Le passé à vapeur, souvenirs littéraires d’un XIXe siècle high-tech, ArchéoSF

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Le passé à vapeur : anthologie proto-steampunk, ArchéoSF 2015.

Le passé à vapeur : anthologie proto-steampunk, ArchéoSF 2015

Dans le joli livre Le passé à vapeur, que les éditions ArchéoSF ont publié, j’ai trouvé de quoi me distraire. Sous une attrayante couverture et dans une mise en page agréable et soignée, après une préface d’Étienne Barillier, Philippe Éthuin, sous la double casquette d’éditeur et anthologiste, présente onze nouvelles, chacune suivie d’un rappel de la publication originale et sa perspective historique.

C’est une incursion intéressante dans l’appropriation des thèmes de l’anticipation au cours du XIXe siècle par des auteurs émoustillés pour la plupart de cette « nouveauté ». Comme souvent, ils s’en prennent surtout à l’aspect amuse-gueule, et se destinent à faire sourire d’un air entendu. Willy en est un représentant parfait. Charles Cros ne brille pas tant dans son interprétation, enfin, à mon goût, malgré les vers glissés dans le texte. Beaucoup d’influence vernienne, d’ailleurs deux récits sont l’un de Jules Verne, l’autre de Michel Verne, et des explorations à travers le monde à plus grande vitesse, les ballons qui enflamment les imaginations, — celle d’Edgar Poe —, les trains, etc. En somme, les innovations technologiques qui accélèrent la vie humaine et la rendent plus trépidante chaque lendemain. Les découvertes d’Edison, ou celles dont il tira une popularité énorme en son nom, émerveillent les Anglo-saxons et ont éveillé chez les manieurs de la plume des histoires particulières, les « Edisonades ». Cette veine que je pensais presque exclusivement étasunienne fut exploitée en France, au moins par Ernest d’Hervilly et son personnage au nom transparent dans l’affiliation : Joshua Electricmann. Gaston de Pawlowski, qui rédigera ce drôle de voyage dans la quatrième dimension, s’empare également de l’inventeur américain pour une pochade que j’attendais plus percutante. Enfin, peut-être parce que ces nouvelles furent en grande partie publiées dans les journaux, le journalisme est souvent l’une ou la principale composante des scénarios. Citons encore les apparitions d’Adrien Robert et Pimpinelli, l’un pour une arme destructrice et loufoque dans le cadre des absurdités guerrières, l’autre pour un automate burlesque dans un retour caustique aux publications plus sérieuses, un Adam futur créé probablement en réponse à l’Ève future de Villiers L’Isle-Adam.

La joueuse de tympanon, XVIIe, Pierre Kintzing et David Roentgen.

Si ce dernier auteur, Pimpinelli, s’est emparé d’un personnage récurrent à l’époque, l’automate, qui me fascine lorsque je lis des fictions, le sien m’a paru trop utilisé comme ressort comique (sic). C’est avec ce même androïde que le premier récit par Boucher de Perthes m’a séduite non seulement par la langue maîtrisée, élégante et fluide, mais par l’humour constant, une malice au second degré, et par le thème dévoilé peu à peu, l’un de mes favoris, pour s’achever avec ce fameux pas de côté qui permet de douter jusqu’au mot de la fin. C’est pourtant la nouvelle la plus ancienne du recueil, « Mademoiselle de la Choupillière », 1832, hors influence de ce merveilleux scientifique moderne, et peut-être inspirée directement par le Frankenstein de Mary Shelley.

Extrait :
Les choses ainsi arrangées, l’élégant Léon put tout entier s’abandonner à son amour. La charmante Colombe paraissait accueillir avec une obligeance égale tous ses adorateurs ; mais comme elle voyait plus souvent le baron, c’était lui qu’elle écoutait le plus souvent avec plaisir. Le père ne semblait nullement contrarier les goûts de sa fille ; il la laissait sans scrupule en tête-à-tête avec les visiteurs ; quelqu’un lui ayant fait des réservations à cet égard, il répondit qu’il avait toute confiance en mademoiselle de la Choupillière, qui était le portrait de feue sa mère.

Un jour, M. de Saint-Marcel trouva son amante assise sur un banc de verdure, sous un berceau de chèvrefeuille. Chacun sait que les berceaux des gazons sont en tous pays très propres au sentiment ; du moins en était-il ainsi dans la bonne ville de B. et ses environs. Aussitôt que M. Léon eut touché la fougère, il se sentit soudainement inspiré, et franchement il devait l’être ; la demi-obscurité du bocage, le simple déshabillé de la jeune personne, cette robe dont les plis indiscrets laissaient deviner des trésors, tout semblait réuni pour le séduire, si déjà il ne l’eût été ; je crois même que dans son admiration il serait tombé à genoux, si le pantalon collant qu’il portait lui en eût laissé la possibilité.

Bien que M. Boucher de Perthes se laisse aller à « laisser » plusieurs fois dans l’extrait, il le fait bien moins souvent dans toute cette histoire de laisser-aller sous la Restauration.

Locomotive atomique, image attribuée à Paul Malon, 1960.

Je pensais avoir distingué particulièrement cette nouvelle quand en apercevant une image, attribuée à Paul Malon en 1960, une locomotive atomique, un autre texte a resurgi en mémoire plusieurs semaines après l’avoir découvert dans le recueil. Je l’avais apprécié, mais pas autant qu’il le méritait pour me revenir aussi net et précis aujourd’hui : « L’Express-Times«  in Contes d’Amérique, écrit par Louis Mullem en 1890.
C’est une histoire rédigée avec l’urgence des gros titres des journaux, des dépêches de plus en plus dramatiques tandis que l’auteur décrit le nouveau lieu de rédaction-composition-impression-diffusion d’un journal, dans un train lancé à pleine vitesse à travers le monde. La cadence infernale couvre en direct toute l’information, le rythme de la machine ferroviaire accélère celui de sa cargaison humaine, les ballots de journaux sont jetés sur la voie, les télex crépitent, et le train lui-même devient l’actualité dramatique jusqu’à la fin, évidemment catastrophique.

Extrait :
[…] toujours plus rapide, le train, au lieu d’aller, semble fuir, lorsqu’un notable incident surgit ; des buées d’or rouge couvrent tout l’ouest. Il flambe des lieues de forêts.
« Aux estampes ! » vocifère le tube d’Edwards dans le wagon des artistes prêts à fusiner les croquis.
Effarément, Edwards nous dicte aussi des en-têtes à sensation, des suites de haletants télégrammes.
« Blackhumbugland en feu ! — Désastres énormes, flamboiement général ! — Villages calcinés ! — Fuite éperdue des bêtes et des gens ! — Terrible exode de carnassiers et reptiles ! — Tableaux navrants ! (Voir nos dessins.) — Informations complémentaires sous presse (Voir nos autres éditions…) »
Nous bâclons les remplissages d’un tour de main. L’affreux compte-rendu se débite déjà sur les rails. Nos millions d’abonnés vont frémir d’une terreur illustrée et « à suivre ». 

Une vraie machine : Pennsylvania Railroad class S1 1939 de Raymond Loewy.

Je tenais à réparer l’injustice flagrante commise en ignorant ce texte, et cette chronique rédigée quelques semaines après la lecture du Passé à vapeur est devenue un excellent prétexte pour lui donner une place méritée et rappeler l’anthologie concoctée par Philippe Éthuin, une compilation intéressante.

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