Les Robots vont envahir Paris !
Sortant d’une profonde et mystérieuse caverne ce robot part à la conquête de Paris. Il est l’éclaireur d’une immense armée qui s’apprête à occuper la capitale. Déjà des robots-espions se sont glissés parmi la population et l’épient. Ce n’est pas le début d’un roman d’anticipation, mais la première page d’un nouveau chapitre de l’histoire que va vivre l’humanité.
Pourquoi zoomer sur ce titre sensationnel dont on ne croit pas un mot, ni à l’époque ni maintenant ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’une accroche destinée à frapper le lecteur assoupi et exciter sa curiosité, tout comme il a fatalement attiré certains d’entre vous aujourd’hui, ne niez pas ! Cependant, après cette mise en bouche épicée, le papier s’avère être un bon article de vulgarisation, documenté et vivant. Il est signé Jean-Claude Soum, un journaliste qui publia quelques livres du même type et fut rédacteur en chef du Moniteur du commerce international (au moins en 1989). Largement illustré de photographies, il rapporte la rencontre avec Jean Desailly, créateur bricoleur du fameux Anatole, le robot qui fit les couvertures des revues et la célébrité de son géniteur en garage. Au-delà de l’interview et de la description du modèle digne des meilleurs films de science-fiction, le journaliste profite de l’occasion pour faire le point historique et scientifique des avancées robotiques en 1954. Un survol intéressant et intelligent pour nous aussi, en rappelant l’imaginaire et la prospective qui enflammaient les esprits à l’époque, dont l’auteur émet des déductions tout à fait pertinentes.
(Pour suivre le panorama général de la Semaine du Monde n° 79 (Nord-France), en première partie : Panorama de la culture populaire.)
Article intégral
« SUIVEZ-MOI, allons surprendre Anatole dans son antre. »
Le ton de mon interlocuteur est malicieux, mais son visage reste neutre. C’est au pas de course qu’il m’entraîne vers le fond du jardin. Je suis à Clamart, banlieue au sud de Paris, chez Jean Dussailly, ingénieur électronicien. L’allée que nous suivons monte brusquement et dessine un court virage.
– Le voici ! me dit Jean Dussailly, comme nous arrivons sur une sorte de plate-forme.
Anatole est là devant nous, immense et rutilant, à l’entrée d’une grotte artificielle. Le dernier né des robots français mesure 2 mètres 10 et pèse 100 kg. Sa peau en alliages légers brille d’un curieux éclat sous les rayons du soleil couchant. Ses yeux verts jettent une sinistre lueur accentuée par l’ombre de la grotte. À notre approche, il dodeline de la tête et tend les bras en signe de bienvenue. Tous ses gestes sont accompagnés du doux ronronnement d’une mécanique bien huilée.
Avec ses deux petites antennes au-dessus de la tête, son visage grimaçant, son allure pataude caricaturant celle de l’homme, Anatole est bien le robot tel que l’imaginent les romanciers.
Cette dégaine à la Frankenstein ne doit pas nous abuser : un robot n’est pas forcément une sorte d’homme artificiel. Certains robots sont répandus au point que nous n’y prêtons plus d’attention. C’est le cas du réfrigérateur. Son alimentation est automatiquement assurée grâce au courant électrique et il est doté d’un thermostat qui, formant un contact, décide de mettre en marche le moteur dès que la température s’élève dans la chambre. Son fonctionnement n’a exigé à aucun moment ni surveillance ni intervention humaine.
Que sait faire Anatole ?
Devançant ma question, le robot lève alternativement les deux bras, tourne la tête à gauche, avance, recule, repart et s’immobilise.
– C’est peu, avoue Jean Dussailly en tambourinant sur l’estomac d’Anatole. Avec une pareille carcasse, comment faire mieux ? Ce n’est pas moi qui l’ai fabriquée, je l’ai trouvée par hasard dans la salle aux rebuts d’un garagiste. Son constructeur voulait l’animer avec un système de rouages et de cames fort compliqués, rappelant ceux d’une horloge. Il a échoué parce que l’ensemble était trop lourd. En remplaçant la mécanique d’horlogerie de mon prédécesseur par des tubes et des relais électroniques, j’ai pu ainsi permettre à Anatole d’accomplir une dizaine de gestes simples.
Armé maintenant d’un tournevis, l’ingénieur ouvre le thorax en alliage léger du robot et fait apparaître ainsi son mécanisme. Et au fur et à mesure qu’il en explique le fonctionnement, la ressemblance d’Anatole avec un être humain, qui n’apparaissait guère tout à l’heure sous sa carapace de mauvais goût, et avec la pauvreté de ses gestes, apparaît maintenant saisissante.
Anatole obéit à des ordres extérieurs qui lui parviennent sous la forme d’impulsions électromagnétiques. Ces impulsions sont émises par un petit poste de télécommande que manœuvre l’ingénieur et suivant un code établi par lui. Ce code, c’est le langage que comprend le robot. Il se résume en des successions de points semblables à ceux que l’on trouve dans un texte en morse.
Pour capter ces impulsions, Anatole est doté d’un sens de perception. Logé dans son front, il se présente sous forme d’un petit poste récepteur muni de tubes subminiatures. Grâce à eux, il voit les ondes électromagnétiques invisibles à l’œil humain, qui sont aussitôt transmises à son cerveau. Ici, Anatole se montre d’une agilité de perception bien supérieure à l’homme. Non seulement il voit des ondes invisibles pour nous, mais leur transmission est plus rapide. Les ondes recueillies par son récepteur se propagent au long des fils métalliques conduisant au cerveau, à la vitesse de 300 000 kilomètres à la seconde. Chez l’homme, cette propagation est de 40 à 60 mètres à la seconde. Nos cinq sens, par lesquels nous percevons le monde, sont constitués par des millions de cellules sensorielles qui réagissent à une excitation — lumière, odeur, son, contact — et la convertissent en courant électrique. Cet influx électrique, pour parvenir jusqu’à notre cerveau, suit nos nerfs sensitifs qui sont moins bons conducteurs de courant qu’un fil de cuivre.
Le cerveau d’Anatole se compose essentiellement d’un sélecteur du même principe que ceux utilisés dans le téléphone automatique. Son rôle est d’interpréter les impulsions électriques reçues du récepteur. Ainsi, il sait que trois points signifient : lever l’avant-bras gauche ; quatre points : lever le bras gauche. Cette discrimination une fois faite, il renvoie les ordres aux membres intéressés sous la forme d’un courant électrique.
L’exécution d’un ordre consistant à remuer un membre suit le même processus chez Anatole que chez un être humain. Les muscles de ses avant-bras, de ses bras et de son cou sont de puissants électro-aimants où aboutissent des fils venant du cerveau. Au passage du courant électrique émis par le cerveau et amplifié par les relais de puissance, l’aimant attire, ou relâche son action.
Ces relais ont des utilisations spectaculaires. Ainsi, lors de l’Exposition de Chicago de 1933, ce fut l’étoile Arcturus qui, par son passage au firmament, à 22 heures, ouvrit les lourdes portes de bronze de l’Exposition. À l’heure prévue, la faible lueur jetée de l’étoile fut recueillie par un télescope. Une cellule au sélénium transforma ce rayon de lumière à peine mesurable avec un ampèremètre, mais qui, de relais en relais, prenant à chaque passage une puissance accrue, actionna une dynamo, puis un moteur qui fit tourner les portes !
Dans l’organisme humain, nous retrouverons ces relais sous la forme de neurones qui amplifient considérablement l’influx électrique émis par le cerveau, au point que par son passage, les fibres musculaires se raccourcissent ou s’allongent.
Manœuvrant la manette du poste de télécommande, Jean Dussailly vient de transmettre à Anatole une dizaine d’ordres à la fois. Sans affolement, le robot les exécute, suivant le classement donné.
– Anatole peut accomplir cette performance grâce à sa mémoire électronique, m’explique le constructeur en me désignant deux rangées de relais numérotées de 1 à 10. Schématiquement, la mémoire humaine a pour fonction l’enregistrement des signaux électriques émis par nos cellules sensorielles. Ces relais-ci ont la même tâche. Ils recueillent les ordres sélectionnés par le récepteur. Chacun d’eux garde le souvenir d’un geste précis à exécuter : le relais 1 de tourner la tête à gauche, le relais 2 de la tourner à droite. Et Anatole s’arrête lorsque sa mémoire électronique l’avertit qu’il n’a plus rien à faire.
Cette mémoire, sous la forme de dix bobinages soigneusement étiquetés, ne doit pas nous étonner. Ne rappelle-t-elle pas en effet les disques qui gardent, gravées dans la cire, nos chansons préférées, ou plus simplement, l’agenda de l’homme d’affaires qui, d’un coup de crayon, efface successivement ses rendez-vous au cours de la journée ?
D’autre part, Anatole est doté d’un sens inexistant dans le corps humain : le sens amnésique, sorte de relais électromagnétique lui permettant de tout oublier, d’avoir une mémoire absolument neuve.
En dépit de sa mémoire, de son sélecteur, de son œil qui voit l’invisible, Anatole est décevant. Ses possibilités d’action sont limitées. Certes, il parle, mais ici, il y a un truquage. Dans son énorme bouche, Jean Dusailly a placé un amplificateur et tout se passe alors comme dans un poste de T.S.F. classique. Un compère caché derrière un massif parle doucement devant le micro d’un petit émetteur et ses paroles, recueillies par un récepteur de radio logé dans l’estomac du robot, sont ensuite diffusées par le haut-parleur. Anatole apparaît comme un robot beaucoup trop rudimentaire. Son « père » le sait. Il l’avoue.
– C’est du bricolage, bien entendu, constate-t-il. Un bricolage qui m’a demandé quatre mois d’efforts après mon travail de la journée, de nombreuses nuits de veille, et beaucoup d’argent. Songez qu’un tube électronique de petite taille coûte 4 000 fr. Et je n’ai reçu aucune subvention, ajoute-t-il avec un sourire malicieux.
Il m’entraîne dans son atelier. Son fils et sa fille sont là, en train d’astiquer la peau d’Anatole. Ils s’activent, les cheveux dans les yeux, la main crispée sur le chiffon. Il faut faire vite, car Anatole doit être présenté dans quelques jours au public. Bientôt la carapace d’alliage léger brille comme un sou neuf. Anatole sera fin propre au jour prévu (1).
Jean Dusailly contemple avec tendresse ses deux enfants ; puis, poussant une chaise, il m’invite à regarder les plans du frère d’Anatole. Sur la table, sur l’établi, par terre, s’amoncellent pêle-mêle outils, relais, tubes électroniques : l’arsenal du fabricant de robots !
(1) « Anatole » doit être présenté au public parisien le 16 mai à la Salle Pleyel.
Sous la lumière crue d’une grosse lampe, je contemple le « père » d’Anatole. Par son aspect, son logis, ses façons, son vêtement, il montre un profond mépris des signes extérieurs de la fortune. Il porte un costume bleu avec un chandail marron. Sa cravate sombre est nouée lâche. Il a cinquante-sept ans ; mais on ne peut lui donner d’âge. Il est à la fois jeune et vieux, comme l’enthousiasme et le calcul. Cette fougue et cette mesure, je les retrouve dans le ton de sa voix éclatant et bas. Sans geste, il dresse un tableau saisissant des robots actuels et de leur avenir.
– C’est un ensemble de télécommandes analogue à celui d’Anatole qui a permis la première traversée de l’océan Atlantique par un avion sans pilote. Cet exploit a été réalisé par un avion de transport américain Skymaster qui parcourut les 4 000 kilomètres séparant la base américaine de Harmonfield de l’aérodrome anglais de Norton, en 10 heures, sans qu’à aucun moment les pilotes aient eu besoin d’intervenir. Les appareils de commande étaient scellés. Le cerveau de l’avion était resté à terre et c’est du point de départ qu’il pilotait l’appareil en lui transmettant par radio les ordres à suivre. Le cerveau pesait environ une demi-tonne. Nous sommes loin des 700 grammes de celui d’Anatole, il est vrai, beaucoup plus rudimentaire.
« C’est un cerveau électronique E.N.I.A.C. qui, pendant la guerre, permit aux ingénieurs américains de construire un canon de D.C.A. d’une remarquable précision. E. N. I. A. C. pèse 30 tonnes, mesure 30 mètres de long et 9 mètres de large. Avec ses 18 000 tubes électroniques, ses 5 000 commutateurs, ses 75 mécanismes d’addition, il peut résoudre en une fraction de seconde une équation à 150 inconnues. Son travail correspond à celui de 250 000 machines à calculer de bureau.
« Le mécanisme de monstres de cette sorte exige des soins tout particuliers. Ainsi, les 12 000 tubes électroniques du robot S.S.E.C. qui se trouve dans un gratte-ciel de la 57′ avenue de New York développent une telle chaleur qu’il fallut, pour les refroidir, un réfrigérateur colossal capable de produire 52 tonnes de glace par jour.
Devant de telles performances, à l’énoncé de tels chiffres, je me sens mal à l’aise avec mon pauvre cerveau d’homme tout juste capable de multiplier deux nombres de 14 chiffres en 20 minutes…
Emporté par son sujet. Jean Dusailly cite d’autres robots plus prodigieux encore.
« Tout à l’heure, devant les organes grossiers d’Anatole, devant ses gestes maladroits, vous avez senti en quoi ce robot grimaçant avait quelque chose d’humain. Mais que dire lorsqu’on voit évoluer les renards de mon ami Albert Ducrocq ? Depuis Job, le renard électronique doué de cinq sens, Albert Ducrocq a construit trois autres petites renardes, plus légères et plus rapides. Lorsque je les ai vues la dernière fois, elles allaient et venaient à travers la salle à manger de leur père. Avec une adresse remarquable, elles évitaient les meubles, reculaient, contournaient les pieds de la table, et repartaient. À un moment, deux d’entre elles se sont rencontrées. Comme deux bêtes, elles se sont mutuellement observées, humées, puis elles ont tourné en rond en se guettant. Albert Ducrocq les contemplait, intrigué. Elles ont une indépendance complète et il ne pouvait prévoir leur comportement. Brusquement, elles sont parties chacune de son côté. À aucun moment mon ami n’est intervenu…
« Les tortues du neurologue anglais Grey Walter, qui ont plus d’un point commun avec les renardes d’Albert Ducrocq, se meuvent librement et possèdent les attributs de la vie propre. Elles chassent et se reposent comme le faisaient les hommes préhistoriques.
« Le gibier, la nourriture, c’est pour elles la lumière. Dès que ses accus sont sur le point d’être déchargés, Elsie ou Elmer (les deux tortues) se met en quête de lumière. Grâce à une cellule photoélectrique qui tourne sur elle-même, elle explore les environs. Dès qu’elle a repéré une source lumineuse, elle met ses moteurs en marche et se dirige vers elle.
« Se heurte-t-elle à un obstacle ? S’il est léger, elle le déplace. S’il est trop lourd, elle le contourne. Si la lumière est trop vive, apeurée, elle va se cacher sous un meuble. Si la lumière est trop faible, Elsie tourne en rond, désespérée. Lorsqu’enfin elle a trouvé ce qui lui convenait, elle s’approche le plus près possible de l’ampoule dont la base est munie d’une prise de courant spécialement aménagée pour donner à ses accus le courant du secteur. Une fois repue, elle va tranquillement dormir dans un coin sombre.
« On est en admiration devant de tels prodiges électroniques. Mais notre émerveillement se transforme en profonde inquiétude devant le stupéfiant homéostat du psychiatre anglais, Walter Ross Ashby. Cette machine aussi merveilleuse qu’incompréhensible se compose de quatre petites cuves bourrées de tubes à vide, de relais et de palettes. Elle n’a rien de commun avec les cerveaux électroniques. Elle ne fait ni des calculs ni ne résout des problèmes de mathématiques. Son but est de trouver une position d’équilibre entre de nombreuses excitations contradictoires.
« En biologie, on entend sous le terme d’homéostasie la faculté que possède un organisme vivant, de maintenir relativement constant un certain état d’équilibre. C’est ce que réalise l’homéostat d’Ashby.
« Pourtant, le savant anglais s’emploie par mille moyens à entraver son fonctionnement. Ainsi, il lui tend des pièges, lui joue des tours en déconnectant un ou deux éléments, en paralysant une ou plusieurs palettes, en limitant leurs allées et venues par des obstacles, en permutant les pôles du courant. En dépit de toutes ces entraves, l’homéostat trouve toujours une organisation interne qui répond à la situation nouvelle. Il parvient à cet équilibre après quelques minutes ou quelques heures de tâtonnements. Il a recours à des mouvements impétueux ou lents, il agit avec méthode ou d’une façon désordonnée. Cela dépend de son humeur, dit Ashby, mais toujours il atteint son but. C’est un modèle d’adaptation animale à l’environnement.
« Si aujourd’hui l’homéostat ne sert à rien, demain il nous gouvernera. Il trouve un équilibre entre des excitations différentes et indépendantes les unes des autres. Mais que se passera-t-il si dans un proche avenir, le savant anglais, après quelques modifications, lui pose des problèmes concrets ? Eh bien ! il trouvera la solution.
« Ainsi, on peut concevoir, et ce n’est pas là une anticipation d’un romancier poussé par une imagination débordante, que lorsqu’un gouvernement voudra fixer le prix du beurre ou du fer, il fera appel à une machine du type homéostat d’Ashby. Pour établir le prix d’une marchandise, il faut tenir compte d’une multitude d’éléments : prix de revient, volume de la production, possibilité d’achat des consommateurs, désirs des producteurs, exigences des partis politiques. Aucun esprit humain ne peut dominer un tel problème. Par contre, la machine recevra tous les éléments d’appréciation, les assimilera et donnera toujours un prix d’équilibre.
« Dans son ouvrage « Design for a Brain », « Un projet pour un cerveau », Ashby va encore plus loin et il écrit : « Une telle machine sera alimentée par des tables statistiques énormes, par des volumes de faits scientifiques, de sorte qu’après un certain temps, elle pourra donner une énorme quantité d’instructions embrouillées, tenant compte de tous les éléments du problème. Ces instructions paraîtront incompréhensibles, mais les hommes qui les suivront scrupuleusement verront les difficultés se résoudre peu à peu. »
Une sorte de rêverie interrompt brusquement Jean Dusailly. Il allume une cigarette, me tend du feu.
– Savez-vous qu’Anatole a été pris un jour de folie ? Comme d’habitude, je lui ordonnai par télécommande de faire quelques mouvements. Il exécuta parfaitement les premiers, puis, soudainement, il fut parcouru par un terrible frisson. Il lançait ses bras en tous sens. En le voyant ainsi gesticuler, je pensais à un homme pris d’une crise d’épilepsie. Enfin, armé d’une pince, je réussis à sectionner un câble de connexion dans le cerveau. Aussitôt. Anatole retrouva son calme. Mon geste, en coupant ce câble, était semblable à celui du chirurgien pratiquant la lobotomie, qui consiste à enlever dans un cerveau des cellules malades dont les connexions perturbées provoquent des troubles mentaux graves.
« Les appareils électroniques ultra-sensibles poussent leur ressemblance avec le cerveau humain jusqu’à être atteints de névroses graves. Après un long travail, ils souffrent d’ébranlements nerveux et le matin en commençant leur travail ils sont tellement endormis que l’on doit les sortir de leur torpeur par une série d’exercices libres, comme de brusques passages de courant suivis de nombreuses coupures.
« Robert Seeber, expert à I. B. M., une des grandes firmes mondiales spécialisées dans la construction de cerveaux électroniques, qui rapporte ces faits, raconte que lorsqu’un robot est atteint de cafard matinal, il manifeste sa répulsion à travailler en calculant lentement. Bien que l’opérateur ait branché le courant, que les tubes s’allument et que la température voulue soit atteinte, l’appareil ne fonctionne pas. C’est seulement après une demi-heure d’essais qu’il consent enfin à calculer correctement. Cette paresse, bien souvent les hommes la connaissent, sous la forme de cafard matinal.
« Lors d’un récent congrès scientifique tenu à New York, le Dr Sharmon, de la Compagnie téléphonique américaine, signale l’étrange conduite d’un distributeur d’un central téléphonique de Manhattan. Durant toute la durée de la guerre et les trois ans qui suivirent, il fonctionna parfaitement. Puis son comportement devint singulier et il commença à exécuter des actes du même genre que ceux qu’accomplit un homme atteint de schizophrénie. Une équipe d’ingénieurs s’employa alors à découvrir quel était l’organe atteint. Mais en vain. Dans le central, le travail peu à peu diminua. Le distributeur travaillant beaucoup moins se remit de ses troubles et maintenant il est complètement guéri. Sa maladie était d’ordre fonctionnel. Il avait souffert comme des personnes surmenées d’un effondrement nerveux. Il avait besoin d’un congé et une cure de repos l’a remis complètement sur pied.
Fouillant dans le dossier posé devant lui, Jean Dusailly pousse devant moi un papier rose.
– Voici le frère d’Anatole, me dit-il.
Je regarde : traits et chiffres s’entremêlent d’une façon incompréhensible. Jean Dusailly m’explique :
« En fait, le frère d’Anatole gardera la même carapace. Mais il sera doté de tous les sens dont il pourra avoir besoin : yeux (cellules photoélectriques), radars, détecteurs d’ultrasons, d’ultraviolet, d’infrarouge. Il pourra, par exemple. déceler la présence humaine, même dans le noir. Il aura ses sautes d’humeur. Et en réponse à une bourrade, il pourra rire s’il est bien luné… ou flanquer un solide coup de poing dans les côtes du plaisantin ! Il jouera aux dames…
Il a oublié ma présence. Il rêve. Dans son coin, il m’a semblé qu’Anatole émettait un grognement confiant.
Jean-Claude SOUM
Pour ceux de nos lecteurs qui désireraient compléter leur documentation sur les robots et les cerveaux électroniques nous leur conseillons les ouvrages suivants : Cerveaux sans âme, Les Robots, de Rolf Strehl (édit. Self) ; L’Ère des Robots, d’Albert Ducrocq (édit. Julliard) ; La Pensée artificielle, de Pierre de Latil (édit. Gallimard).
Merci d’avoir conservé ce reportage. Mon beau-père Jean-Claude Soum, Rédacteur en Chef du Jura Français, est décédé mardi 9 mai 2017 à son domicile de Lons Le Saunier. Les obsèques ont été célébrées lundi 15 mai à 15h en l’église Saint Jean à Baume-Les-Messieurs.
Dans le cadre d’un hommage qui lui sera rendu par notre association, nous vous demandons l’autorisation de publier (en faisant référence à votre site) quelques extraits de cet article, dans l’un de nos prochains bulletins Le Jura Français.
Merci
Désolée d’avoir tardé à vous répondre, trop occupée ces derniers jours de mai pour me connecter à notre site. Bien entendu, l’accès et la diffusion de cet article est totalement libre, et dans le cadre d’un hommage au rédacteur, rien ne me fait plus plaisir que d’y participer indirectement. Avec mes condoléances pour votre peine.