Leonora Carrington, Leche del sueño – Mexico, Fondo de cultura económica (2013)

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Deux ans après sa mort en 2011, paraît un petit livre inédit de Leonora Carrington. L’artiste surréaliste britannique, plus connue pour ses tableaux inspirés de sa vie ou influencés par l’hermétisme, était aussi écrivain. Avant d’écrire ses deux romans, La Porte de pierre et Le Cornet acoustique, elle avait écrit de nombreux contes et nouvelles, dont « La Maison de la peur » ou « La Débutante ».
Elle a aussi écrit et illustré quelques contes pour ses propres fils, Pablo et Gabriel Weisz-Carrington. Ce sont ces contes que propose le vénérable Fondo de cultura económica (une institution au Mexique), ainsi qu’un conte de José Horna, l’époux de Kati Horna (à qui le musée du Jeu de Paume consacre une exposition) pour leur fille, la fantasque Nora, qui jouait avec les enfants de Carrington. Ces histoires courtes, somnambuliques, issues du rêve ou véritables rêves éveillés comme le signale le titre du recueil (lait du songe), sont bien sûr toutes illustrées. Certaines pages reproduisent des dessins isolés, formant avec leurs légendes de vrais tremplins pour d’autres contes. Le trait souple de Carrington se fait schématique et déjeté pour montrer des personnages et des situations comiques ou effrayants.
L’ensemble est en espagnol, la langue du pays d’adoption de l’artiste, où elle a fondé sa famille. À l’instar du français dans lequel elle écrivait ses premiers textes, elle a fait sienne la langue castillane, comme en témoignent les nombreux idiotismes et mexicanismes. Deux éditions sont sorties simultanément. La première, avec un prologue d’Ignacio Padilla, comprend des notes de Gabriel Weisz et d’Alejandro Jodorowsky. Elle consiste en une reproduction en fac-simile des pages du carnet de l’auteur, avec la retranscription du texte en regard. La seconde est une adaptation, proposée en édition courante pour les enfants : le texte est corrigé et rendu moins elliptique, les dessins abîmés ou trop incomplets laissés de côté. Malgré ou plutôt grâce à ce travail d’édition, cette seconde version reste fidèle aux récits et aux images d’origine et respectueuse des intentions présumées de l’auteur.
Il est bien sûr question d’enfants, mais aussi de têtes coupées (dans « Juan sin cabeza » et « Cuento feo de las carnitas »), de pipi et de caca (« Cuento feo del té de manzanilla », « Cuento repugnante de las rosas »). Le renvoi à la castration et les éléments scatologiques répondent aux peurs et à l’absence de convenances de l’enfance, dans une optique pleinement adoptée et largement partagée par la littérature de jeunesse depuis des décennies. Ce n’est pas une amie des Surréalistes qui allait se montrer étrangère au monde de l’enfance, ni regimber devant l’incongru et le dégoûtant. André Breton ne la décrivait-il pas s’enduisant les pieds de moutarde dans un grand restaurant ?
Les animaux sont l’un des thèmes majeurs de son œuvre tant plastique que littéraire, et ils sont tout aussi présents ici. Le crocodile de « Humberto el bonito », montré en couverture de la version pour enfants, mais aussi un vautour, des mouches, des petits lapins ou encore un coati. Sans oublier un Monstre et son gâteau d’anniversaire, auxquels la page des mentions légales fait un clin d’œil. Le livre est original jusqu’au bout et de toutes les manières.
Enfants et animaux connaissent les sorts les plus étranges et délirants. Les adultes sont des espèces de sorcières ou des sauveurs. Leche del sueño se rapproche ainsi non pas de L’Homme qui avait tout, tout, tout de M. Á. Asturias, pour citer un autre livre pour enfants d’un auteur d’Amérique latine proche du surréalisme, mais davantage de La Triste Fin du petit Enfant Huître de Tim Burton. L’humour noir n’a jamais quitté celle qu’on trouve au sommaire de la fameuse anthologie proposée par André Breton.
De facture inachevée et rhapsodique, ce petit livre comblera les jeunes enfants hispanophones. L’ensemble est un bel objet, plus inquiétant cependant que ravissant, apte à provoquer ces réactions de dégoût qui faisaient éclater Leonora Carrington de son rire dévastateur.
Leonora Carrington, Leche del sueño – Mexico, Fondo de cultura económica, 2013, coll. « Tezontle », 60 p. et collection « los especiales de A la orilla del viento », 43 p.

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