Olivier Seylor – Une Arrivée opportune (Récit policier) (1909)

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« Une Arrivée opportune (Récit policier) », par Olivier Seylor, fut publié dans La Petite République du 6 juin 1909.

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Une Arrivée opportune (Récit policier)

Il y a quelques mois, alors qu’une conflagration générale menaçait l’Europe de dévastation, la malchance d’un diplomate faillit compromettre le protocole, laborieusement échafaudé, qui devait suspendre la crise. Voici comment :

Ledit protocole, on le savait partout dans les chancelleries, n’avait chance d’être ratifié que s’il obtenait l’assentiment du Foreign Office. A cette fin, et pour des raisons connexes à ses alliances orientales, la France dépêcha spécialement un habile ambassadeur, depuis certaine capitale fort éloignée jusqu’à Londres.

Les documents précieux, dont il était porteur, éclaireraient la religion de sir John Halsey, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, et duquel l’avis entraînerait certainement celui du cabinet.

J’étais alors secrétaire privé de sir John, qui m’honorait d’une confiance absolue. Aussi, quand on nous annonça le baron Courtin — ainsi se nommait le courrier confidentiel de la République — acceptai-je, sans feindre une vaine discrétion, de prendre place à la table où mon protecteur ferait oublier magnifiquement à son hôte la fatigue due aux railways du continent et au steamer de la Manche. Car le baron n’avait que touché barre à Paris, reçu dans le plus grand mystère par le président du conseil.

Nous fîmes honneur à la chère exquise. Le diplomate français semblait ne se ressentir en rien de son raid. Cependant il nous confia que son voyage s’était effectué dans des conditions moins parfaites qu’à l’ordinaire, son valet de chambre, soudain indisposé au départ de Paris, ayant dû être remplacé par un autre serviteur, zélé certes, mais mal averti des petites habitudes de son nouveau maître.

— Car, conclut en riant le baron, je suis, moi, un vieux conservateur. Malgré que ce garçon m’ait été recommandé par le préfet de police lui-même, j’ai hâte de retrouver mon fidèle Albert… Maintenant voulez-vous, sir John, que nous abordions l’exposé que je dois vous éclaircir ? Voulez-vous être assez aimable pour prier que l’on descende ici la serviette en maroquin rouge que j’ai laissée dans la chambre mise à ma disposition par Votre Grâce ?

Sir Halsey se tourna vers moi. Je donnai les ordres nécessaires. Et durant que nous attendions le paquet d’où pouvait sortir la guerre ou la paix, un bizarre sentiment d’inquiétude envahit mon âme. Pour ne point gêner notre hôte dans l’ouverture du récipient, sans nul doute à serrure secrète, je m’approchai de la vitre et contemplai la fulguration des autos, rayant l’ombre comme des météores.

Une exclamation, un cri plutôt, me fit retourner.

— Mon Dieu ! avait proféré le baron, abandonnant la langue anglaise dont il s’était courtoisement et parfaitement servi durant le repas.

Il répéta :

— Mon Dieu !

Tandis que sir John et moi-même nous nous penchions d’instinct sur la valise diplomatique.

Elle était vide.

— Pardieu ! déclara mon patron, vous avez été volé, mon cher monsieur ! Volé par votre valet de hasard ! Pour moi, la chose est claire.

— Mais l’homme m’est venu muni d’une introduction autographe, authentiquée par M. Lépine ! protesta le baron Courtin.

— Un faux !… En tous cas, assurons-nous du gaillard. Et vous, Gordon, téléphonez à Scotland-Yard qu’ils nous envoient leur meilleur détective du moment.

L’ambassadeur français avait vite repris son sang-froid. Il fut le premier à réclamer l’interrogatoire de son domestique, au moment que je m’empressais vers le téléphone. Quand je revins dans la bibliothèque, sir John et le baron s’efforçaient, inutilement d’ailleurs, d’obtenir les aveux du coupable présumé. Des précieux papiers, il ne pouvait être momentanément question. Notre sentiment unanime fut qu’ils avaient été remis aux mains d’un complice : le voleur n’était pas assez stupide pour les avoir conservés jusqu’au lieu où, précisément, l’on s’apercevrait de leur disparition.

Personnellement, je notai deux choses : d’abord que l’homme possédait des mains d’une blancheur remarquable, qu’en conséquence il n’exerçait point la fonction sociale dont il se prévalait aux yeux du baron, et que, sur cette constatation, son innocence apparaissait des plus douteuses. Ensuite je fus frappé d’un geste continuel et machinal, par lequel il passait son mouchoir sur ses mains d’oisif. Était-ce à cause de la chaleur du soir ? de sa mauvaise situation ?

J’en étais là de mes observations, lors qu’on introduisit l’inspecteur que j’avais demandé au bureau central de la police. On le mit au courant. Il réfléchit deux minutes, puis :

— Avec votre permission, messieurs, je désire rester seul avec le gaillard. Il est bien certain qu’il ne nous dit pas la vérité. Mais je sais, par expérience, qu’en pareille circonstance rien ne vaut un bon tête-à-tête pour s’expliquer.

Sur l’avis de sir John, nous déférâmes à cette requête. Mon patron entraîna de nouveau le baron Courtin dans la salle à manger, et je me plaçai dans le hall, prêt à tout événement.

J’y commençais à peine une soucieuse promenade que la sonnette retentit en violent carillon. Devançant les laquais, j’ouvrais moi-même : quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir apparaître un agent de Scotland-Yard, que je connaissais fort bien, encadré par deux robustes policemen.

— J’ai fait diligence, me dit-il aussitôt… Où est le voleur ?

J’eus quelque difficulté à retrouver mes esprits. Enfin je lui expliquai comment l’un de ses collègues l’avait devancé, et que celui-là conférait présentement avec l’individu soupçonné.

Une lueur de gaïté passa dans les yeux de mon interlocuteur. Il tint à me prouver son identité à l’aide d’un cachet dont je ne pouvais ignorer la spécialisation. Puis il me souffla :

— Ne vous froissez pas, monsieur Gordon. Vous avez failli être joué par d’audacieux brigands. Mais je vous jure que nous allons prendre notre revanche. Inutile de déranger ni sir John, ni le Français, conduisez-moi vers la pièce du mystérieux conciliabule !

Je n’hésitai point. Aussitôt que le véritable inspecteur eut placé ses compagnons à droite et à gauche de la porte, il la poussa brutalement, démasqua son revolver, et cria :

— Les mains hautes, au nom du roi !… ou je tire !

Le valet du baron Courtin et le faux policier demeurèrent pétrifiés.

— Maintenant, ordonna mon allié, ouvrez la doublure du veston… Non, pas celle du domestique… celle de mon peu honorable confrère… Parfait ! Il ne vous reste plus qu’à extraire les papiers perdus : ils sont à la hauteur de sa poche gauche.

Je ne cédai à personne le soin de vérifier soigneusement les affirmations de l’inspecteur. Au bout de mes doigts, je ramenai facilement une longue enveloppe au secret de laquelle se liaient peut-être les destins de l’Europe. Je courus porter la chose au baron Courtin qui, pâle d’émotion, vérifia que le contenu n’avait pas été touché.

Et ce ne fut que bien plus tard que je m’informai, auprès de notre sauveur, des bases sur quoi il avait établi son étonnante perspicacité. Il me renseigna modestement.

— D’abord, dit-il, j’ai tout de suite reconnu le pseudo-détective. C’était un bandit international de haute envergure, déjà recherché par nous. Le valet n’avait que la possibilité de dérober les documents, entre Douvres et Calais. Mais le complice le suivait depuis Paris et se tint contre l’hôtel de sir Halsey jusqu’au moment où la vue du mouchoir, aux mains du camarade, l’avertit d’entrer en scène. Tous deux savaient inévitable l’intervention de la police. Ils ont voulu en jouer le rôle, voilà tout ! Ainsi l’un aurait tranquillement emporté les papiers et l’autre n’aurait jamais pu être convaincu du vol… Mon seul mérite fut d’arriver à temps, monsieur Gordon.

Le brave inspecteur réussit de la sorte à me convaincre que le hasard fit tout en cette affaire. Oui, j’en fus tellement persuadé — je l’avoue aujourd’hui à ma honte — que je négligeai absolument de le faire récompenser, au moins par l’imprudent baron Courtin.

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