Marcel France – Les Testaments Originaux (1926)

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« Les Testaments Originaux », par Marcel France, est paru dans L’Éclaireur du dimanche du 21 mars 1926.

Illustration : Abel Faivre, « Concours mondial de beauté », in Candide du 8 août 1929.

Les Testaments Originaux

On vient d’enterrer, dans une petite ville de l’Ouest, un joyeux drille qui, après avoir vécu gaiement, a voulu s’en aller de même au cimetière et qui, par testament, avait laissé une certaine somme à la fanfare locale, sous condition qu’elle suivrait son enterrement en jouant les airs les plus entraînants de son répertoire.

Ils sont plus nombreux qu’on ne pense les originaux dont les dernières volontés sont empreintes de fantaisie et parfois de ridicule. Témoin, par exemple, cette vieille demoiselle qui, tout récemment, a légué une fortune de plusieurs millions pour entretenir dans une île une quantité considérable de chiens. Nous avons recueilli, au cours de ces dernières années, un certain nombre de cas curieux dont nous allons rappeler quelques-uns.

En 1781, un meunier des environs de Toulouse écrivit dans son testament : « J’institue pour mon héritier Papillon, mon âne à poil roux, mais je veux qu’il appartienne à mon neveu Guillaume, afin que celui-ci l’étrille chaque jour et le laisse reposer jusqu’à sa mort. » En 1824, le comte de la Mirande, mort à Lucques, légua toute sa fortune à une carpe qu’il nourrissait depuis vingt ans dans une piscine.

Il y a quelques années, un millionnaire laissa des sommes considérables à la ville de Rouen, dans le seul but de favoriser les ménages de géants. Un célibataire endurci mourut en laissant un testament contenant cette clause : « Je prie mes héritiers de veiller à ce que là où je serai enterré, il n’y ait pas de femme, ni à droite, ni à gauche. Au besoin, ils m’achèteront trois places et m’enterreront dans celle du milieu en laissant les deux autres inoccupées. »

Un cas peu banal est celui de cet ancien receveur municipal de Grenoble qui demanda expressément à être enterré civilement et qui laissa cependant sa fortune aux Petites Sœurs des pauvres. Quelque temps avant la guerre, un riche industriel parisien inséra dans son testament l’ironique clause suivante : « À cet excellent X…, je lègue mes bottes ; il les a léchées pendant ma vie ; il pourra ainsi les lécher encore après ma mort. »

Un monsieur qui paraît avoir coulé une existence agréable a pensé, à la dernière heure, à ses petites amies : « Je donne à Mesdames et Mesdemoiselles dont les noms suivent, les sommes ci-après, en les remerciant de leurs faveurs. Aucune d’elles n’a été assez bonne pour que j’en fasse ma femme ; toutes ont voulu me dompter, mais je n’ai, cependant, gardé mauvais souvenir d’aucune et je veux leur rendre la vie plus facile. »

On s’amusa beaucoup, à Lyon, de cette disposition inscrite dans les dernières volontés d’une bonne dame : « En souvenir de ses soins éclairés et dévoués auxquels j’ai dû de vivre si âgée, je lègue au docteur X… tout ce qu’il trouvera dans mon bonheur-du-jour. » Or, dans les tiroirs de ce meuble, on ne découvrit que les potions et pilules ordonnés à la défunte depuis dix ans et auxquelles elle n’avait pas touché.

Le testament d’un grand seigneur contenait cette phrase : « Je ne donne rien à mon maître d’hôtel parce qu’il y a vingt ans qu’il est à mon service ; cela a dû lui suffire. » En 1826, un avocat de Colmar laissa 75.000 francs à l’asile d ‘aliénés. « J ‘ai gagné cette somme, écrivait-il, avec les fous qui passent leur vie à plaider ; ce n’est donc qu’une restitution. » Un désespéré qui se suicida, il y a quelques mois, laissa 60.000 fr. à l’Assistance publique, mais il ajouta : « Pour me faire pardonner les dérangements que mon suicide va causer à M. le Commissaire de police, je lui lègue une obligation de 500 francs et mon piano à manivelle. Je laisse aussi au prêtre qui officiera lors de mes obsèques ma montre, ma chaîne et mon parapluie à manche d’argent. »

Un monsieur attribua cent écus à celui qui écrirait son épitaphe. Un poète célèbre composa celle-ci :

Ci-gît un très grand personnage

Qui possédait mille vertus.

Je n’en dirai point davantage,

C’est trop mentir pour cent écus.

L’histoire ne dit pas si elle parut satisfaisante. En 1889, M. Piot légua à l’Académie des Beaux-Arts une rente annuelle de 20.000 fr. « destinée à récompenser alternativement une peinture ou une sculpture représentant un enfant nu ». Un artiste hollandais avait laissé de quoi marier tous les ans un couple de son village à condition que, le jour des noces, les mariés vinssent danser sur sa tombe.

Un écrivain anglais du XVIIe siècle, Hay, fit don au Musée britannique d’une pierre qu’il avait dans la vessie. Un riche propriétaire de Londres laissa à une jeune fille qui ne le connaissait pas, une somme très importante en écrivant : « Je supplie miss B… de l’accepter. Elle est bien faible auprès des inexprimables sensations que m’a fait éprouver, pendant trois ans, la contemplation de son adorable nez. »

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