon d’Inde et un canari s’unissent pour s’échapper ; hélas, sans leur ami le poisson rouge, immobilisé dans son aquarium.
De Clermont-Ferrand à la côte de la Bretagne, sur les routes et dans les rivières, les super animaux montreront leur ingéniosité pour survivre à leur tortionnaire, mais ils offriront également l’affection qu’ils savent prodiguer afin de réconforter les humains assez tendres pour les comprendre. La randonnée s’avère burlesque, Horus le chat et ses amis assument leur ego animal lors de péripéties comiques, et la jeune femme peu conformiste, qui les recueille sans connaître leurs talents, se révèle la bien charmante et gentille héroïne de ce récit. Quant au méchant, secondé bien sûr de deux assistants aussi pitoyables que lui, il est tellement bête pour de bon, quand il n’expérimente pas de nouvelles molécules, qu’il invente des punitions qui font rire — à part l’un ou l’autre de ses employés qu’il a punis. Dans cette fable animalière aux accents cartoonesques, Timothée Rey, que je connaissais comme romancier humoristique lors de ses escapades policières dans la préhistoire et comme nouvelliste hilarant — une larme de joie coule en souvenir du journal de Cham, à bord de l’arche de Noé —, s’adapte à son public enfantin comme s’il en faisait partie ; le doute demeure à ce propos, peut-être bien qu’il ne l’a jamais quitté tout à fait.

Si Chimère captive est une friandise acidulée pour les jeunes adultes, Horus & Cie doit être une confiserie pêchée dans le bocal d’un marchand de bonbons à la sortie de l’école. Les deux romans ont en commun la fraîcheur des récits d’évasion, légère et pleine de rebondissements, écrits pour distraire avec bienveillance.

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