« Sur le “Conte de Fées moderne” », de Marcel Roland, est paru dans Le Figaro, supplément littéraire du 14 juillet 1923. Il s’agit d’un extrait de la préface du roman Quand le phare s’alluma…, publié chez Flammarion en 1923.
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Sur le « Conte de Fées moderne »
Voici quelques années, un petit nombre d’écrivains, ressuscitant un genre assoupi, se mirent à publier des romans d’imagination où ils faisaient énergiquement appel à ce qu’on est convenu de nommer « la fantaisie scientifique ». Et pour caractériser ces ouvrages, l’un d’eux se servit dans une préface de l’expression Conte de Fées moderne. Il faut avoir le courage de le reconnaître, le grand public d’alors, éclairé, chauffé, logé et nourri au roman psychologique et à la « tranche de vie » courante, mordait peu à ces fictions. On les considérait comme articles d’importation, et ceux mêmes qui chez nous étaient capables d’en apprécier la saveur, y cherchaient instinctivement une marque étrangère, Jonathan Swift ou H. G. Wells, Edgard Poe, J.-P. Richter ou Hoffmann. On refusait à la France, avec bien d’autres choses, le droit d’entretenir, des visionnaires. On oubliait Cyrano de Bergerac, Charles Perrault, le Voltaire de Micromégas, le Balzac de la Recherche de l’Absolu, et pour ne citer qu’un contemporain, l’admirable Eve Future de Villiers de l’Isle-Adam.
Une guerre a passé là-dessus. Plusieurs années de réalités sinistres ont créé des besoins nouveaux, et voilà que le moindre conte de fées apparaît à notre génération comme une précieuse panacée contre le terrible « cafard » dont elle a été saturée. Elle exige de ses boutiquiers d’esprit des doses de plus en plus massives du fameux élixir qui fait rêver les gens tout éveillés.
Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême !
Mais Peau d’Âne ne se conte pas deux fois. Charles Perrault écrivit ses contes pour les petites personnes. Aujourd’hui ce sont les grandes qui réclament leur cure de merveilleux.
Faudra-t-il leur conter une seconde fois Peau d’Âne ?
Non, et le temps que nous vivons permet d’autres histoires tout aussi merveilleuses. L’auteur des Contes de la Mère l’Oye eut, pour y puiser, le grand réservoir de la Fable, des naïves traditions de chaumières, du folklore, tout peuplé de loups-garous, de géants et de fées issus de la souche mythologique. C’était beau, sans doute, mais s’il revenait à présent parmi nous. s’il revenait et qu’il assiste à ça, lui qui fut à son époque, déjà, le « moderne » militant de la fameuse Querelle, quelles ressources son charmant génie ne tirerait-il pas de la nouvelle idole ?
La science, il en saisirait tout de suite le symbolisme varié, l’étonnant lyrisme… la féerie. Il devinerait tout ce qu’il y a d’humanité en puissance dans une simple formule chimique dans une machine inconsciente en apparence, mais peut-être moins inconsciente qu’on ne le croit ; dans cette nébuleuse qu’un Flammarion va cueillir pour nous aux jardins lointains de l’espace ; dans la culture microbienne qu’un Pasteur observe à la clarté de son génie ; dans l’invisible onde électrique qui passe, et nous environne, et nous traverse de toutes les voix de la terre.
« Il est hors de doute, écrivait dès 1914 J. Ernest Charles, à propos de Faiseur d’Or (1), que les dernières découvertes, les inventions récentes, télégraphie et téléphonie sans fil, culture des sérums, radio-activité pratique de certains corps, applications multiples de l’électricité, principe des submersibles, autorisent les fantaisies les plus romanesques et les plus vraies. C’est du mystère et de la vie. »
Du mystère et de la vie. Ces mots disent tout. Par la porte du conte de fées moderne, le roman d’aventures peut entrer dans la littérature française sans avoir trop l’air du parent pauvre qu’il a été bien longtemps (2).
(1) Marcel Roland, Faiseur d’Or, Flammarion, 1914.
(2) Anonyme, « Notre joie », in La Critique indépendante du 15 mars 1913 : « Marcel Roland s’est formé une conception nouvelle du roman. Il veut y faire entrer le merveilleux scientifique, l’enrichir des découvertes réalisées pratiquement par les savants. Il y a là, en effet, un domaine à peine inexploré où Wells a seulement posé quelques jalons. Nous ne doutons pas que, servi par une imagination habile et féconde, Marcel Roland ne réalise une œuvre vraiment originale. »