Marcelle Lerme-Walter (1906-2001) malgré sa longue vie, est une complète inconnue. Elle n’est l’auteure que de deux livres, deux romans pour la jeunesse publiés à deux ans de distance : Les Enfants de Pompéi (1968) et Les Voyageurs sans souci (1970). Ces deux seules publications chez des éditeurs pour la jeunesse respectés ont suffi à établir son autorité. Elle collabore ainsi à une exposition, « Evolution de la littérature enfantine des origines à la fin du XIXe », organisée par la Bibliothèque des Jeunes de Choisy-le-Roi, qui prit place au Théâtre Paul Eluard du 8 décembre 1973 au 26 janvier 1974. Pour les chercheurs, on peut signaler que l’organisme La Joie par les livres possède un dossier de cinq pages sur cette romancière.
C’est assurément son second roman qui a connu le plus de lecteurs, à travers une plus grande diffusion et plusieurs rééditions, qui l’ont placé dans de nombreuses bibliothèques scolaires ou municipales dans les années 1970 et 1980. La couverture sobre joue sur la poésie du titre vagabond et insouciant, et de l’illustration aux couleurs douces, à l’ambiance nocturne et enneigée, dont les éléments, roulotte, lampions et balai de sorcière, incitent au rêve.
Un mot d’abord sur son premier roman : Les Enfants de Pompéi ou Le Jeu du Roi est un volumineux livre relié, abondamment illustré par les aquarelles de Daniel Billon (reproduites en couleurs et parfois en noir et blanc). Il s’agit d’un roman historique solidement documenté, reconstituant de manière vivante et romanesque la vie romaine en 78 après J.-C., deux ans avant la fameuse éruption du Vésuve. Les personnages y ont des noms dépaysants : les patriciennes Eumachia, fille d’un amateur d’art, Paquia, et Amanda, fille de prêtre ; Modesto, fils d’un grand boulanger, les jumeaux Didymus et Didymio, Circé, servante d’une magicienne, Verecundus le drapier, le jeune roi africain Tamar-Malkâ, le beau Sérapion et Hespérus, tous trois esclaves, et l’affranchi… Ululitrémulus ! L’un des traits les plus intéressants de ce roman est le recul critique prêté aux jeunes personnages à l’égard du fonctionnement social, politique et religieux de leur monde, qui n’est pas toujours vraisemblable mais motive efficacement les intrigues.
Les Voyageurs sans souci est très différent. Ce n’est pas un roman historique, ni même réaliste, mais un récit merveilleux où les enfants parlent avec les animaux, où la Princesse des oiseaux dispose de nombreux pouvoirs magiques, dont celui d’animer les objets, et où les vents sont des personnages parmi d’autres.
C’est assurément ce second roman qui a connu le plus de lecteurs, à travers une plus grande diffusion et plusieurs rééditions, qui l’ont placé dans de nombreuses bibliothèques scolaires ou municipales dans les années 1970 et 1980. La collection Bibliothèque internationale, créée en 1968 par Isabelle Jan, reflète les convictions et les nombreux centres d’intérêt de cette éditrice passionnée. La principale ambition de la collection, contenue dans son nom, est d’offrir une vision internationale de la littérature de jeunesse, à travers les traductions d’auteurs de tous pays depuis plusieurs langues. Fille de résistant, auteure et traductrice aux éditions la Farandole éditées par le parti communiste français, elle contribue à faire connaître des romans qui remettent en cause le conservatisme politique. Elle édite par exemple La Petite Fille de la ville de Liouba Voronkova, histoire d’une orpheline de guerre du côté soviétique, Le Secret du verre bleu de Tomiko Inui, ode à la résistance et à la protection des réfugiés dans le Japon violemment nationaliste de la Seconde Guerre mondiale, Rasmus et le Vagabond d’Astrid Lindgren, étonnante apologie anarchiste, Tom et le Jardin de minuit de Philippa Pearce, appel à la liberté individuelle et célébration du choix amoureux, sans parler des œuvres foncièrement anticonformistes de Tove Jansson.
Une autre facette de la littérature de jeunesse qu’Isabelle Jan a eu à cœur de représenter est le merveilleux, un pan important de la littérature mondiale souvent négligé dans une France réputée cartésienne. Admiratrice d’Andersen et d’Edith Nesbit, qu’elle étudie dans son Essai sur la littérature enfantine, paru en 1969 aux éditions ouvrières, elle a donc édité les premiers Moumines de Tove Jansson, l’artiste finlandaise déjà citée, mais aussi des histoires de lutins vivant au Japon (Le Secret du verre bleu) ou à Amsterdam (Monsieur Ouiplapla), des contes indiens (La Poupée de fromage d’Abanindranath Tagore) ou chinois (Peti Lin et Grand Lin de Zhang Tianyi), de la fantasy animalière (Samedi descend du ciel, Un grillon à New York), et des romans fantaisistes et inclassables comme Un vendredi dingue, dingue, dingue de Mary Rodgers, Toto de Cesare Zavattini ou Train M. de François Sautereau.
Les Voyageurs sans souci apparaît alors comme un rare exemple de merveilleux français contemporain. Un garçon de onze ans, Sébastien, est attendu chez sa tante Ursule, mais surgit de manière peu orthodoxe en entrant par la fenêtre un soir de neige. Sommé par la servante Opportune de ressortir pour revenir en respectant les convenances, il croise dans la rue deux filles de son âge qui l’incitent à entrer dans une boutique tenue par un chien, le bon Timoléon. Celui-ci remplace son maître à la caisse, M. Albatros, un père accablé par la disparition de sa fille, qu’il a vu s’envoler un beau jour… Sébastien et une autre écolière, Agathe, vont ensuite faire la connaissance d’une étrange foraine, mademoiselle de Plumauvent, qui promet de leur donner le pouvoir de voler dans le ciel.
L’histoire se déroule dans un petit village intemporel, puis suit le périple des enfants dans une campagne un peu onirique, les voyages aériens de Sébastien et Agathe réduisant magiquement les distances. Plusieurs détails désuets comme l’école rurale ou la fête foraine, des personnages à la morale vieillotte comme Opportune, ou aux manières aristocratiques comme mademoiselle de Plumauvent, donnent à l’ensemble un aspect un peu passé, un air suranné qui ne manque pas de charme mais étonne. Le roman aurait pu être écrit dans l’entre deux guerres, ce qui correspond de fait aux années de jeunesse de Marcelle Lerme-Walter, venue tardivement à l’écriture.
Pour autant, le roman ne se réduit pas à une rêverie nostalgique. Loin d’être mièvre, il célèbre le rêve buissonnier et prend pour personnages de prédilection les mauvais élèves, les cancres qui rêvent au fond de la classe au lieu d’étudier. L’affiche promettant des attractions jamais vues ne proclame-t-elle pas « Bons élèves s’abstenir » ? Le roman n’est pas non plus dénué de toute noirceur, avec cette Princesse des oiseaux qui enlève les enfants crédules, avec la complicité du Vent du Nord, comme représailles pour la disparition de son fidèle Aigle-Royal, sans doute capturé par des humains. De même, Grand-Voleur, son homme à tout faire, musicien et bateleur, est un enfant qu’elle a pris de force à son service parce qu’il avait volé des œufs d’oiseaux. Enfin, les animaux ne manquent pas de personnalité : s’ils suivent généralement les caractéristiques qu’on leur attribue traditionnellement, c’est toujours de manière singulière, que ce soit avec distinction ou avec truculence. Mirliflore le pigeon, Zacharie l’âne, Guifette l’hirondelle, sans parler de Timoléon, jouent un rôle indispensable.
Sous ses airs sages, Les Voyageurs sans souci se révèle plein de fantaisie, porte haut les couleurs du merveilleux à travers ses objets magiques, ses animaux flamboyants, ses enfants avides d’aventures, et son personnage ambigu de Princesse des oiseaux, cruelle envers les enfants dans sa générosité pour ses protégés. Ce roman pour la jeunesse à la joliesse anachronique mérite d’être lu et de nourrir les rêveries d’aujourd’hui.