Evan Hunter alias Richard Marsten, Ed McBain…
… est un auteur américain célèbre pour ses romans policiers, en particulier pour celui qui, signé Evan Hunter, fut porté au cinéma sous le même titre en français, Graine de Violence, et pour sa série, sous le pseudonyme Ed McBain, du 87e District. Salvatore Lombino (1926 – 2005) de son vrai nom a publié en tant que Hunter The Death Gun, l’une de très nombreuses nouvelles dont il inonda les magazines dans les années 1950. La traduction qui suit paraît en avril 1958 dans la revue Suspense n° 25, le dernier numéro de ce magazine sabordé par la censure, mais c’est une autre histoire*.
« Le Rayon Mortel », « The Death-Ray Gun » en américain pur souche, sonne comme titre bien attirant et pourtant, il s’agit d’une longue nouvelle tout à fait criminelle. « Eh bien alors ? » questionne l’amateur de science-fiction dépité par l’escroquerie de mon titre flagorneur. Oui, mais l’intérêt réside dans l’intrigue policière et ses protagonistes qui ne peut que le faire jubiler, car le héros est un écrivain de science-fiction travaillant pour la télé, et en particulier pour les séries du genre à l’intention de la jeunesse. On découvre durant les deux tiers de cette histoire une description, tout à fait réjouissante, de l’intimité d’un studio spécialisé dans la sci-fi à hélices. La conclusion se révèle beaucoup plus banale même si elle renoue avec les vrais ressorts du polar.
Notre héros pond donc consciencieusement des fadaises pour le serial Pilotes de Fusées, billevesées qui seront de toute façon tellement transformées qu’il ne les reconnaît plus lorsque les épisodes sont tournés. Il reste honnête, elles ne sont pas pires, juste des balivernes différentes. Bien que son esprit créatif soit bafoué, son travail lui plaît, une jolie fille de la production lui plaît aussi et il entretient des rapports cordiaux avec toute l’équipe… Tout se passerait le mieux du monde si la nouvelle productrice, au demeurant belle également, ne s’était pas mis en tête de réformer le serial et de le rendre plus intelligent. Elle lui refuse son dernier manuscrit. Excédé, il décide de démissionner pour proposer ses services à la production voisine, Capitaine de l’Espace !
Pour en juger, l’extrait d’une page d’un dialogue très amusant entre les protagonistes, Jon le scénariste désabusé et Cynthia, une productrice aux arguments équivoques.
« […] il est temps que je remonte dans mon petit navire interplanétaire et que j’aille là où on m’appréciera. C’est tout simple. »
« Vous ne comprenez toujours pas, dit-elle tristement.
— Il y a une chose que je comprends, Cynthia, c’est de quel côté mon pain est beurré. »
— Asseyez-vous, » ordonna-t-elle.
— II n’y a aucune raison de prolonger…
— Oh ! pour l’amour du ciel, asseyez-vous ! »
J’obéis sans enthousiasme et lui tendis, l’air renfrogné, le manuscrit vers lequel elle allongeait la main.
« Allons-nous discuter comme des adultes intelligents ? » demanda-t-elle.
Je ne répondis pas.
« Bon, voilà ce qui ne va pas. D’abord votre science-fiction ne tient pas debout. ! Je sais que vous avez écrit ce genre de récits depuis des années, mais nous ne pouvons plus les accepter. Il faut qu’ils soient basés sur des faits avérés.
— Cynthia…
— Vous écrivez par exemple que le cadet Holmes avale à grandes gorgées l’oxygène de Mars. Bon dieu, Jon, des tests au spectroscope n’ont jamais révélé qu’il y ait de l’oxygène sur cette planète. Ce qui signifie que même au cas où il y en aurait…
— Ce serait en proportion d’un millième, comparé à l’atmosphère de la Terre. Vous ne m’apprenez rien, Cynthia.
— Alors, pourquoi le cadet Holmes respire-t-il de l’oxygène ?
— Ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. Pourquoi soulevez-vous brusquement ce lièvre ?
— J’ai réfléchi, dit Cynthia. Mais pourquoi vous obstinez-vous à contredire les données scientifiques ?
— Et les Martiens, est-ce qu’ils existent ? Vous n’avez rien contre les bon dieu de Martiens ?
— Non. Des Êtres extraterrestres sont nécessaires à notre spectacle. Ils…
— Eh bien ! demandez à vos experts si l’on a des chances de trouver des habitants sur Mars. Écoutez. Les Martiens apparaissent sur l’écran depuis deux semaines. Ils respirent, chose impossible. Donc Holmes respire également et il doit continuer à respirer.
— Je vous ai dit que j’avais déjà changé ça.
— Alors pourquoi diable l’amener sur le tapis ?
— Parce qu’il y a d’autres choses plus importantes qui ne collent pas dans le manuscrit. Par exemple, cette maladie martienne qui présente tous les symptômes de l’empoisonnement alimentaire. Nom d’un chien, Jon, avez-vous oublié que les Aliments internationaux paient l’émission ?
— Je les…
— Très bien, si vous ne tenez pas à être payé… Mais n’oubliez pas que les mères regardent la télé, elles aussi. […] »
Un peu plus tard, la productrice en question, qui a l’art de reprendre le monde à rebrousse-poil, meurt assassinée dans des circonstances étranges, tout porte à croire qu’elle a été désintégrée par le pistolaser de la série. Le nom du cadet, Holmes, semble être une coquetterie ou un hasard dans le récit, rien à voir avec Sherlock.
À la lecture, je n’ai pas longtemps douté sur l’origine réaliste : il devait s’agir d’une expérience vécue. Effectivement, Evan Hunter, sous son vrai nom, Lombino, est crédité comme scénariste d’un épisode du serial de science-fiction, « Tales of Tomorrow », datant du début des années 1950. Il s’agit de « Appointment on Mars » tourné en 1952 avec Leslie Nielsen, Brian Keith et William Redfield pour la première saison, le 39e épisode dont on donne ce résumé : « Trois astronautes sont envoyés par une compagnie minière pour exploiter les ressources de la planète. Lorsqu’ils découvrent de l’uranium, la maladie, la paranoïa et d’autres incidents les mènent à la mort. Mais qui ou quoi l’a causée ? » La nouvelle adaptée dans l’épisode, « What Price Venus ? », fut publiée dans la revue Fantastic Universe en août/septembre 1953, une date ultérieure donc. Elle n’a pas été traduite à ma connaissance, quelqu’un en saura peut-être plus ?
Plus amusant, la série télévisée est tombée dans le domaine public et on peut visionner l’épisode ici : « Appointment on Mars » sur Archive.org.
Pour en revenir au « Rayon Mortel », la nouvelle est publiée pour la première fois dans la revue américaine Manhunt en janvier 1955. En français, on peut la lire dans Suspense Magazine n° 25 chez Opta, mais aussi dans le recueil Dur de mourir au nom de Ed McBain dans la collection du Miroir Obscur n° 77, Néo 1984.
* Dernier numéro de la collection, poursuivi par la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à la jeunesse. Pour en apprendre un peu plus, L’affaire Suspense sur un site inactif consacré à Ed McBain.