Louis-François Jéhan de Saint-Clavien : La Bretagne – Esquisses pittoresques et archéologiques 1863

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La Bretagne — Esquisses pittoresques et archéologiques

 

Sous-titré : « Origines celtiques et nouvelle interprétation des monuments — vue ethnographique — druidisme et traditions primitives », l’ouvrage fut publié en 1863 par Cattier, libraire-éditeur à Tours.

Livre au format In-8, reliure demi-basane, 16 gravures, dont 4 pleines pages avec papier de protection (serpente), 452 pages.

 

L’auteur, Louis-François Jéhan (de Saint-Clavien), est né à Plestan dans les Côtes-du-Nord en 1803. Il fut élève du séminaire du Saint-Esprit qui a fourni, et continue à fournir, le clergé missionnaire. Farouche défenseur du monogénisme (toute l’humanité provient d’un seul couple : Adam et Ève), il professait l’égalité des races, position qu’il défendit avec brio dans son dictionnaire d’anthropologie, paru en 1853 chez l’abbé Migne, pour qui il écrivit une quantité considérable d’ouvrages. L’abbé Migne souhaitait éditer une encyclopédie des connaissances du siècle en harmonie avec la foi chrétienne, il publia 142 volumes dont Jéhan de Saint-Clavien fut l’un des principaux artisans. Ce dernier écrivit le dictionnaire d’anthropologie sus-cité, des volumes sur la botanique, la zoologie, la géologie, la philosophie chrétienne et bien d’autres encore. Contrairement à beaucoup de collaborateurs de cette encyclopédie, pour qui l’écriture consistait surtout à copier et coller des articles déjà existants, en élaguant tout ce qui n’allait pas dans le sens religieux de l’ouvrage, Jéhan est reconnu comme un véritable vulgarisateur scientifique. Le Dictionnaire de linguistique et de philologie comparée écrit en 1858 est considéré comme le premier ouvrage de linguistique de langue française. Une liste non exhaustive de ses ouvrages est disponible ici : IdRef (Identifiants et Référentiels)

Les illustrations du livre proviennent d’un groupe appelé Les premiers artistes. Grâce aux signatures lisibles sur les gravures, j’ai repéré deux noms : Charles Maurand et Jules Gagniet.

Charles Maurand (1824-1904) a travaillé à Paris la gravure sur bois et sur métal. On dit qu’il excellait à reproduire les œuvres de Gustave Doré. Parmi ses nombreux travaux, on peut citer la réalisation de quelques billets de 20 F pour l’institut monétaire. il vécut quelque temps aux États-Unis où la fermeté et la justesse de son trait impressionnèrent les critiques.

Jules Gagniet semble avoir énormément travaillé. Il est cité dans beaucoup d’ouvrages et l’on peut contempler nombre de ses œuvres sur internet sans difficulté, cependant l’homme en lui-même n’a pas laissé de traces apparentes.

 

 

Le livre est divisé en plusieurs parties :

  •  Introduction
  •  La Bretagne pittoresque et archéologique
  •  La Bretagne celto-gaëlique — Essai sur les monuments
  •  La Bretagne celto-kymrique — Traditions druidiques
  •  Appendice éclaircissements et notes
  •  Bibliographie,
  •  Table,
  •  Table alphabétique ou dictionnaire celto-archéologique
  •  Errata
  •  Liste de quelques ouvrages de l’auteur

 

INTRODUCTION
LA BRETAGNE PITTORESQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

 

« Sois toujours la Blanche Hermine, généreuse et fidèle qui redit à travers les siècles :
Potus mori quam foedari !
Plutôt la mort qu’une souillure ! »
(page V)

 

Cette exhortation contient l’essence même de la première partie de ce livre. Saint-Clavien décrit la Bretagne comme il la voit. Une terre où se mêlent la tradition druidique et le catholicisme, les dolmens et les églises avec leurs processions qui sont de lointains héritages des fêtes païennes. L’auteur a d’ailleurs des difficultés à séparer les deux et en parle avec le même enthousiasme, Il n’y a guère que la révolution qu’il conspue avec violence :

« […] jusqu’à celles [ruines] plus nombreuses encore qu’a faites la Révolution française dont le génie satanique était si essentiellement destructeur. »
(page 37)

Les quatre premiers chapitres forment une description géographique et touristique des diverses régions bretonnes. L’auteur y invoque Chateaubriand, donne quelques anecdotes sur son enfance. L’écriture romantique prend même des accents gothiques alors qu’il décrit la mer et les côtes déchiquetées :

« Il est, sur cette côte maudite, des noms sinistres qui reviennent continuellement dans les récits des habitants : c’est Poul-Dahut (l’abîme de Dahut) où fut précipitée la fille du roi d’Is, c’est l’Enfer de Plogôff, chaos de rochers où la mer s’engouffre avec des clameurs qui font frissonner les plus hardis des matelots, c’est la Baie-Des-Trépassés, où viennent s’échouer les débris des navires et les cadavres des naufragés. On y entend la nuit comme des sanglots qui s’élèvent des récifs et l’on voit glisser dans l’ombre, le long du rivage, de lugubres oiseaux qui poussent des cris plaintifs pareils à des gémissements d’hommes qui se noient. Dans un jour de tempête, quoique élevé de deux cent cinquante pieds au-dessus de la mer, le Bec-de-Raz semble à chaque instant près de s’engloutir dans les flots. La terre frémit sous vos pieds ; une écume salée vous couvre et les hurlements de la mer dans les cavernes des rochers vous jettent dans la stupeur. »
(pages 44 et 45)

 

Dans le chapitre VI intitulé Les monuments celtiques, l’auteur passe en revue quelques vestiges celtiques : menhirs et dolmens. Il s’extasie devant l’alignement de Carnac, s’interroge sur le brisement du menhir de Lochmariaker : s’est-il brisé en tombant ? Est-ce la foudre ? Il est loin d’être convaincu par ces deux hypothèses. Une description du tumulus de Tumiac clôt cette partie.

Le chapitre VII est consacré à Brocéliande, les origines de la chevalerie et le château de la Joyeuse-Garde, la valeur bretonne.

« La Bretagne est le berceau de toutes les créations naïves, gracieuses ou passionnées, pleines d’enchantements et de merveilles, qui ont rempli de récits charmants et d’histoires idéales toute l’Europe du Moyen-Âge avec ses vieux castels et ses preux chevaliers »
(page 70)

 

Encore une fois, la vaillance et la valeur guerrière du peuple breton sont mises en valeur et glorifiées, de sa lutte contre les barbares jusqu’aux hauts faits de la Table Ronde.

Dans le chapitre suivant : Le christianisme en Bretagne, l’auteur exalte la ferveur bretonne et en donne un exemple éclatant situé sous la Terreur :

« Minuit sonne : une lueur vacillante brille au loin sur l’Océan ; on entend le tintement d’une cloche demi-perdu dans le grand murmure des flots. Aussitôt, de toutes les criques, de tous les rochers, de toutes les anfractuosités du rivage, surgissent de longs points noirs qui glissent sur les vagues. Ce sont des barques de pêcheurs chargées d’hommes, d’enfants, de femmes, de vieillards qui se dirigent vers la haute mer, toutes cinglent vers le même point. Déjà, le son de la cloche se fait entendre de plus près ; la lueur lointaine devient plus distincte ; enfin, l’objet vers lequel accourt cette population réunie apparaît au milieu des vagues !.. C’est une nacelle sur laquelle un prêtre est debout prêt à célébrer la messe. »
(page 84-85)

 

Dans le chapitre IX : Le pèlerinage de Sainte-Anne, Jehan continue son exploration du sentiment religieux breton. Il conte l’histoire du paysan Yves Nicolazie qui, sous le règne de Louis XIII, œuvra pour la reconstruction de la chapelle Sainte-Anne à Ker-Anna.

Le dernier chapitre : Aux contempteurs de la Bretagne exalte les vertus du paysan breton auquel il accorde un certain goût pour la superstition largement contrebalancé par une foi pure et sincère qui n’a pas encore été viciée par le progrès !

 

LA BRETAGNE CELTO-GAËLIQUE

 

Dans cette partie, l’auteur étudie les vestiges celtiques armoricains, fait un peu de philologie, admet l’existence de l’humanité au temps des animaux « diluviens » puis tente de rattacher ces faits à la Genèse.

Toujours fidèle au monogénisme, il rattache les Celtes aux Aryens de Bactriane. Ce peuple aurait essaimé à travers le monde en suivant plusieurs routes reconnaissables aux monuments similaires qui les jalonnent : les fameuses pierres dressées qu’il retrouve jusque dans l’île de Pâques ou l’archipel des Mariannes. Son analyse est étayée par une foule de références bibliographiques, on retrouve ici le vulgarisateur scientifique à l’immense culture.

Les menhirs sont des représentations du divin, la pierre n’est-elle pas le symbole de la force et de la cohésion ? Si ces pierres ne sont pas figuratives, c’est que les anciens pensaient que des choses basses et viles comme les hommes ne pouvaient représenter les êtres supérieurs.

Jehan de Clavien se permet de réfuter plusieurs théories avec une pointe de moquerie, ainsi il écrit, à propos des savants qui voient les alignements de menhirs comme des agendas ou calendriers :

« Nous croyons peu à un calendrier si prodigieusement dispendieux et si peu portatif »
(page 177).

 

S’ensuit une discussion avec un ami sur le sens du mot « Carnac » qu’il résout de façon magistrale en utilisant ses connaissances en philologie. A cette occasion, l’auteur fait encore preuve d’une verve moqueuse bien éloignée de son ton habituel.

Les découvertes de vestiges préhistoriques se multiplient à l’époque. En bon savant toujours à l’affût des nouvelles découvertes, Louis-François Jéhan suit l’avancée des travaux avec beaucoup d’intérêt. Boucher de Perthes suscite son admiration, mais ses conclusions vont à l’encontre des croyances de notre vulgarisateur, qui tente de les contrer en avançant une décadence de l’humanité antédiluvienne, malheureusement, très mal accordée avec sa vision monogénique de l’expansion humaine.

 

LA BRETAGNE CELTO-KYMRIQUE

Dans cette partie amplement développée, l’auteur pense que les Galls, Celtes des premiers temps, furent assimilés par des Celtes arrivés plus tardivement, les Kymris, ceci convenant avec sa vision monogénique de l’humanité. Ainsi on lit :

« Il y a eu un seul peuple primitif, rien n’est mieux démontré, et de ce tronc originel sont sortis des rameaux qui ont emporté avec eux une sève plus ou moins riche, plus ou moins féconde, qui a constitué la vie religieuse, intellectuelle et morale de chaque race. »
(page 279).

 

Il assied cette affirmation sur ses connaissances en philologie. Avec beaucoup de brio, il faut le reconnaître :

« Taranis, Taranus : dérivé du scythe Pirkunis, orageux,. C’est une épithète de Tivus (qui est brillant), nom du Dieu du ciel chez les Scythes et leurs descendants. Dans l’idiome des Kymris, le nom du ciel pluvieux ou orageux prenait la forme de Vercunus ou Brecunus […]. Les Sicules qui étaient d’origine ligure ont adopté des Kymri-Pélasges le nom de Vercunus qu’ils ont changé en Hercunus, Hérakulos qui est passé aux Latins (Hercules) et aux Grecs (Héraklès) »
(page 299).

 

La fin du livre contient une description très poussée de la religion des Celtes, son clergé, ses pratiques religieuses parmi lesquelles il admet l’existence des sacrifices humains. Il est fasciné par cette religion dont l’élévation ne peut venir, selon lui, que des enseignements donnés par le Créateur à Adam et Ève, mais dont l’origine a été perdue dans la nuit des temps.

 

APPENDICE —Éclaircissements et Notes

 

De la page 347 à la page 424, de très nombreux points sont développés. S’ajoutant aux très nombreuses notes de bas de page, ces appendices apportent un intéressant éclairage sur les savants contemporains, que Saint-Clavien appelle à l’appui de ses dires à pratiquement toutes les lignes de son ouvrage.

Notons, à la toute fin du livre, une table alphabétique où l’auteur donne encore plus de détails sur certaines parties de son livre.

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