Laurianne Gourrier, Selma Lagerlöf contre les trolls – Les Saisons de l’étrange (2021)

0
Laurianne Gourrier, Selma Lagerlöf contre les trolls, couverture de Melchior Ascaride, Les Saisons de l'étrange, 2021.

« Mêler une brave dame comme vous à des horreurs pareilles, c’est pas chrétien. »

C’est ainsi que Per, le garde-forestier, s’adresse à Selma Lagerlöf, en lui remettant une mystérieuse missive. Les horreurs en question se limitent pour l’instant au corps déchiqueté d’un braconnier, prétendument tué par un ours. Mais jamais un animal ordinaire n’aurait pu le mutiler à ce point. La missive charge Selma de mener l’enquête, donnant un tournant policier au roman. Mais elle est signée de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, connue pour son conte La Belle et la Bête (proche du conte norvégien À l’est du soleil et à l’ouest de la lune), et morte en 1776. C’est d’outre-tombe que lui parvient cette mission ! Laquelle scelle l’entrée de la jeune Suédoise dans la Ligue des écrivaines fantastiques, un collectif de femmes de lettres unies contre les forces maléfiques. Mais aussi une collection de courts romans de type plus ou moins pulp, dirigée par  Christine Luce*, série dans laquelle s’insère tout naturellement Selma Lagerlöf contre les trolls.

Dans la maison paternelle de Mårbacka, Selma Lagerlöf n’a pas encore écrit ni publié, que ce soit La Légende de Gösta Berling (1891) ou le célèbre roman pour la jeunesse Le Mystérieux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (1907). Mais, pourvue d’un don magique, elle est capable de voir les tomtes et autres représentants du petit peuple. Elle a même un troll familier, Heptifili, dans une version miniature et nigaude, qui lui est attaché depuis son enfance. Une enfance passée aux côtés de la vieille Maga, une « völva », prêtresse de la mythologie nordique, sorcière qui lui a appris tout ce qu’elle savait.

Pour Selma, cela ne fait aucun doute : c’est un troll, dans sa version géante et redoutable, qui a tué le braconnier. Il faut le retrouver avant qu’il ne fasse d’autres victimes sur un chemin qui ne peut qu’être sanglant. Comment et pourquoi ce troll s’est-il réveillé et a-t-il attaqué un humain, malgré le pacte millénaire qui garantit la paix entre les deux mondes ? Lancée sur cette enquête, Selma Lagerlöf reçoit l’aide de Louisa, sa meilleure amie, et d’un tailleur de pierres peu fréquentable mais qui partage le même don, Sigurd.

John Bauer, illustration pour Bland Tomtar och Troll (1915).

Laurianne Gourrier commence son roman par des pages de merveilleux proche des contes, rappelant les aventures de Nils Holgersson. La présence d’un compagnon petit et maladroit rappelle aussi l’adaptation en série animée japonaise du roman (1980-1981), qui  unissait au jeune héros à un animal de compagnie créé pour l’occasion, le hamster Quenotte. Les trolls du roman, dans leur minéralité, semblent de même avoir une origine commune avec les trolls de la série canadienne Hilda (2018-2021), rochers le jour qui s’animent de nuit, ou encore montagnes ambulantes.

Selma Lagerlöf, Le Charretier de la mort, couverture d’Henri Lievens, Marabout, 1972.

La féérie est cependant de courte durée : le monde des trolls est cruel et sans pitié, et le roman plonge dans la quête obscure que doit mener Selma, qui rappelle que Lagerlöf a aussi écrit des nouvelles fantastiques.

Le récit a même ses moments d’horreur pure. Avant de se dénouer dans une scène de fantasy absolue, fidèle au merveilleux suédois, et qui rappelle le Peer Gynt de Henrik Ibsen et Edvard Grierg ou les illustrations de John Bauer. Tour à tour magique ou réaliste, souvent grave, le roman compte cependant aussi des pointes d’humour. Chacun des brefs chapitres porte en titre un vers de chanson ou un nom de film : ce n’est pas un hasard si la meilleure amie de Selma se prénomme Louisa ! Le féminisme indéniable ne se limite pas à quelques références : Selma est une jeune femme déterminée et intelligente, lucide et courageuse, qui sait évoluer dans une société masculine hantée par les violences envers les femmes. Jouant de plusieurs tonalités de l’imaginaire, de la poésie à l’horreur, Selma Lagerlöf contre les trolls est aussi bien un conte merveilleux qu’un roman d’action féministe.

 

 

*Déclaration d’intention (ou plutôt rappel) : Christine Luce est l’une des animatrices principales de l’ADANAP !

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.