Melville Davisson Post, Oncle Abner, le maître du mystère – Rivière blanche, coll. « Baskerville » (2014)

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Illustration de Gahan Wilson. Rivière blanche, 2014.

Le nom de Melville Davisson Post ne dira quelque chose qu’à peu de monde. Pourtant, les auteurs d’Ellery Queen tenaient ses nouvelles policières en haute estime, n’hésitant pas à les placer aux côtés des enquêtes du père Brown par G. K. Chesterton. C’est ainsi que, dans les années cinquante et soixante, quelques-unes des aventures d’Oncle Abner ont été traduites dans Mystère Magazine, la version française du magazine d’Ellery Queen. Ce furent cependant les seules parutions de cet auteur dans cette langue, ou à peu près (une nouvelle a aussi paru dans une anthologie en 1988). Afin de réparer cette lacune et de tirer ces nouvelles de l’oubli, Jean-Daniel Brèque a retrouvé toutes les histoires ayant pour détective l’Oncle Abner, afin d’en proposer une édition intégrale. Il est dès lors permis à chacun de vérifier l’appréciation des spécialistes.

Publiés entre 1911 et 1928, ces classiques de l’énigme présentent plusieurs traits particuliers, que J.-D. Brèque relève dans une préface très complète. Tout d’abord, il s’agit de récits historiques, qui se déroulent dans la Virginie d’une époque qu’il situe peu après 1850. Melville Davisson Post y trouve l’occasion de rendre hommage à l’esprit rude et pragmatique des pionniers, ses aïeux. Les nouvelles montrent des fermiers âpres au gain, des propriétaires procéduriers, la plupart des personnages se reposant aussi bien sur les arcanes du droit que sur la force des armes. De son côté, l’oncle Abner appuie toutes ses décisions sur la parole divine. Dans un contexte de western où seuls les représentants de la loi et les prédicateurs peuvent s’opposer à la loi du plus fort, ces nouvelles sont bel et bien placées sous le double signe de la Bible et du fusil. La nouvelle « La Nuit noire » s’offre même le luxe de mettre explicitement en scène les deux objets.

La période choisie explique ainsi le caractère du détective, ce fameux oncle Abner. « Oncle », parce que le narrateur n’est autre que son neveu Martin, un enfant dont la taille permet de se cacher et d’assister à l’essentiel des enquêtes de ce détective improvisé. La manière dont Martin décrit son oncle est on ne peut plus claire. Concernant un vol : « Si c’était le Seigneur qui avait pris, il s’y résignerait ; mais si c’était un autre, il le suivrait l’arme à la main et lui reprendrait ce qu’il avait volé. » Ce personnage incorruptible et sévère n’en est pas pour autant impitoyable et dénué de compassion : « en dépit de sa morale inflexible, Abner était un homme qui tempérait toujours la justice par l’humanité, et qui respectait l’esprit plutôt que la lettre de la vérité. »

C’est ce discernement qui apporte des nuances au personnage et le rend estimable et intéressant, sinon attachant. Ses dons d’observation et son intelligence en font cependant un être presque omniscient, qui découvre invariablement la vérité malgré les mensonges et les fausses pistes de coupables rusés mais parfois négligents ou trop arrogants. Les intrigues sont ainsi parfois prévisibles, ce qu’on ne peut leur reprocher pour leur époque, quand elles étaient encore novatrices et que la plupart des lecteurs étaient moins aguerris aux énigmes policières. Malgré l’éventuel manque de suspense, il est toujours intéressant de le voir examiner les indices, et ses discours de révélation finale ne manquent jamais de grandeur et de panache.

Par ailleurs, des personnages récurrents, beaucoup moins parfaits, viennent équilibrer un peu une telle stature morale et intellectuelle. L’un des meilleurs amis d’Abner est le juge de paix Randolph, décrit comme compétent mais vaniteux. C’est vers lui que les victimes viennent demander justice, mais c’est toujours grâce à l’indispensable Abner qu’il peut la rendre sans se laisser tromper par les évidences. Un homme de bonne famille, mais dévoyé et peu recommandable, Dix, apparaît régulièrement : est-il un authentique criminel, ou a-t-il l’art de se fourrer dans des situations gênantes ? Enfin, un prédicateur un peu halluciné, Adam Bird, vient apporter une touche de surnaturel : ses visions lui permettent de parvenir à la vérité qu’Abner dégage de l’observation et du raisonnement.

En l’espèce, Melville Davisson Post a l’art de réserver à son détective des intrigues originales, alternant les imbroglios juridiques, les modus operandi inusités et les coupables insoupçonnables. À cet égard, des nouvelles comme « La Mauvaise Main », « Les Outils du diable », « L’Énigme », « Un acte de Dieu », « Le Sentier caché » ou « La Piste du diable » rivalisent d’ingéniosité.

D’autres nouvelles comme « L’Ère des miracles » et « La fille adoptive » brodent des variations sur un même canevas. Les débuts de nouvelles et les intrigues ont parfois l’inconvénient de se ressembler et de devenir un peu répétitives. On ne peut toutefois que louer le directeur de collection et traducteur d’avoir fait le choix de l’intégrale : il est ainsi possible de comparer toutes ces variantes et d’apprécier le mérite de chaque récit. De plus, des notes toujours pertinentes viennent utilement renseigner sur les personnes réelles mentionnées et les références bibliques ou littéraires du texte. Les références constantes d’Abner à la Providence et ses attestations de l’intervention divine peuvent elles aussi à la longue être un peu lassantes, mais loin de gêner le récit, elles servent son propos. Si dans « Le Mystère Doomdorf », le mysticisme de ses paroles obscurcit le mystère plus qu’il ne l’éclaire, c’est un procédé narratif bien connu qui permet de préserver le secret jusqu’à l’explication finale.

La dernière nouvelle présente la particularité d’être la plus longue, comme si l’auteur avait voulu prolonger ses derniers moments avec son personnage. « Le Mystère de Hillhouse » semble d’abord une variante d’une autre nouvelle, « Une aventure au crépuscule », qui remettait déjà en cause les éléments à charge et le processus de l’incrimination, mais il se révèle une énigme diabolique, qui rappelle presque Rashômon tant les suspects se multiplient sans qu’il semble possible d’isoler le coupable. La chute (dans tous les sens du terme), brillante derrière l’interprétation édifiante que lui donne Abner, permet à la série de se clore sur un point d’orgue.

 

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