Marcel Roland – Un Angoissant et troublant cas de conscience (1928)

0

« Un Angoissant et troublant cas de conscience », de Marcel Roland, est paru dans Paris-midi du 6 septembre 1928.

A lire aussi :

Marcel Roland – Sur le “Conte de Fées moderne” (1923)

Marcel Roland – Le Spectre de Newton (1927)

Marcel Roland – Le Soleil et Nous (1927)

Marcel Roland – Le Roman et la Science (1928)

Un Angoissant et troublant cas de conscience

Ainsi, le docteur Fernand Ducretet vient de succomber à son tour à la terrible radiodermite de ceux qui s’abandonnent au commerce redoutable des rayons X et du radium…

Devant le sacrifice de tant de dévouements acharnés à mourir pour que d’autres vivent, comment empêcher un sentiment de révolte de se glisser dans notre admiration ?

De tout temps, ce qu’on nomme le progrès — peut-être par une ironie sanglante ! — a offert aux voyageurs des régions interdites, et aux savants des tâches mortelles ; et de tout temps aussi, il a existé des volontaires pour accepter ces combat contre le danger. Mais il semble que la nouvelle physique des ondes ait voulu renouveler, depuis un quart de siècle, le champ ouvert aux belles folies de ces héros.

Quelle attirance que celle de ce royaume mystérieux des radiations ! Rayons Gamma du radium, rayons X, ondes hertziennes, infra-rouge, ultra-violet, ces forces qui agissent sans être vues, nous les avons filtrées, isolées, et depuis le premier pas dans cette forêt obscure et vivante, nous avons avancé peu à peu, à tâtons, un peu plus loin chaque jour, avec une ivresse imprudente (1).

Tous ces rayons que nous produisons à volonté, séparés de leur milieu — dans la nature ils se mélangent et ne nous impressionnent qu’à un degré relatif. Usons d’une image familière : ils sont une sauce dont les éléments amalgamés n’ont pour notre palais qu’un goût agréable, pour notre estomac qu’une action inoffensive.

Mais vient un cuisinier novateur qui se divertit à extraire de cette sauce les condiments les plus rudes aux papilles, les plus « emporte-bouche », ceux dont on a pris soin de ne mettre qu’une parcelle, le poivre de Cayenne ou le gingembre, et il se met, pour voir, à en verser de pleines cuillerées dans les plats qu’il fabrique !

Voilà ce qui s’est passé avec les rayons X, le radium, et toutes les ondes du même ordre. Des cuisiniers sont venus, ont analysé, pesé les éléments de cette sauce dont est faite l’Énergie, condensation suprême d’atomes dont la désintégration perpétuelle produit pour nous l’univers des ondes.

Dans leurs laboratoires, ils ont isolé les plus pénétrants, les plus destructeurs, ceux qui assaisonnent les autres, et qui n’ont, à l’état de mélange, qu’une action d’ensemble sur la vie organique des êtres…

Prenez le radium. Qu’est son rôle dans la nature ? Immense, sans doute, mais à condition qu’il soit masqué par d’autres actions innombrables et complexes. Or, Curie et sa femme ont eu la gloire d’isoler le radium, corps si rare qu’il faut cribler une montagne de terre pour en extraire un gramme à l’état pur. Mais gloire à deux tranchants, car les Curie ont mis ainsi aux mains de l’homme une substance qui s’est vengée de sa capture par la mort de nombreux savants.

Autre exemple : les rayons X, décelés par Rœntgen vers 1895 dans l’ampoule cathodique. Découverte féerique ! Quel magicien eût osé, il y a cent ans, autrement qu’en des contes des Mille et une Nuits, prétendre voir ce qui se passe dans le corps humain, traverser d’un rayon de lumière les objets opaques, et pénétrer les épaisseurs de la matière ? Conte devenu réalité ! Mais réalité qui assassine, maîtresse qui dévore inexorablement ses amants. Pas plus que les enfants ne doivent jouer avec les allumettes, nous ne devons jouer avec les forces cachées. Malgré nos écrans, nos gants de plomb, elles nous font payer bien cher les services qu’elles nous rendent !

Mais voilà ! L’homme est ainsi : si les allumettes n’existaient pas, il les eût inventées — pour jouer avec !

On se tue tous les jours en avion, et il y a de plus en plus d’aviateurs. Les explosifs sautent et on en fabrique de plus en plus. On meurt dans les laboratoires, et les savants s’inquiètent de plus en plus de scruter les vérités interdites.

Si tant de victimes n’avaient pas pour excuse l’espoir d’un plus grand bien-être de l’humanité, ou de la victoire contre les maladies, aurait-on le droit de les arrêter dans leur généreuse folie ?

Et, même avec une telle excuse, cet angoissant cas de conscience se pose : pouvons-nous au nom du progrès laisser se perpétuer cette forme du suicide ?

(1) A propos des ondes, lire : Marcel-Roland, « La Télévision », in La Liberté du 19 avril 1927, ainsi que « La Musique par les ondes », in La Liberté du 3 août 1928.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.