Marcel Roland – Le Roman et la Science (1928)

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« Le Roman et la Science », de Marcel Roland, fut publié dans La Liberté du 9 février 1928.

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Le Roman et la Science

Il y a cent ans que Jules Verne vint au monde.

Cent ans, et la science, qui a la réputation de marcher à petits pas, mit ce jour-là des bottes de sept lieues.

Petits et grands enfants, qui avez passé des heures fiévreuses, des soirées et des nuits à dévorer Vingt mille lieues sous les mers, De la Terre à la Lune ou le Voyage au Centre de la Terre, levez-vous et saluez la mémoire de celui qui reprit très dignement le flambeau des mains d’Icare, aviateur avant la lettre, et de Cyrano de Bergerac, premier explorateur de satellites !

Oh ! il ne fut pas, à proprement parler, un littérateur ! Son style « à la papa » sut se mettre à la portée de tous, et précisément le seul regret qu’on puisse exprimer à son sujet c’est qu’il n’eut pas, dans sa hâte de conter des aventures, le loisir de « magnifier » par la forme les sujets étonnants qu’il traitait. Mais il faut retenir de son œuvre la signification qu’elle comporte, et qui la dépasse singulièrement.

Un animateur de la science

Qu’il l’ait voulu ou non, Jules Verne aura été un de ces animateurs de la science que constituent les romanciers scientifiques.

Sans aller jusqu’à dire que s’il n’avait pas existé de romanciers pour ouvrir à coups d’imagination la voie à nos savants, et leur fournir la semence première de leurs trouvailles, nous n’aurions jamais assisté au merveilleux essor des applications scientifiques et industrielles du XIXe et du XXe siècle ; sans affirmer catégoriquement qu’un savant a besoin de lire un roman pour inventer quelque chose ; sans vouloir retirer une parcelle de leur mérite aux chercheurs des laboratoires, j’ose prétendre qu’ils doivent une bonne part de leurs réalisations aux visionnaires de la littérature.

C’est déjà beaucoup que de parler d’une chose, et il y aurait fort à dire, en métaphysique comme en biologie, sur la mystérieuse évolution qui transforme une idée en fait. Mais parler de cette chose comme d’une chose arrivée, existante, — et c’est ainsi que nos romanciers ont coutume de nous présenter leurs remarquables et quotidiennes découvertes, — c’est montrer aux « techniciens » que tel but, malgré l’apparence, n’est pas en somme inaccessible ; c’est leur fournir sinon les moyens matériels d’exécuter leur dessein, du moins les impondérables dont sont faits la certitude morale et l’enthousiasme.

Quel physicien, quel chimiste, quel médecin jurerait qu’à la lecture de telles mirobolantes anticipations il ne s’est jamais écrié : « Tiens ! mais… ma foi… c’est à considérer ! »

Parbleu, si c’est à considérer ! C’est-à-dire qu’une fois expliquée dans tous ses détails, et nul romancier n’y manque, la merveille n’a plus qu’à être mise sur pied, à la façon de ces tragédies dont Racine disait : « Mon drame est fait, je n’ai plus qu’à l’écrire ! »

Eh bien ! à la suite de Jules Verne, beaucoup de savants ont écrit de ces miracles dont nous sommes aujourd’hui les témoins.

L’atmosphère de la science

Mais ce n’est pas seulement aux savants que Jules Verne a rendu service. Il a contribué puissamment à créer autour de son époque une « atmosphère de la science ». Il a mis à la mode des concepts qui habitaient des tours d’ivoire. Il les a mêlés à la vie.

Le roman scientifique a rendu aux fils de 1848 la croyance au miracle, qu’ils avaient perdu, la foi dans une idole très puissante, capable de tout, du meilleur comme du pire, et dont rien ne doit nous surprendre : la Science. Ce fut une manière de poésie moderne, un conte de fées expérimental. Et par quelle voie Jules Verne nous fit-il respirer cet air nouveau ?

Par la jeunesse !

Enfants, il nous a tous conquis. Il a su parler à la fibre que tous les enfants cachent en eux : l’amour de l’inconnu, des lointains, au mouvement dans l’espace et le temps.

Que de vocations éveillées par ces lectures, que d’ingénieurs, de navigateurs, d’explorateurs nés entre les feuillets de ces fictions habillées de l’uniforme rouge et or des livres d’étrennes !

Notre grand chimiste Georges Claude reconnaît que sa vocation scientifique lui est venue par la lecture de Jules Verne.

Inquiétude moderne de ce que Sully-Prudhomme appelait « les horizons qui leurrent »… Jules Verne la connaissait, lui aussi. Naviguer fut son sport, sa joie, comme c’est le sport favori d’un de ses successeurs. J’ai nommé Arnould galopin, romancier doublé d’un hardi pilote.

Il eut trois bateaux et faisait des croisières qui, sans être très lointaines, lui permirent cependant de visiter les mers d’Europe et les continents qu’elles baignent, de pousser jusqu’au Maroc, et même, assure-t-on, jusqu’aux États-Unis… Pour le reste, l’imagination prenait sa revanche.

Ah ! l’imagination… Elle eut sa part quotidienne, comme le pain, dans la vie parfaitement ordonnée du père du capitaine Némo.

Cette vie est simple, elle tient en quelques lignes.

Sa vie

Né à Nantes le 8 février 1828, il vint, après de bonnes études, faire son droit à Paris et s’y lia avec divers artistes et littérateurs, notamment Hetzel, Nadar, Georges Schwob. Le théâtre l’attira d’abord. Tout ce qu’il réussit à y faire, ce fut d’entrer à l’Opéra-Comique comme secrétaire. Ses relations avec Hetzel décidèrent de sa vraie carrière. Dès la fondation du Magasin d’Éducation et de Récréation, en 1854, il commence, à cet ancêtre des « magazines », une collaboration assidue. Tous ses romans y voient le jour et quand, en 1871, après son mariage, il quitte Paris pour habiter Amiens, il est en pleine notoriété. Le moins qu’on puisse faire pour lui, c’est de le nommer membre de l’Académie… d’Amiens ! Et aussi conseiller municipal.

Sa conscience, sa régularité dans ces fonctions sont restées légendaires, comme légendaire est demeurée sa silhouette de solide vieillard à barbe blanche, qu’on voyait passer à heures fixes, saluée par tous les collégiens.

Jules Verne mourut en 1905

Sans doute, son œuvre, je l’ai dit, manque-t-elle de ce sentiment artiste, de ce lyrisme prodigieux que la Science pouvait et devait y insuffler, et qu’on rencontre à chaque pas, qu’on respire dans d’autres visionnaires tels que Poe, Wells, notre Maurice Renard ou notre grand Rosny aîné. Du moins forme-t-elle un remarquable exemple de la valeur et de la puissance de l’imagination, puisque toute une génération s’est nourrie de celle de Jules Verne et, loin d’en souffrir, y a puisé, au lendemain de 1870, l’art d’être énergique, confiant en soi, « débrouillard » en un mot.

Saluons avec reconnaissance la mémoire de ce prince des conteurs, de cet animateur de la science. Saluons, c’est notre jeunesse qui passe !

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