Maurice Level, La Peur et autres contes (1901-1920)

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Maurice Level, La Peur et autres contes, 2017. Illustration d'Antony Troncet, pour "On ?..." dans "Je Sais Tout", 1908

Maurice Level (1875-1926) reste encore méconnu malgré une série de rééditions récentes initiée par Jean-Luc Buard. Né Loewel, cousin du conteur Marcel Schwob, il aura pour petite cousine la photographe surréaliste Claude Cahun. Le court recueil de neuf nouvelles La Peur, coédité en 2017 par Les Aventuriers de l’Art perdu et La Clef d’Argent, a pour mission de donner un avant-goût du talent de celui qui fut en son temps maître du récit criminel et du théâtre du Grand Guignol.

Dès la première nouvelle, qui donne son titre au recueil, l’émotion de peur prend corps comme sujet central tout en façonnant le récit halluciné d’un infortuné au narrateur. Et la notion de peur se montre ambiguë : qui en est victime peut sous son empire irraisonné se changer en coupable. L’ambiguïté entre coupables et victimes se retrouve dans plusieurs nouvelles du recueil à travers les thèmes de la vengeance et de l’adultère dans un couple malheureux : « La Peur », mais aussi « L’Aveugle », « L’Allée » et « La Bonne Mère ». Dans le genre horrifique et atroce, « L’Aveugle » rappelle aussi que Level travailla pour le Grand Guignol avec des pièces comme Sous la lumière rouge, Le Baiser dans la nuit ou La Malle sanglante.

L’intérêt du recueil est aussi de rassembler trois des quatre nouvelles qui dans toute l’œuvre de Maurice Level relèvent du fantastique. La quatrième, « Qui ?… », est à retrouver dans le recueil Les Oiseaux de nuit (1913), heureusement réédité par Le Visage vert également en 2017. Comme le souligne Philippe Gontier dans les notes qui suivent chaque texte, Maurice Level adopte pour son fantastique une narration efficace, souvent sobre, et loin de se cantonner aux vieilles ficelles, il montre un intérêt rare pour les objets de la modernité d’où il fait surgir le surnaturel. C’est particulièrement évident avec « La Photographie » de 1906 (même si le procédé remonte déjà à une soixantaine d’années), ou avec « À neuf mille sept cents mètres » (1908)  et son tragique voyage en ballon à des hauteurs expérimentales. Philippe Gontier retrace bien les influences déterminantes qui ont inspiré Level : Maupassant en premier lieu, mais aussi Édouard Ganche, dont Le Livre de la mort et L’Ordre de la mort sont aussi réédités à La Clef d’Argent, Edmond Haraucourt, Jean Joseph-Renaud, et enfin Poe, dont « Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall » (1835) s’impose ici au souvenir. La nouvelle « Babel » de 1910 est particulièrement intrigante. Son île dont l’aspect se transforme sous les yeux des marins ne manque pas d’évoquer un auteur postérieur, Howard Phillips Lovecraft et son « Appel de Cthulhu ». Les parages polaires de cette navigation ne sont pas sans rappeler Les Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe, et par ricochet Le Sphinx de glace de Verne, et bien sûr plus tard Les Montagnes hallucinées de Lovecraft. La part de fiction spéculative du récit justifie qu’il ait été repris dans les Contes d’anticipation de l’auteur, réunis par Jean-Luc Buard chez Bibliogs en 2018.

Autre nouvelle singulière, « On ?… » semble s’inscrire dans la lignée du fantastique traditionnel, avec sa vieille masure côtière. Les manifestations surnaturelles, des coups frappés pendant la nuit, évoquent les annonces de mort de l’Ankou, et la nouvelle rappelle « L’Intersigne » de Villiers de l’Isle-Adam, tout en annonçant les atmosphères de certains romans de Kurt Steiner dans la collection Angoisse comme De flamme et d’ombre ou Le Bruit du silence.  Mais lorsqu’apparaît le manuscrit d’un alchimiste, on pense ensuite plutôt à « L’Affaire Charles Dexter Ward » de Lovecraft. L’insistance avec laquelle l’auteur américain revient à l’esprit n’est pas complètement inexplicable : ce dernier avait lu quelques-unes de ses nouvelles traduites dans Weird Tales. Lovecraft mentionne son contemporain Level dans son essai Épouvante et surnaturel en littérature, le rattachant à la tradition du « conte cruel » de Villiers de l’Isle-Adam, « dans lequel la création d’émotions déchirantes s’accomplit à travers des tentations intenses, des frustrations, et des horreurs physiques répugnantes », ajoutant que les récits brefs de Level se prêtaient tout naturellement à l’adaptation pour la scène du Grand Guignol. La nouvelle « On ?… » se révèle cependant trompeuse car il s’agit de fantastique expliqué. Du reste, avec « La Photographie » et « Le Tigre du major Atkinson », soit la moitié de ses nouvelles fantastiques connues, Level sacrifie au fantastique dans sa définition todorovienne d’hésitation entre l’explication surnaturelle et l’explication rationnelle.

Dans un format commode, offrant à la suite de chaque récit des notes aussi érudites qu’agréables à lire, ce volume remplit parfaitement son rôle d’introduction à la fiction courte de Maurice Level. Ornées des illustrations fines et précises de Léo Gontier en culs-de-lampe à la fin de chacune d’elles, ces nouvelles d’épouvante criminelle ou fantastique ont trouvé un écrin à leur mesure.

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