Depuis quelques années, Joseph Altairac et Guy Costes travaillent dans le plus grand secret sur un « modeste » fascicule (« Une brouette sera sans doute nécessaire pour le déplacer, à moins que l’on ajoute des roulettes, comme pour les valises… », selon Joseph Altairac) : une « encyclopédie de vieille SF », pour reprendre leur expression.
Le nombre de pages n’étant pas illimité, certains choix sont à faire : la notice du colonel Marchand, par exemple, ne sera pas au sommaire.
Toutefois, afin de ne pas perdre les informations trouvées à son sujet, Guy Costes a transmis cette notice à l’A.D.A.N.A.P., afin qu’elle soit partagée. La voici donc en avant-première :
Marchand, V. (nom de plume du Colonel Jean-Jacques Victor Marchand, 1820-1909)
Polytechnicien, républicain et humaniste, ce militaire connaîtra la défaite de 1870 dans l’armée de Metz. Après avoir été maire de Dijon en 1886, il recommencera peu après son mandat dont il démissionnera, une carrière littéraire où il mettra en valeur son ancienne école l’X, sa région, et son socialisme avisé. Il avait, avant cela, rédigé dès 1871 un roman, — son préféré — qui ne fut publié que dix ans après.
Dans L’Utopiste (1882) — nous n’avons pas trouvé trace d’une prétendue édition de 1873 —, les enseignements de J.J. Rousseau, les théories de Charles Fourier et de Victor Considerant sont développées, le héros Marcel Tellus (largement autobiographique) contient une révolte ouvrière dans le village de Mâlain, par la seule force du dialogue forgé par des arguments phalanstériens, une mise en œuvre de ces principes en somme, proche d’une association destinée à la création d’une cantine sur le chantier du tunnel ferroviaire de Blaisy-Bas :
“… Mais surtout ne comptez pas sur le gouvernement, il a bien d’autre choses à faire ; ne comptez que sur vous-mêmes. Les moyens de salut sont dans vos mains. Étudiez, examinez ce qui a déjà été fait. Cherchez, et vous trouverez ! Si vous le voulez nous chercherons ensemble. Souvenez-vous que tout réside dans ces deux choses : 1º L’épargne, devenue possible par la suppression des intermédiaires et par la vie à bon marché ; 2º la vie à bon marché par l’association.”
Roman qui raconte, juste après le grand congrès réformiste de Dijon auquel assistait Ledru-Rollin, les deux Arago, Louis Blanc et bien d’autres, sur la durée d’une vie d’ingénieur, les aléas du jeune socialiste, jusqu’à ses dernières heures, alors qu’il sera tué par une femme du peuple en tentant de raisonner les insurgés d’une barricade du faubourg Saint-Antoine, face à la troupe, en juin 1848.
“Pauvre Marcel ! pauvre utopiste à l’âme aimante et au grand cœur, dont la vie entière ne fut qu’amour et dévouement ; toi qui n’as pas eu le temps d’être heureux sur la terre et qui as su si bien mourir, ta place est marquée parmi les justes, car qui donc te condamnerait ?
Certes, beaucoup de gens te jetaient la pierre ; on disait :
C’est un homme sans jugement ; il a abandonné une carrière commencée, où il serait devenu au moins colonel !
C’est un rêveur. Comment ! il s’occupe de navigation aérienne ! Un mathématicien ! Ce n’était pas la peine qu’il allât à l’École polytechnique. Ce n’est pas un homme sérieux.
C’est un naïf, un niais. Il donne le plus net de son revenu à droite et à gauche ; ou bien il l’emploie à faire des expériences sur la physiologie végétale ; il veut faire produire au blé cinquante fois la semence. C’est insensé ! On disait encore : Il a l’air d’admirer l’Évangile, et il ne croit pas à la divinité du Christ.
Évidemment il est fou. Il est déiste, donc il est athée ! Comment ! il ose soutenir que la terre ne sera pas toujours une vallée de larmes, et que l’homme peut être heureux ici-bas du consentement de Dieu ? Il va contre les Écritures ; c’est un impie, c’est un socialiste, c’est un utopiste.
Eh bien, oui, c’était un utopiste ! Et heureusement il y en a beaucoup dans le monde qui croient aujourd’hui à l’avenir du genre humain.”
L’Utopiste [Plon et Cie, Paris, 1873 (?) ; 1882]
P.S. : Guy Costes précise, à l’attention des habitants de Dijon, que le colonel Marchand y possède une rue à son nom !